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Le gouvernement égyptien contre le
Hezbollah
Alain Gresh

Mercredi 15 avril 2009 Sur le site du Monde (« L’armée
israélienne sur ses gardes à la frontière égyptienne »,
14 avril) : « L’armée israélienne a été placée en état
d’alerte élevé le long de la frontière avec l’Egypte, a annoncé
mardi 14 avril un haut responsable de l’Etat hébreu. Les forces
de sécurité égyptiennes sont à la recherche de treize hommes
soupçonnés d’appartenir au Hezbollah et de préparer des
attentats contre les ressortissants israéliens dans le Sinaï. »
Le quotidien revient sur les origines de la crise :
« Les autorités égyptiennes avaient annoncé, mercredi
8 avril, l’arrestation de quarante-neuf personnes liées au
Hezbollah et accusées de préparer des attentats en Egypte. Le
chef du Hezbollah Hassan Nasrallah a reconnu que le leader
présumé des personnes arrêtées, un Libanais identifié comme Sami
Chehab, était bien membre de son mouvement et qu’il se trouvait
en “mission logistique” en Egypte afin de faire parvenir du
matériel militaire aux Palestiniens de Gaza. »
Dans son discours, dont on trouvera le texte intégral en
anglais ci-joint,
Hassan Nasrallah rappelle la chronologie des événements :
« — Le 19 novembre 2008, les autorités égyptiennes ont
arrêté (avec d’autres Arabes) un citoyen libanais, accusé
d’avoir transporté des armes et des équipements à travers la
frontière égyptienne vers la Palestine. Certains médias ont
mentionné l’appartenance de cette personne au Hezbollah. Mais
les choses se sont arrêtées là, et le Hezbollah n’a pas réagi.
— Quelques semaines plus tard, Israël lançait sa guerre
contre Gaza. Le Hezbollah a alors défendu l’ouverture du passage
de Rafah pour lever le siège de Gaza et aider la résistance.
Comme le gouvernement égyptien ne l’a pas ouvert, nous l’avons
dénoncé, ce qui a suscité une forte campagne des médias et des
autorités contre nous, mais rien n’a été dit de cette affaire
d’arrestation.
— Après la guerre, la situation s’est calmée, et une certaine
réconciliation arabe a eu lieu. »
Jusqu’au 8 avril, ajoute Nasrallah, quand le procureur
général égyptien a publié une déclaration affirmant que la
direction du Hezbollah envoyait certains de ses cadres en Egypte
pour recruter des membres égyptiens, et que le parti avait
décidé de préparer des opérations en Egypte même. Plus aucune
mention n’est faite de l’aide à Gaza.
Nasrallah commente alors ces faits, affirmant que
l’organisation n’a pas peur de dire ce qu’elle fait. « Oui,
Sami Chehab est un membre du Hezbollah, oui il a participé à une
action pour transférer des équipements et aider la résistance à
Gaza. Or cette accusation n’est pas reprise par les autorités
égyptiennes, qui inventent des mensonges selon lesquels nous
viserions des objectifs en Egypte, et même certaines hautes
personnalités. Quant au nombre de personnes, pas plus de dix (et
non cinquante, comme le dit Le Caire) étaient liées à Sami. »
Nasrallah a répété que le Hezbollah était un parti libanais
et qu’il ne cherchait pas à s’ingérer dans les affaires des pays
arabes ou musulmans, ni à y créer des cellules. Il a aussi nié
vouloir répandre le chiisme en Egypte.
La presse israélienne revient longuement sur cette crise
(lire « Egypt
to Hezbollah : We’ll strike back if you attack us », de Yoav
Stern, Haaretz, 13 avril). Selon Yossi Melman, Amos Harel
et Avi Issacharoff de Haaretz (14 avril), c’est le Mossad
qui a fourni aux Egyptiens les informations pour arrêter la
cellule du Hezbollah (« Mossad
tip led to capture of Hezbollah cell in Sinai »). Le
quotidien reprend les accusations égyptiennes, y compris celle
qui affirme que le Hezbollah voulait attaquer des bateaux dans
le canal de Suez pour le bloquer, et termine par cette phrase
significative : « La découverte de ce réseau amènera l’Egypte
à mieux comprendre la position israélienne. »
Zvi Barel, dans Haaretz (12 avril), « Egypt’s
top ennemy », inscrit cette campagne égyptienne dans la
lutte régionale contre l’Iran :
« La publication de détails et les accusations contre
Hassan Nasrallah – tenu directement responsable de financer et
d’organiser un réseau terroriste en Egypte – visent en partie à
contrer les critiques acerbes du chef du Hezbollah à l’encontre
de l’Egypte durant l’opération Plomb durci. Nasrallah a accusé
l’Egypte de collaborer avec Israël contre les Palestiniens. De
la même manière que le régime égyptien a rallié les médias
locaux contre le Hamas, il cherche à nuire à l’image du
Hezbollah comme défenseur des Palestiniens. » Le journaliste
poursuit en affirmant que cette campagne vise aussi la Syrie et
l’Iran, tenus pour responsables de l’échec de la réconciliation
palestinienne. L’Iran, en particulier, est désigné comme
l’ennemi des Arabes.
Il est sûr que la popularité du Hezbollah, notamment depuis
la
guerre du Liban de 2006, inquiète une partie des pouvoirs
arabes. D’autant que cette organisation est désormais reconnue
par différentes puissances occidentales, le Royaume-Uni ayant
décidé d’ouvrir un dialogue avec elle (lire « Lebanon’s
Hezbollah savors increasing legitimacy », par Borzou
Daragahi, Los Angeles Times, 13 avril).
La plupart des forces politiques égyptiennes, y compris la
gauche officielle (par la voix de Rifaat Al-Saïd, président du
Tagamou’), ont rallié le camp du pouvoir. Seule exception, les
Frères musulmans, principale organisation d’opposition, qui a
déclaré que le Hezbollah et l’Egypte avaient les mêmes ennemis
et que Le Caire devait ouvrir le passage de Rafah. Les Frères
musulmans ont aussi nié le fait que des membres de leur
organisation aient participé à la cellule du Hezbollah (« Egypt
group denies ’spy cell’ », Al-Jazeera English, 15 avril).
Par ailleurs, l’Egypte menace le Hezbollah de représailles (lire
« Egypt :
Hizbullah will pay heavy price for plotting attacks », par
Roee Nahmias, Ynet, 15 avril).
La presse panarabe attaque violemment ceux qui défendent le
Hezbollah. Ainsi, le chroniqueur Tariq Alhomayed, rédacteur en
chef de Asharq alawsat,
quotidien financé par un prince saoudien, publie un
éditorial intitulé « Look
Who’s Defending Hezbollah ! » (14 avril) :
« Qui défend le Hezbollah ? La réponse est simple et ne
requiert pas une grande intelligence : les défenseurs du
Hezbollah sont la Syrie, l’Iran, le Hamas et les Frères
musulmans égyptiens, le même groupe qui a provoqué toutes les
crises survenues entre les pays arabes. » En revanche, bien
sûr, Israël n’est responsable de rien...
Même tonalité dans Al-Hayat. En revanche, Alquds
alarabi, quotidien publié à Londres, condamne, par la voix
de son rédacteur en chef Abdelbari Atwan, les attaques contre le
chef du Hezbollah (pour
les lecteurs arabophones).
Ecrivant depuis Damas dans Asia Times (« Egypt
has Hezbollah in its sights », 15 avril), Sami Moubayed
s’interroge :
« Un fait demeure et pose question : Chihab et ses
camarades ont été arrêtés en Egypte le 19 novembre 2008, plus
d’un mois avant
la guerre israélienne contre Gaza, qui a commencé le
27 décembre. L’Egypte a rendu l’affaire publique le 8 avril et
les observateurs s’interrogent : pourquoi ce délai ? »
Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait durant la guerre contre Gaza,
poursuit Moubayed, alors que Nasrallah accusait le gouvernement
égyptien de prendre ses ordres des Etats-Unis et demandait
l’ouverture du passage de Rafah ?
Ces accusations égyptiennes s’inscrivent dans le cadre d’une
stratégie d’une partie des pouvoirs arabes pour faire de l’Iran
(et aussi de la Syrie, du Hezbollah et du Hamas) l’ennemi
principal, au détriment de la lutte contre Israël. Cette
stratégie était celle de la droite néoconsevatrice américaine.
Sera-t-elle celle du président Obama ? Ou les ouvertures en
direction de l’Iran prévaudront-elles ?
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