Carnets du diplo
Censure et lobby pro-israélien
Alain Gresh
16 août 2007
La critique du lobby pro-israélien est un exercice risqué aux
Etats-Unis. Deux universitaires, auteur d’un rapport
très détaillé sur le rôle du lobby, publié à la mi-mars
2006, Stephen Walt et John Mearsheimer, devaient parler devant le
Chicago Global Affairs Council le 27 septembre 2007 (pour présenter
leur livre qui sort en septembre sur le même sujet ; le
livre paraît en France à la fin du mois de septembre aux éditions
La Découverte, sous le titre Le Lobby pro-israélien et la
politique étrangère américaine). Ils viennent d’être
informés qu’ils ne pourraient pas le faire, à moins
d’accepter la présence d’un "contradicteur", ce qui
est contraire aux usages du conseil qui les a invités. Dans
une lettre à ce conseil, les deux universitaires écrivent :
« Le 24 juillet Marshall Bouton, président du Conseil
de Chicago a téléphoné à l’un d’entre nous (Mearsheimer)
et l’a informé qu’il annulé l’invitation. Il a dit qu’il
se sentait "extrèmement peu à l’aise pour faire ce type
d’appel" et que sa décision ne reflétait pas ses vues
personnelles sur le sujet de notre livre. Au contraire, cette décision
était fondée sur la nécessité de "protéger
l’institution". Il a expliqué qu’il avait un sérieux
"problème politique", parce que des individus seraient
fâchés s’il nous donnait la possibilité de parler et cela
aurait des conséquences très négatives sur le Conseil. "Ce
sujet est tellement sensible" affirma Marshall qu’il ne
pouvait être présenté au conseil que si quelqu’un de
"l’autre bord" - comme Abraham Foxman de l’Anti-Defamation
League—était à la tribune avec nous. Au moins, il fallait que
puissent s’exprimer des “contending viewpoints.” Mais il a
aussi ajouté qu’il était trop tard pour changer le format
(...) Et il a fait preuve de peu d’intérêt à l’idée de
faire quoique ce soit avec nous en 2008 ou au-delà. »
(...)
« En fait, nous ne développons pas une position extrémiste.
Notre livre ne met pas en question le droit d’Israël à exister
et ne peint les groupes pro-Israéliens aux Etats-Unis comme
faisant partie d’une espèce de conspiration pour "contrôler"
la politique étrangère des Etats-Unis. Au contraire, il décrit
ces groupes et ces individus – des juifs et des non-juifs –
comme simplement un groupe d’intérêt efficace dont les activités
ne sont pas très différentes du lobby des armes, du lobby
agricole ou d’autres lobbies ethniques. Ses activités sont donc
aussi américaines que la tarte à la pomme. Mais nous affirmons
qu’elles ont abouti à la mise en oeuvre de politiques qui ne
sont pas conformes à l’intérêt national américain. Nous
disons aussi que ces politiques peuvent être de manière non
voulues néfastes pour Israël. Et que d’autres choix seraient
meilleurs pour les Etats-Unis et pour Israël. » (...)
« En conclusion, et c’est le plus important, nous
pensons que la décision d’annuler notre venue est contraire au
principe d’une discussion ouverte qui est à la base de la démocratie
américaine et qui est si essentielle pour maximiser les chances
que notre pays poursuive une sage politique internationale. Nous
pensons que nous sommes en présence d’un cas où une poignée
de gens qui ne sont pas d’accord avec nous ont utiliser leur
influence pour intimider Marshall et l’amener à revenir sur
l’invitation qui nous était faite de manière à ce que les
membres du conseils n’entendent pas ce que nous avons à dire
sur la politique israélienne, sur les relations des Etats-Unis
avec Israël et sur le lobby lui-même. » (...)
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