Carnets du diplo
Changer la politique étrangère
française ?
Alain Gresh
13 septembre 2007
Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, une offensive se développe
pour que la France se débarrasse de l’héritage gaulliste en
politique étrangère. Cette offensive s’appuie sur le virage
pro-américain du président de la République tel qu’il s’est
exprimé dans son discours sur la politique étrangère que j’ai
critiqué dans un envoi précédent. Un nouveau livre d’Isabelle
Lasserre, rédactrice en chef adjointe au Figaro, L’impuissance
française, reprend toutes les accusations-poncifs contre les
choix français depuis des décennies : compromissions
africaines, relations particulières avec les autocrates du
Proche-Orient, antiaméricanismes, etc. Dans une tribune du
journal Les Echos du 12 septembre, « Politique
étrangère : la fin du "consensus" »,
Laurent Cohen-Tanugi s’en prend à l’analyse
de Hubert Védrine.
« Pour convaincre, en ces temps de « rupture »,
de la nécessité de conserver une politique étrangère nationale
ambitieuse, Hubert Védrine s’en prend en effet sur un ton exagérément
défensif aux supposés ennemis d’une telle ambition : les
« européistes » (ou fédéralistes européens) d’un
côté, les « atlantistes » - rebaptisés « occidentalistes »
par référence à la problématique huntingtonienne du « choc
des civilisations » - de l’autre. Or, si tant est qu’il
ait jamais prôné la fin des diplomaties nationales, le mouvement
fédéraliste européen est aujourd’hui pratiquement mort. Quant
à la nouvelle inspiration euro-atlantiste résultant d’une
analyse lucide du monde du XXIe siècle, elle n’aspire que dans
l’esprit de ses détracteurs à inféoder la politique étrangère
de la France (ou celle de l’Europe) à Washington. Il s’agit
plutôt de construire une France forte dans une Europe assez forte
pour que l’une et l’autre soient des alliés pertinents et
respectés des Etats-Unis. »
Au moins, sur un point, on peut être d’accord avec
Cohen-Tanugi :
« Le discours de Nicolas Sarkozy innove, plus que
l’on ne l’a généralement souligné, par rapport à la
tradition diplomatique gaullienne, en rejetant l’opposition stérile
entre ambition européenne et solidarité atlantique, Europe de la
défense et Otan, mais aussi en renouvelant la vision
traditionnelle de nos rapport avec le monde arabe et le continent
africain, et en affirmant haut et fort nos valeurs et nos intérêts
de Français, d’Européens et d’Occidentaux, face aux menaces
qui les visent. »
C’est bien un tournant qui s’amorce, on aurait tort d’en
sous-estimer les conséquences pour la France. Deux autres
remarques : ce tournant n’est en rien soutenu par une
majorité de la population, au contraire ; ce rapprochement
avec Washington s’amorce au moment même où la faillite de la
politique américaine dans le monde n’a jamais été aussi
flagrant.
On lira aussi l’entretien
que Bernard Kouchner a donné au quotidien israélien Yedioth
Ahronot du 7 septembre. Notons sa prudence sur le Darfour :
« Attention aux fausses évidences sur le Darfour,
c’est un dossier complexe. On a exagéré parfois, même si
l’on a bien fait d’attirer l’attention sur un massacre
inacceptable, sur les réfugiés en masse et les personnes déplacées,
record du monde des malheurs. » En revanche, il justifie
le bombardement par l’aviation isralienne du réacteur irakien
Osirak en 1981 (un technicien français fut tués) et se prépare
au pire en Iran :
Q - Quand Begin a bombardé le réacteur nucléaire en Irak,
tout le monde l’a condamné…
R - « Mais il avait raison ! Cela ne l’a pas
empêché d’être un homme de paix. Il a bombardé mais il
voulait aussi la paix et savait qu’il n’y a pas de solution
militaire. »
Q - Mais peut-être que sur la question iranienne le choix
sera, comme l’a dit le président Sarkozy, "la bombe ou le
bombardement". Peut-être n’y aura-t-il pas d’autre
solution ?
R - « J’espère que nous n’en arriverons jamais là.
Il y a encore de nombreuses autres solutions à envisager, de
voies à explorer, des pourparlers de paix à mener. Ce sera
l’honneur de la diplomatie que de se montrer obstinée. Ecoutons,
écoutons, négocions, négocions toujours et préparons-nous au
pire. »
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