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Gaza, crimes de
guerre, crimes contre l'humanité
Alain Gresh

Alain Gresh
Mercredi 16 septembre 2009 La mission des Nations unies
sur
les événements de Gaza a rendu son rapport le 15 septembre,
disponible en anglais sous le titre : « Human
Rights Situation in Palestine and Other Occupied Arab
Territories. Report of the United Nations Fact Finding Mission
on the Gaza Conflict ». C’est un texte de plus de 570 pages,
résultat du travail de plusieurs mois mené par la commission
présidée par le juge sud-africain Richard Gladstone, un ancien
membre de la cour constitutionnelle de son pays et un ancien
procureur du tribunal pénal international sur l’ex-Yougoslavie
(TPIY) et sur le Rwanda (TPIR).
Cette mission s’est rendue à deux reprises à Gaza ; le
gouvernement israélien lui a interdit l’accès à la Cisjordanie
et à Israël, mais elle a pu entendre des témoins israéliens
(dont le père de Gilad Shalit) à Amman. Elle a aussi effectué un
certain nombre d’auditions publiques (sur son programme détaillé
lire, « United
Nations Fact Finding Mission on the Gaza Conflict. », qui
donne les liens avec les auditions.
A écouter les commentateurs des médias, à lire la presse, on
a l’impression que le rapport renvoie dos à dos les deux
protagonistes, Israël et le Hamas. Effectivement, le rapport
affirme que les deux sont coupables de « crimes de guerre »,
voire de « crimes contre l’humanité ». On serait donc dans une
sorte d’équilibre... En fait, rien n’est plus faux. Et la
lecture du rapport (on peut se demander si ceux qui en parlent
l’ont lu), est accablante avant tout pour Israël.
Un des éléments les plus intéressants du rapport est la
chronologie détaillée au chapitre III des événements entre le
18 juin 2008, date de la signature d’un cessez-le-feu entre
Israël et le Hamas sous l’égide de l’Egypte, et le début de
l’offensive israélienne. Il apparaît clairement du travail de la
commission que :
Israël
n’a pas respecté ses engagements d’ouvrir les points de passage
à Gaza et a maintenu une politique de blocus contre la
population, la privant des denrées de première nécessité ;
le
cessez-le-feu a été, en gros, respecté par les deux parties
jusqu’à début novembre ;
le
début de l’escalade a eu lieu le 4 novembre, à la suite d’une
incursion israélienne.
Cela confirme que, contrairement à ce que reprennent la
plupart des médias et aussi le président de la République, ce
n’est pas le Hamas qui a rompu le cessez-le-feu.
Autre point fort du rapport, le lien fait entre l’offensive
contre Gaza et l’ensemble de la politique israélienne. Ainsi,
selon le point 1674 du texte, cette opération est dans la
continuité des « objectifs politiques israéliens concernant
Gaza et les territoires occupés dans leur ensemble. » On ne
peut donc comprendre l’offensive israélienne comme un seul
ensemble d’objectifs militaires. Le point 1675 explique que
cette offensive ne peut être vue indépendamment de « la
politique de blocus qui a précédé l’opération et qui représente,
selon la commission, une punition collective infligée
intentionnellement par le gouvernement israélien au peuple de
Gaza ».
Le point 1676 souligne : « Nombre de mesures adoptées par
Israël en Cisjordanie durant et après l’opération militaire
contre Gaza ont renforcé le contrôle israélien sur la
Cisjordanie, y compris Jérusalem, et montrent une convergence
d’objectifs avec les opérations militaires à Gaza. Parmi ces
mesures, un accroissement de l’expropriation des terres, la
destruction des maisons, des permis pour construire dans les
colonies, des restrictions plus sévères aux procédures
permettant à des habitants de Gaza de séjourner en
Cisjordanie. »
Le paragraphe 1683 est consacré au principe de
proportionnalité, un principe qu’André
Glucksman et
Bernard-Henri Lévy affirment ne pas comprendre. Nous leur en
conseillons donc la lecture. « La commission reconnaît que
toutes les morts ne représentent pas une violation du droit
humanitaire. Le principe de proportionnalité reconnaît que dans
des conditions très strictes, des actions qui ont occasionné des
morts civiles ne sont pas forcément illégales ». Mais,
« les actions des forces israéliennes et les déclarations des
responsables militaires et politiques avant et durant les
opérations indiquent que, de manière globale, elles était
fondées sur une politique délibérée d’usage disproportionné de
la force visant non pas l’ennemi mais des infrastructures qui
les supportent ce qui signifie ici la population civile ».
Et le rapport souligne que l’attaque a commencé le matin d’un
jour ouvrable à 11:30, une heure à laquelle les rues sont
bondées, les écoliers rentrent chez eux, etc.
Et le point 1691 conclut que pour les autorités israéliennes,
les attaques disproportionnées, celles contre les populations
civiles et la destruction de bâtiments civils sont des moyens
légitimes.
Un des points les plus importants concerne l’absence
d’enquêtes sérieuses menées par les autorités israéliennes sur
les crimes de guerre (points 1756, 1757 et 1758). Cela renforce,
selon la commission, la nécessité d’utiliser le principe de
juridiction universel qui permet à des tribunaux nationaux de
juger des personnes de nationalité étrangère accusées de crimes
de guerre ou de crimes contre l’humanité. Lire, dans Le Monde
diplomatique de
septembre, l’article de Sharon Weill, « De Gaza à Madrid,
l’assassinat ciblé de Salah Shehadeh ».
Le rapport n’épargne pas le Hamas, mais il est clair qu’il
n’y a pas équivalence dans le texte entre une simple
organisation et un Etat souverain. Le gouvernement israélien ne
s’y est d’ailleurs pas trompé. Il a décidé d’engager une grande
offensive diplomatique pour contrer les effets du rapport,
relatent Barak Ravid, Jack Khoury et Avi Issacharoff dans
Haaretz le 16 septembre, « Israel
girds for diplomatic war over ’biased’ UN Gaza report ». La
crainte exprimée est de voir des responsables israéliens
traduits devant la Cour pénale internationale.
Selon une dépêche de l’AFP en provenance de Jérusalem :
« “Nous allons faire tout notre possible pour empêcher
qu’il y ait des suites juridiques à ce rapport en démontrant
qu’il est malhonnête et politiquement biaisé”, a affirmé à la
radio publique Gabriela Shalev, l’ambassadrice d’Israël auprès
de l’ONU. (...) Dans un communiqué, le président Shimon Peres a
estimé que ce rapport “se moque de l’Histoire”. “Les auteurs ne
distinguent pas les agresseurs et ceux qui se défendent. C’est
le Hamas qui a engagé cette guerre en commettant des crimes
horribles. Ce rapport confère une légitimité au terrorisme et ne
tient pas compte du devoir d’Israël de se défendre”, a affirmé
M. Peres. “Goldstone n’aurait pas écrit ce rapport si ses
enfants habitaient à Sderot”, une ville du sud d’Israël
régulièrement visée par les roquettes palestiniennes, a ajouté
le président israélien. »
Comme il est d’origine juive, le juge Goldstone a été
violemment attaqué comme « juif honteux ». Interviewée par la
radio militaire israélienne, sa fille a affirmé que son père est
un « juif sioniste ».
Le porte-parole du Quai d’Orsay Bernard Valero a déclaré, le
16 septembre, que « les faits exposés dans le rapport de la
Commission Goldstone sont d’une extrême gravité et méritent la
plus grande attention (...) La France étudie actuellement
le document dans le détail, ainsi que ses recommandations, sur
lesquelles il est encore trop tôt pour se prononcer ».
Le rapport, toutefois, omet un problème important qui avait
été souligné par Richard Falk, rapporteur spécial des Nations
unies sur les droits de l’homme dans les territoires
palestiniens occupés depuis 1967, dans un article du Monde
diplomatique de mars 2009, « Nécessaire
inculpation des responsables de l’agression contre Gaza » :
« Israël a tout fait pour biaiser cette perception en
obtenant des médias et des diplomates qu’ils se concentrent sur
une seule question de droit international : son usage de la
force était-il ou non "disproportionné" ? Or cette manière de
poser le problème occulte la question fondamentale : celle de
savoir si ces attaques avaient bien, au sens juridique, un
caractère « défensif ».
Et là, nous rejoignons le domaine politique et ce fait
fondamental abordé de manière oblique par la commission (ce
n’était pas son mandat), l’origine du conflit et le fait qu’il
résulte de l’occupation illégale des territoires palestiniens
par Israël depuis plus de 40 ans, en violation de toutes les
résolutions des Nations unies...
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