Opinion
Quand Israël
attaquera-t-il l'Iran ? Il y a deux
ans...
Alain
Gresh

Alain
Gresh
Mardi 17 janvier
2012
Interrogé il y a quelques jours pour
savoir quand Israël attaquerait l’Iran,
Patrick Clawson, chercheur au Washington
Institute for Near East Policy (Winep),
un think-tank lié au lobby
pro-israélien, répondait : « Il y a
deux ans » (cité par Scott Shane,
« Adversaries of Iran Said to Be
Stepping Up Covert Actions », The
New York Times, 11 janvier).
Cette déclaration venait après le
meurtre à Téhéran d’un jeune physicien
nucléaire, qui faisait lui-même suite à
plusieurs autres meurtres « mystérieux
», dont on s’étonne qu’ils aient été si
peu dénoncés par les défenseurs des
droits humains — une pétition circule
toutefois pour les condamner, «
Petition against the Murder of Iranian
Scientists »). L’Iran a aussi été
victime ces derniers mois de
cyber-attaques par le virus Stuxnext
(lire Philippe Rivière, «
Cyber-attaque contre Téhéran »,
Le Monde diplomatique, mars 2011).
Cette escalade est incontestablement
le fait d’Israël, qui ne cherche même
pas à démentir. En revanche, il est plus
difficile de saisir quelle est la
stratégie du président Obama. Au moment
même où l’administration américaine
affirme, haut et fort, sa solidarité
totale avec Israël et sa détermination à
empêcher l’Iran de se doter de la bombe
atomique, les manœuvres militaires entre
Israël et les Etats-Unis sont reportées
et les explications avancées pour ce
report sont loin d’être claires ;
Hillary Clinton condamne fermement le
meurtre du chercheur à Téhéran ; les
services de renseignement « occidentaux
» (en fait américains) faisaient filtrer
des informations sur la responsabilité
du Mossad dans les meurtres des
scientifiques iraniens (Karl Vick and
Aaron J. Klein, «
Who Assassinated an Iranian Nuclear
Scientist ? Israel Isn’t Telling »,
Time Magazine, 13 janvier) ;
parallèlement, ils divulguaient des
informations sur des agents israéliens
qui tentent de se faire passer pour des
membres de la CIA afin de recruter des
combattants sunnites opposés au régime
iranien (Mark Perry, «
False flags », Foreign Policy,
13 janvier). Enfin, les Etats-Unis ont
lancé une sévère mise en garde à Téhéran
contre tout blocage du détroit d’Ormuz
et mobilisent leurs alliés pour arrêter
les achats de pétrole iranien.
Comment expliquer ces contradictions
? Gary Sick, un ancien conseiller du
président Jimmy Carter, avance deux
explications possibles : l’incompétence
d’un côté ; de l’autre, un rideau de
fumée pour préparer un nouveau dialogue
avec Téhéran («
Stealth Engagement ? », Gary’s
choices, 16 janvier 2011). Et il penche
pour la seconde.
Il relève ainsi les déclarations de
Leon Panetta, le secrétaire américain à
la défense et ancien directeur de la
CIA. Le 2 décembre 2011, celui-ci
dressait un tableau catastrophique des
conséquences d’une guerre contre l’Iran
; quelques jours plus tard, le 19
décembre sur CBS, il affirmait que
l’Iran aurait peut-être une bombe
atomique d’ici un an ; enfin le 8
janvier, à la question de savoir si
l’Iran voulait la bombe atomique, il
répondait… non.
Gary Sick met en avant trois facteurs
explicatifs à cette apparente
incohérence. D’abord, on est en pleine
année électorale aux Etats-Unis, avec un
Congrès favorable à une escalade des
sanctions, notamment contre le pétrole
iranien — avec le risque qu’elle soit
analysée à Téhéran comme « un acte de
guerre ». D’autre part, pour le
président Obama, et compte tenu des
conséquences d’un conflit dans le Golfe,
il est important de retourner à la table
des négociations. Enfin, il y a
l’extrémisme du gouvernement Netanyahou
et son influence aux Etats-Unis,
notamment dans la perspective de
l’élection présidentielle, même si,
comme le rappelle Sick, il existe des
réserves face à une aventure militaire —
Ron Paul, l’un des candidats à
l’investiture républicaine, s’est
ouvertement prononcé contre.
Dans ces conditions, la stratégie du
président Obama serait d’ouvrir une voie
de communication avec Téhéran, tout en
accompagnant les gestes d’ouverture de
déclarations dures à l’encontre du
régime iranien. Et il multiplie les
pressions sur Israël pour que ce pays ne
s’engage pas dans une aventure
militaire. Selon Sick, la visite du
président du Parlement iranien Ali
Larijani à Ankara en janvier et ses
déclarations sur une reprise des
négociations avec les pays occidentaux,
s’inscriraient dans le cadre des
tentatives de dialogue lancées par la
Maison Blanche.
Ces initiatives n’ont pas l’heur de
plaire à
Nicolas Sarkozy et aux Européens,
qui poussent les Etats-Unis à adopter
des positions plus fermes, au lieu de
jouer le rôle de facilitateur et de
favoriser le dialogue. Et qui ne veulent
surtout pas entendre parler d’un
Proche-Orient débarrassé des armes
nucléaires, ce qui impliquerait
qu’Israël renonce à la bombe. C’est
pourtant la meilleure solution, comme
l’expliquent Shibley Telhami et Steven
Kull dans un article du New York
Times, le 15 janvier, «
Preventing a nuclear Iran, peacefully
».
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