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Juifs ou Israéliens
?
Alain Gresh
Alain Gresh
Vendredi 17 septembre 2010 « Une majorité d’Israéliens pour la
reprise de la colonisation en Cisjordanie », tel est le titre
d’une dépêche en provenance de Jérusalem et datée du
14 septembre. On y lit que plus de la moitié des personnes
interrogées (51%) « estime que le Premier ministre Benjamin
Netanyahu doit ordonner la reprise de la construction à l’issue
de ce moratoire le 26 septembre. 39% sont favorables à la
poursuite du gel partiel de la colonisation et 10% sont sans
opinion ». Ce sondage a été réalisé par le quotidien
israélien Yediot Aharonot.
Le petit problème, c’est que les personnes interrogées sont
les seuls Israéliens juifs, ce qui veut dire qu’on n’a pas
demandé leur avis aux quelque 1,5 million de Palestiniens
citoyens de l’Etat d’Israël, soit environ 20 % de la population.
Le titre de la dépêche de l’AFP est donc factuellement faux,
mais il illustre bien ce que veut dire le terme « Etat juif »,
un Etat dans lequel les citoyens non juifs n’ont pas voix au
chapitre.
Durant le processus d’Oslo, un certain nombre de députés de
droite avaient exigé du gouvernement Rabin que toute décision
importante sur l’avenir des territoires occupés, pour être
adoptée, doive disposer au parlement d’une « majorité juive »,
c’est-à-dire ne prenant pas en compte les députés palestiniens.
Il est vrai qu’il n’existe pas, pour Israël, de nationaux
israéliens, mais seulement des citoyens juifs ou des citoyens
non juifs.
Né à Varsovie, ayant passé deux années dans le camp de
concentration de Bergen-Belsen, Israël Shahak avait émigré en
Palestine en 1945. Professeur de chimie à l’Université hébraïque
de Jérusalem, il devint président de la Ligue des droits de
l’homme et du citoyen en 1970. Dans un livre courageux publié en
français en 1975 et intitulé Le Racisme de l’Etat d’Israël,
ouvrage dont on peut se demander s’il trouverait un éditeur
aujourd’hui, il posait la question : « Qu’est-ce qu’un “Etat
juif” ? » (Guy Authier, 1975) et esquissait la réponse
suivante :
« La majorité des écrits concernant Israël et l’essentiel
de ce qui se dit à son propos hors de ses frontières souffrent
d’une lacune fondamentale : ils ignorent le fait que l’Etat
d’Israël n’est – ni en principe ni en fait – un Etat israélien,
ni un Etat des Israéliens ; c’est un Etat juif. »
Aucune statistique, poursuivait-il, ne concerne les
Israéliens :
« Non seulement il n’existe pas d’Israéliens en Israël,
mais les animaux et les plantes elles-mêmes sont divisés en
juifs et non-juifs. Officiellement, l’Etat d’Israël recense et
classifie les vaches et les moutons, les tomates ou le blé en
produits “juifs” et “non-juifs”. »
Il fallait toute l’ignorance de Bernard Kouchner pour parler
de « peuple israélien » auquel l’Europe devait garantir
« sa sécurité et son identité juive » (« A
quand l’Etat palestinien ? », Le Monde, 23 février
2010).
Israël est la seule démocratie qui opère une distinction
entre citoyenneté et nationalité : tous les titulaires de la
citoyenneté (ezrahut) ont, en principe, des droits égaux,
mais seuls certains, les juifs, bénéficient de la nationalité (le’um).
En 1970, Shimon Agranat, président de la Cour suprême, a
confirmé que l’on ne pouvait pas parler de « nationalité
israélienne », car il n’existait pas de nation israélienne
séparée de la nation juive et qu’Israël n’était même pas l’Etat
de ses citoyens juifs, mais celui des juifs du monde. Uzi Ornan,
professeur de linguistique, a intenté une action en 2000 pour
inverser ce jugement, mais les chances d’aboutir sont faibles.
On comprend mieux pourquoi les Palestiniens ne peuvent
reconnaître le caractère juif de l’Etat d’Israël, qui
entérinerait le statut de seconde zone accordé aux Palestiniens
de cet Etat. Et on peut s’étonner que les dirigeants américains
ou européens, ainsi que de nombreux intellectuels, exigent de
l’Autorité palestinienne qu’elle se plie aux injonctions
israéliennes.
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