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Défaite de l'opposition au Liban
Alain Gresh

Jeudi 11 juin 2009 Quelles qu’en soient les raisons, sur
lesquelles nous reviendrons, l’élection du 7 juin a confirmé le
maintien de la majorité autour du Courant du Futur dirigé par
M. Saad Hariri et la défaite de l’alliance entre le Hezbollah et
le Courant patriotique libre du général Michel Aoun. Cette
alliance espérait l’emporter, or elle n’a pas pu obtenir la
majorité et a simplement maintenu ses positions et son nombre de
députés.
Hassan Nasrallah a reconnu cette défaite dans une allocution
reprise par la télévision Al-Manar le 8 juin :
« Nous acceptons les résultats annoncés par le ministère
de l’intérieur. Les candidats auront, bien évidemment, le droit
de contester les résultats devant le Conseil constitutionnel
s’ils ont des raisons de le faire. C’est une autre question.
Nous acceptons les résultats avec esprit sportif et un esprit
démocratique. Nous acceptons aussi que le camp adverse a gagné
la majorité des sièges de la chambre des députés, même si
l’opposition a gardé le même nombre de sièges. Elle a perdu dans
certaines circonscriptions et gagné dans d’autres. Nous, bien
sûr, nous acceptons les résultats qui ont donné à l’autre camp
la majorité parlementaire. Quant à la majorité populaire, les
centres de recherche et de statistiques détermineront qui a eu
le plus grand nombre de voix. Comme nous avons tous appelé à la
participation et à l’opinion des électeurs, de telles études
nous aideront à connaître la majorité populaire. Si cette
majorité va à l’autre camp, je le reconnaîtrai. »
En fait, les résultats obtenus depuis, confirment que
l’alliance Hezbollah-Michel Aoun obtient plus de 100 000 voix
d’avance sur l’autre camp (c’est ce que reconnaissent le
quotidien The Daily Star du 10 juin dans son éditorial « Nasrallah
is walking a think line when it comes to Lebanese elections »
ainsi que la télévision Al-Manar, qui rapporte le 9 juin que
selon une étude du Beirut Centre for Research and Information
839 371 personnes ont voté pour l’opposition et 693 931 pour la
majorité).
D’après le quotidien Al-Akhbar du 10 juin, le Courant
patriotique libre a perdu plus de 10 % des suffrages par rapport
aux élections de 2005 (où il se présentait tout seul, Aoun
auréolé de son long exil à Paris et de son refus de revenir au
Liban avant le départ de la Syrie) mais resterait la force
majoritaire chez les chrétiens, avec plus de 50 % des voix.
D’après ce même article, 120 000 Libanais de l’extérieur
seraient venus voter, 80 000 auraient été amenés par la
majorité, 30 000 par l’opposition, et le reste serait venu par
ses propres moyens.
Qifa Nabki, un blogueur libanais qui, comme la plupart des
commentateurs, avait pronostiqué la victoire du Hezbollah et du
général Aoun, donne les trois raisons qui expliquent les
résultats (« Anatomy
of a Victory », 8 juin).
« Je sais que de nombreux membres de l’opposition vont
faire porter leur échec sur le patriarche maronite qui a publié
un communiqué quelques jours avant les élections qui semblait
admonester les chrétiens pour qu’ils votent pour les listes du
14 mars. Mais quand nous voyons que le Courant patriotique libre
(du général Aoun) s’est très bien comporté au cœur du pays
maronite au Kisrouan, Jbeil, Baabda, Zghorta et dans le Metn, je
ne suis pas sûr que cette observation tient la route.
Plus décisif, à mon avis, ont été trois facteurs. 1) La
participation massive des sunnites de Zahle – dont beaucoup sont
venus de l’étranger –, et une faible participation des
chrétiens ; 2) Une forte hostilité des chrétiens de Beyrouth au
Hezbollah, chrétiens qui ont voté massivement pour les listes du
14 mars dans le quartier d’Achrafiyyeh ; 3) Quelques étonnantes
gaffes de Nasrallah durant les dernières semaines, qualifiant
les événement
du 7 mai de “jour de gloire de la résistance”. »
Sur son blog, « Just World News, » Helena Cobban rappelle (« M-14
win in Lebanon », 8 juin) :
« Le principal affrontement n’était pas, comme beaucoup de
commentateur occidentaux l’ont écrit, entre le Hezbollah et ses
opposants. A cause du système ouvertement faussé et
discriminatoire du système politique libanais, les musulmans
chiites qui est la plus importante communauté religieuse au
Liban, environ 40 %, n’a qu’un nombre réduit de sièges dans le
parlement confessionnel. (...)
Le principal affrontement était à l’intérieur d’une
communauté chrétienne sur-représentée au parlement. Ici, les
alliés du Hezbollah, le Courant patriotique libre, a perdu face
aux supporteurs du 14 mars qui sont les membres de “familles”
très implantées dans le système politique et d’ardents
défenseurs du système actuel de privilèges accordés aux
chrétiens. »
Paul Salem, dans son commentaire publié par Carnegie
Endowment for World Peace, le 9 juin (« In
Lebanon’s Politics, Four Years Is An Eternity ») explique :
« Il y a des raisons de croire que le Hezbollah n’est pas
mécontent des résultats. Si la coalition à laquelle il participe
avait gagné, il aurait été immédiatement confronté à de nombreux
défis. Les Arabes et la communauté internationale auraient réagi
de manière négative, mettant en danger les relations politiques
et économiques du Liban et accélérant des pressions économiques.
Israël aurait proclamé que les résultats confirmaient la
domination du Hezbollah sur l’Etat libanais, rendant le groupe
plus vulnérable à des attaques. Si la coalition du 8 mars
l’avait emporté, cela aurait été grâce au général Michel Aoun
qui aurait ensuite demandé des contreparties, notamment son
élection à la tête de l’Etat, ce que ni le Hezbollah ni Amal ne
pourraient appuyer. »
Cette analyse me semble assez pertinente et illustre le
dilemme du Hezbollah depuis son engagement sur la scène
politique libanaise au début des années 1990. Le parti se
définit d’abord comme une organisation de résistance (à Israël
et aux Etats-Unis), ensuite comme un parti libanais. Mais
comment concilier les deux ? Le Hezbollah préfère ne pas
s’impliquer trop dans les affaires libanaises (il n’avait qu’un
siège dans le gouvernement, ayant laissé les quatre autres
auxquels il avait droit à ses alliés), sauf en ce qui concerne
son droit à porter les armes face à Israël. Une telle attitude,
si elle est compréhensible, est aussi préjudiciable, car le
parti s’engage peu sur les enjeux proprement libanais : question
sociale, politique économique, confessionnalisme, etc.
Les lecteurs arabophones pourront lire
le commentaire de Nahla Chahhal dans le quotidien libanais
Al-Akhbar du 10 juin, analyse très fine de la situation
libanaise après les élections et aussi des contradictions du
Hezbollah.
Sur son blog, Syria Comment, Joshua Landis examine, le
8 juin, les réactions des autorités syriennes (« Syrians
Silent and Disappointed but Ready to Put Lebanon Behind Them ») :
« Le quotidien Al-Watan titre à la Une “l’argent politique
gagne les élections au Liban”. Quelles sont les conséquences de
cette victoire ? Cela dépendra beaucoup du 14 mars et de savoir
s’il voudra réécrire les accords de Doha et se débarrasser de la
minorité de blocage dont dispose l’opposition, comme Hariri a
dit qu’il le ferait. (...) A mon avis, toute tentative de
revenir sur les accords de Doha ramènera le pays à la situation
de tension qui a précédé ces accords et sera donc abandonnée.
Personne n’aura la détermination pour mener une telle politique,
ni à Washington, ni à Riyad, ni à Damas ni à Téhéran. La période
Obama a changé les choses et la Syrie se prépare à s’engager
avec les Etats-Unis. »
Les relations entre les deux pays, poursuit Landis, ont été
suspendues aux résultats des élections et désormais, Washington
pourrait envoyer George Mitchell à Damas, d’autant que le camp
des durs y est affaibli par la défaite du Hezbollah. Les
Etats-Unis pourraient aussi renvoyer un ambassadeur en Syrie.
« Un lobby pour la paix influent est en train de prendre
racine à Damas. De plus en plus de Syriens font de l’argent à
cause du processus de libéralisation (...) et ils
prennent conscience du prix que coûte la “résistance”. De ce
point de vue, ils ne sont pas très différents des Libanais. ».
Mais personne n’est prêt à abandonner la revendication du Golan.
« L’obstacle libanais a été franchi à la satisfaction de
Washington. Si un gouvernement de coalition est formé à Beyrouth
sans trop de difficultés et sans qu’on assiste à une escalade de
menaces, le Liban ne sera plus un obstacle sur la voie de
l’amélioration des relations américano-syriennes. »
L’agence d’information syrienne Sana a publié un commentaire
de la conseillère du président Buthaynah Sha’ban le 9 juin
disant que les élections étaient une affaire intérieure
libanaise. Elle a ajouté que la Syrie est encouragée par
l’esprit de réconciliation et d’entente qui a prévalu parmi les
partis libanais après la proclamation des résultats.
La presse syrienne du 10 juin était d’ailleurs assez positive
sur les élections.
La presse israélienne a aussi annoncé que la Syrie était
prête à reprendre
les négociations indirectes avec Israël sous l’égide de la
Turquie.
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