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Carnets du diplo
Le
Hamas est-il sorti vainqueur du sommet de La Mecque ?
Alain Gresh
Après plusieurs semaines
d’affrontements, le Hamas et le Fath sont arrivés à un accord
pour mettre un terme aux combats, pour créer un gouvernement
d’union nationale et pour tenter de rénover l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP), dont le Hamas est, pour
l’instant, exclu. Cet accord a été signé dans la nuit du 8 au
9 février à La Mecque sous l’égide du roi Abdallah d’Arabie
saoudite, dont l’activisme diplomatique est à remarquer, aussi
bien au Liban que sur le dossier irakien. L’accord est fondé
sur deux textes : la lettre de Abou Mazen chargeant Ismaïl
Haniyeh de former le gouvernement et
que j’ai publiée sur ce blog ; le document d’entente
nationale (voir sur ce blog « incertitudes
sur la levée du blocus en Palestine », élaboré à
partir du document des prisonniers palestiniens dans les prisons
israéliennes et ratifié par les deux organisations en juin 2005.
Dans un long entretien à la télévision
saoudienne Al-Ikbariyya, en date du 12 février, Khaled Meshal,
dirigeant du Hamas revient sur cet accord (on trouvera le texte
anglais en intégral en document joint à cet envoi). Il déclare :
« Nous n’avons pas seulement besoin d’un
gouvernement d’unité nationale, mais nous avons besoin de plus,
d’un partenariat réel sur le terrain, sur la politique, sur les
positions que nous défendons et dans les responsabilités que
nous assumons, en particulier parce que nous sommes encore au
stade de la libération nationale et de la confrontation avec
l’occupation... »
Sur le programme politique du gouvernement, Meshal
affirme que « n’est pas le programme
d’une faction particulière. Ni celui du Fath ni celui du Haas,
ni un autre programme, mais le gouvernement sera basé sur un
programme politique qui est le dénominateur commun de toutes les
factions ». « Chaque faction a ses
convictions, mais, comme gouvernement d’union nationale, nous
nous sommes mis d’accord sur ses bases politiques et celles-ci définissent
nos but nationaux et ce à quoi nous aspirons, un Etat palestinien
dans les frontières du 4 juin 1967. » Cette affirmation
est très importante, et elle confirme l’évolution du Hamas,
malgré son refus de reconnaître formellement l’Etat d’Israël
(sur ce problème, on pourra lire l’excellent article de Paul
Delmotte paru dans le numéro de janvier du Monde
diplomatique et intitulé « Le
Hamas et la reconnaissance de l’Etat d’Israël. »
Ce pas en avant du Hamas est reconnu par le
journaliste Zvi Bar’el, dans Haaretz du 11 février,
« Khaled
Meshal for president » (Khaled Meshal comme président).
Bar’el note que « Israë fait face à une
nouvelle réalité palestinienne, une réalité dans laquelle le
Hamas est un partenaire essentiel puisqu’il a fait un pas
significatif vers la reconnaissance d’Israël ». « Il
devient de plus en plus clair à Abou Mazen, mais aussi à l’Arabie
saoudite et à l’Egypte, que désormais chaque décision
palestinienne sera soumise au veto ou à l’accord de Khaled
Meshal. Si, jusqu’à présent, Meshal était uniquement capable
de donner le ton des décisions du Hamas, à partir de maintenant
Abbas et Meshal devront se coordonner sur le terrain. Le pouvoir
de Meshal grandira encore si les deux parties avancent sur des
discussions pratiques autour de la réorganisation de l’OLP. »
Pour la droite israélienne comme pour les
Etats-Unis, il est évident que le Hamas est le grand gagnant de
l’accord. « Why
Hamas came out clear winner from Mecca summit »
(pourquoi le Hamas est le grand vainqueur du sommet de La Mecque),
tel est le titre d’un article de Khaled Abu Toameh, dans The
Jerusalem Post du 11 février. Il note notamment que le
sommet de La Mecque a renforcé le rôle du Hamas comme une force
politique majeure au Proche-Orient. Il se termine par cette
curieuse remarque : « L’accord
n’appelle à effectuer aucun changement dans le conseil législatif
dominé par le Hamas. Cela signifie que le gouvernement d’unité
sera en permanence sous la menace de perdre un vote de confiance
si le Hamas n’approuve pas sa politique. » Le
journaliste suggère-t-il que la composition du conseil, définie
par les électeurs au scrutin de janvier 2005 aurait dû être
changée sans consulter la population ?
« U.
S. the Big Loser in the Mecca Deal ? » (Les
Etats-Unis sont-ils le grand perdant dans l’accord de La Mecque ?)
s’interroge Elaine Shannon dans le Time.
Dans ce texte, Martin Indyk, ancien ambassadeur américain en Israël
affirme que l’accord est un « immense
embarras » pour Rice ; il poursuit en disant que ce
texte n’est pas à ce à quoi pensait l’administration américaine :
« Ils espéraient que Abou Mazen, soutenu
par l’Egypte et l’Arabie saoudite, avancerait sur la voie de
l’exclusion du Hamas. Ils ne s’attendaient pas à un compromis
avec le Hamas. Ils ne voulaient pas ce compromis et ils ne
pensaient pas que celui-ci était nécessaire. »
Surtout, Indyk pense, à juste titre me semble-t-il, que
l’accord s’inscrit contre les efforts de l’administration
Bush de forger une solide alliance des pays modérés arabes,
dirigée notamment contre l’Iran.
La cacophonie des réactions des membres du
Quartet est significative. Alors que les Etats-Unis ont réitéré
leurs exigences (reconnaissance d’Israël, arrêt de la violence
- par les Palestiniens seulement ! – et acceptation des
accords déjà signés), la Russie, selon une dépêche de l’AFP
du 9 février, « a salué vendredi
l’accord entre les mouvements palestiniens Fatah et Hamas sur la
formation d’un gouvernement d’union nationale et invité le
Quartette à discuter dans ce nouveau contexte d’une levée du
"blocus" économique imposé aux Palestiniens.
"Moscou salue l’accord sur la formation d’un gouvernement
d’union nationale", a déclaré le porte-parole du ministère
russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Kamynine, cité par les
agences russes. "Nous estimons que seule une telle voie peut
conduire à la stabilisation dans les territoires palestiniens et
autour d’eux", a-t-il ajouté, selon Itar-Tass. Moscou a
estimé que le Quartette (Etats-Unis, Union Européenne, Russie et
ONU) devrait étudier attentivement cet accord et discuter de la
question du "blocus" économique, alors que le
gouvernement du Hamas est privé d’aides financières par les
Etats-Unis et l’UE depuis sa prise de fonctions en mars 2006 ».
Selon un dépêche de l’AFP du 10 février, « Jacques
Chirac a estimé samedi, dans un entretien téléphonique avec le
roi Abdallah d’Arabie saoudite, que l’accord entre le Fatah et
le Hamas sur un gouvernement d’union "doit recevoir le
plein soutien de la communauté internationale", a rapporté
l’Elysée. Le président Chirac a "chaleureusement félicité"
le roi pour l’accord "conclu sous son égide", jeudi
à La Mecque, par le président Mahmoud Abbas, du Fatah, et le
chef en exil du Hamas, Khaled Mechaal, et "a exprimé
l’espoir que cet accord mette fin aux affrontements entre
Palestiniens". Il "a estimé que l’accord, qui
constitue un premier pas dans la prise en compte des principes du
Quartette, doit recevoir le plein soutien de la communauté
internationale" ».
En attendant sa réunion du 22 février à Berlin,
«
le Quartet réserve son jugement. ». On en saura un peu
plus avec la réunion Olmet-Abou Mazen-Rice le 19 février.
Quoiqu’il en soit, les Palestiniens sortent
renforcés de cet accord. Même si beaucoup d’obstacles
demeurent à sa mise en oeuvre, le texte signé a mis fin aux
combats fratricides et créé les bases d’une unité des
Palestiniens qui devrait permettre de lutter plus efficacement
pour leurs droits.
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