Les blogs du Diplo
Propagande et
désinformation à l'israélienne (I)
Alain Gresh
Alain Gresh
Mercredi 13 janvier 2010
Je signalais, dans un précédent envoi, cet article de Serge
Dumont dans le quotidien suisse Le Temps (8 janvier) : « Israël
muscle sa riposte sur le Net ». On y lisait notamment :
« Peu après la fin de l’opération “Plomb durci” (l’invasion de
la bande de Gaza en janvier dernier), Tzipi Livni, alors
ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement d’Ehoud
Olmert, a rapidement pris conscience de l’ampleur de la vague de
protestations soulevée par la destruction massive des
infrastructures civiles palestiniennes. Elle a alors autorisé
son département à recruter des jeunes fans d’informatique
pratiquant parfaitement une ou plusieurs langues étrangères afin
de répondre aux critiques qui fusaient dans les blogs ainsi que
dans le courrier électronique des grands journaux européens et
américains. »
Au-delà, c’est toute une entreprise de propagande qui se met en
place à partir d’Israël. Et elle se traduit par un manuel
diffusé par
The Israel Project, une officine de désinformation très
professionnelle, et dont l’exergue est : « Pour la liberté, la
sécurité et la paix » – celle des Israéliens, bien sûr, et d’eux
seuls. Ce manuel s’intitule
The Israel Project’s 2009. Global Language Dictionary
(PDF) et est destiné à la propagande aux Etats-Unis, mais ses
« règles » s’appliquent sans doute ailleurs.
C’est un document d’une centaine de pages, divisé en dix-huit
chapitres. Curieusement, il porte la mention « interdit à la
distribution et à la publication ». Il semble que ce texte
n’était donc pas destiné à être diffusé largement.
Le premier chapitre s’intitule « 25 règles pour une
communication efficace ». Règle n° 1, « manifester de
l’empathie pour les deux parties ! Le but de la communications
pro-Israël ne vise pas seulement les gens qui aiment déjà
Israël. Le but est de gagner de nouveaux cœurs et les esprits
d’Israël, sans perdre le soutien qu’Israël a déjà. Pour ce
faire, vous devez comprendre que le cadre à partir duquel la
plupart des Américains voient Israël est un “cycle de violence
qui dure depuis des milliers d’années”. Ainsi, vous avez à
désarmer leurs soupçons. (...) La première étape est de
montrer que vous voulez la paix A LA FOIS pour les Israéliens et
les Palestiniens, et notamment pour les enfants. (...) Et
il faut ouvrir vos propos par l’affirmation que Israël veut un
meilleur futur à la fois pour les Israéliens et les
Palestiniens. (...) Si, au centre de votre communication,
vous montrez du doigt en disant “Israël a raison, ils ont tort”,
vous perdrez plus que vous ne gagnerez ».
Règle n° 6 : « Soyez attentif à votre ton. Un ton
protecteur, paternaliste, détournera les Américains et les
Européens. Nous sommes à un moment dans l’histoire où les Juifs
en général (et les Israéliens en particulier) ne sont plus
perçus comme le peuple persécuté. En fait, dans le public
américain et européen – le public sophistiqué, éduqué, aux idées
arrêtées, non-juif –, les Israéliens sont souvent considérés
comme les occupants et les agresseurs. Dans ce cadre, il est
essentiel pour les messages de porte-parole pro-israéliens de ne
pas apparaître comme hautains ou condescendants. »
Et, le texte donne, comme pour chaque règle, « les mots qui
ne marchent pas » :
« “Nous sommes prêts à leur permettre de construire”...
Les Israéliens ne peuvent pas “autoriser” les Palestiniens à
aller de l’avant. Ils ne peuvent pas “permettre” ou “contrôler”
ou “ordonner” aux Palestiniens d’établir un commerce, un
transport, ou un gouvernement. Si les Palestiniens sont à
considérer comme un partenaire de confiance sur la voie de la
paix, ils ne doivent pas être subordonnées, dans la perception
ou dans la pratique, par les Israéliens. (...) »
Règle n° 10. « Tracer un parallèle entre Israël et les
Etats-Unis, y compris la nécessité de combattre le terrorisme.
(...) Le langage d’Israël est celui de l’Amérique :
démocratie, liberté, sécurité et paix. » Les Palestiniens,
les Irakiens et les Afghans, parmi d’autres, sont payés pour le
savoir.
Règle n° 11. « Ne parlez pas de religion. Les Américains
qui considèrent la Bible comme document de référence sur les
affaires étrangères sont déjà partisans d’Israël. Les
fondamentalistes religieux sont tout acquis à Israël
(« Israel’s Amen Choir ») et ils représentent environ un
quart du public américain, et les amis les plus solides d’Israël
dans le monde. Toutefois, certains de ceux qui sont les plus
susceptibles de croire qu’Israël est un Etat religieux sont les
plus hostiles à Israël (“ils sont tout aussi extrémistes que les
pays arabes qu’ils critiquent”). Malheureusement, presque toute
discussion sur la religion ne fera que renforcer cette
perception. Par conséquent, même la mention du mot “juif” dans
le contexte d’Israël va déclencher une réaction négative – et la
défense d’Israël comme un “Etat juif” ou “Etat sioniste” sera
mal reçue. (...) »
Règle n° 15. Utiliser des questions rhétoriques.
En voici quelques exemples :
« - “Comment puis-je faire la paix avec un gouvernement
qui veut ma mort ?”
“Comment
puis-je faire la paix avec une population à qui sont enseignés
ces mots - haïr les Juifs, pas seulement des Israéliens - dès sa
naissance ? »
« Règle 17. K.I.S.S. (Keep It Simple, Stupid) et répétez
encore et encore. Une règle essentielle de la communication
réussie est “Keep It Simple, Stupid” (faites simple). Une
communication réussie ne consiste pas à réciter chaque fait de
la longue histoire de conflit israélo-arabe, mais à pointer
quelques principes de base sur des valeurs partagées comme la
démocratie et la liberté et à les répéter encore et encore. »
« Règle n° 21. Concédez un point. Recherchez des occasions
dans chaque débat télévisé ou interview de concéder un point au
journaliste ou à la personne avec laquelle vous débattez. Le
point est de ne pas de miner l’une des bases essentielles de la
politique étrangère d’Israël. Mais les simples mots “vous avez
un bon argument” font merveille auprès d’un public »
Et, pour terminer le tout, l’inévitable référence à
l’holocauste et à la nécessité qu’il ne se reproduise pas...
Le chapitre 2 est consacré aux mots et les phrases qu’il faut
utiliser, c’est un régal...
« “Tirer délibérément des roquettes sur des communautés
civiles” : Combinez le motif terroriste avec la vision de civils
et vous avez la parfaite illustration de ce à quoi Israël fait
face à Gaza et au Liban. A utiliser en particulier en ce qui
concerne les tirs de roquettes, mais aussi utile pour tout type
d’attaque terroriste, “délibéré” est le mot juste à utiliser
pour rappeler l’intention derrière derrière les attentats. Ceci
est beaucoup plus fort que de décrire les attentats comme
“aveugles”.
“Diplomatie économique” : beaucoup plus global et plus
populaire que le terme de “sanctions”. »
(...)
« “Humaniser les roquettes”. Peindre une image vivante de
ce qu’est la vie dans les communautés israéliennes qui sont
vulnérables aux attaques. Oui, vous pouvez citer le nombre
d’attaques à la roquette qui ont eu lieu. Mais faire suivre ceci
immédiatement par la description du voyage nocturne vers l’abri
souterrain.
“Si ... Si ... Si ... Alors” : Faites porter au Hamas la
responsabilité du premier pas pour la paix par l’utilisation du
“si” (et n’oubliez pas de terminer avec un clair “alors”, pour
montrer qu’Israël est un partenaire pour la paix). “Si le Hamas
se réforme... Si le Hamas reconnaît notre droit à exister... Si
le Hamas renonce au terrorisme... Si le Hamas soutient les
accords de paix internationaux... alors nous sommes disposés à
faire la paix aujourd’hui.” » (...)
« “L’islam militant” : Ceci est le meilleur terme pour
décrire le mouvement terroriste. Evitez les termes comme
“islamo-fascisme” qui rappellent la période Bush. » (...)
« “Personne ne doit être obligé de quitter sa maison” :
Ceci est la phrase la plus gagnante dans le lexique qui concerne
les colonies de peuplement. Utiliser le principe de “mutuel”
pour expliquer que, tout comme les Israéliens arabes ne
devraient pas quitter leurs maisons en Israël, les juifs d’un
nouvel Etat palestinien doivent être autorisés à rester dans
leurs maisons, eux aussi.
“Une étape à la fois, une journée à la fois” : Il est
essentiel de réduire les attentes et de réduire la pression sur
Israël pour qu’il se précipite dans un accord qui soit n’est pas
dans son intérêt, soit met en danger sa sécurité. Le principe
“un pas à la fois” sera accepté comme une approche de bon sens
dans la mise en œuvre du principe de l’échange des territoires
contre la paix. »
Je reviendrai dans un autre envoi sur d’autres aspects de ce
document.
Les analyses d'Alain
Gresh
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