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Afghanistan, fraude
avérée et bavures persistantes
Alain Gresh

Alain Gresh
Jeudi 10 septembre 2009 Dans
son discours devant les ambassadeurs, fin août, le président
Nicolas Sarkozy déclarait : « En Afghanistan, je partage
l’analyse de Bernard Kouchner : la campagne électorale s’est
bien déroulée, en dépit des pires menaces. En votant, les
Afghans ont dit non à la barbarie et au terrorisme. Aller voter,
c’est aller mettre votre doigt dans l’encre indélébile quand des
gens à longueur de journée vous disent que ceux qui auront de
l’encre sur les doigts, on leur coupera la main… Et les talibans
sont crédibles quand ils disent cela compte tenu de ce qu’est
leur bilan. Et malgré cela, des millions de gens se sont rendus
aux urnes. Ils méritent qu’on les aide. Dans l’attente des
résultats, la France appelle les candidats et leurs partisans à
faire preuve d’un très grand sens des responsabilités. »
Pourtant tout le monde savait déjà, sauf, semble-t-il,
MM. Sarkozy et Kouchner, que ces élections avaient été
massivement truquées. « L’Afghanistan
en pleine confusion post-électorale », titre lemonde.fr, le
9 septembre, un article de son envoyé spécial Frédéric Bobin :
« La confusion restait extrême à Kaboul, mardi 8
septembre, alors que la commission électorale dite
“indépendante” tirait sa dernière salve de résultats partiels
portant sur 91,6 % des suffrages exprimés. M. Karzaï en
recueille 54,1 % et son principal rival, Abdullah Abdullah,
28,3 %. Les résultats portant sur l’intégralité des bulletins
devraient être annoncés dans les prochains jours. Mais les
allégations de fraude – bourrage des urnes en faveur de M. Karzaï
– sont telles que les chiffres rendus publics par la commission
électorale vont faire l’objet de corrections, rendant du coup
aléatoire une réélection du président sortant dès le premier
tour. La formidable épreuve de force qui enfièvre actuellement
Kaboul porte sur la mise en scène des réajustements à venir.
Quelle instance devra les annoncer ? La question est
d’importance, car elle va conditionner le processus politique
qui suivra.
La stratégie de M. Karzaï a gagné en clarté. Le chef de
l’Etat a exercé une intense pression sur la commission
électorale dont il a nommé le président – Azizullah Lodin, un
ancien conseiller -, afin qu’elle annonce des résultats bruts de
toute correction, c’est-à-dire proclame sa victoire dès le
premier tour. La tactique semble de “refiler le mistigri” –
selon la formule d’un diplomate occidental – des inévitables
réajustements à une seconde instance, la commission des
plaintes, mandatée pour examiner les allégations de fraudes et
donc habilitée à annuler les bulletins les plus suspects. »
Ce que la presse internationale souligne, c’est l’ampleur des
fraudes en faveur de Karzaï.
« Fake Afghan Poll Sites Favored Karzai, Officials Assert »,
expliquent Dexter Filkins and Carlotta Gall dans le New York
Times du 8 septembre, qui font parler divers observateurs
dont l’un affirme que 15 % des bureaux de vote n’ont jamais
ouvert et ont pourtant transmis des résultats favorables à
Karzaï. Par ailleurs, 800 bureaux, ouverts ceux-là, ont été pris
en main par des partisans de Karzaï qui ont bourré les urnes.
Selon les journalistes, les Etats-Unis ont transmis un message
clair à Karzaï : ne vous proclamez pas vainqueurs.
Ces tensions entre l’administration Obama et Karzaï ne sont
pas nouvelles. Le président Obama a hérité de l’homme mis en
place par le président George W. Bush, mais il ne sait comment
s’en dépêtrer. C’est sans doute pourquoi le président Karzaï
prétend que c’est parce qu’il est indépendant que les Etats-Unis
lui en veulent !
Dans un entretien au Figaro du 7 septembre, le
président Karzaï affirme, sans rire,
« Je ne serai pas une marionnette des États-Unis » :
« Très décevante est la manière dont les médias
britanniques et américains ont manqué de respect à l’égard de
ces élections. Songez aux 22 collaborateurs de la Commission
électorale qui ont trouvé la mort dans ce processus démocratique
honni par les talibans ! Songez aux policiers afghans et aux
soldats de l’Otan qui ont été tués ! Ces journalistes cherchent
à délégitimer le futur gouvernement afghan. Si cette
manipulation médiatique a pour but d’installer un gouvernement
de marionnettes, cela ne marchera pas. En Afghanistan, les
marionnettes n’ont jamais porté chance à leurs maîtres
étrangers. Par le passé, les empires britannique et soviétique
ont essayé. Cela a échoué lamentablement ! J’espère que les
Américains n’essaieront pas la même chose, car ils
s’exposeraient au même destin ! »
Si l’ampleur des fraudes soulève débat dans l’administration
américaine, la France, elle, reste bien silencieuse. Le
7 septembre,
le porte-parole du Quai d’Orsay déclarait : « Alors que
les élections en cours devraient permettre de franchir une
nouvelle étape dans l’histoire de l’Afghanistan, il est naturel
de faire évoluer les modalités de la relation entre la
communauté internationale et les prochaines autorités afghanes.
Celles-ci devront assumer progressivement davantage de
responsabilités dans la stabilisation et le développement du
pays. » Quelques jours plus tard, Paris confirmait la tenue
d’une conférence internationale sur l’Afghanistan pour
consolider les succès !
Parmi les « succès », la poursuite des bavures, que l’OTAN
regrette chaque fois et qu’elle recommence régulièrement. « L’OTAN
admet que le raid dans la région de Kunduz a tué des civils »
titre lemonde.fr le 8 septembre. Ce raid a fait une centaine de
morts, dont un nombre indéterminé de civils. Ordonné par un
officier allemand, cette action de l’aviation a soulevé un grand
débat en Allemagne. « La CDU et le SPD font cause commune sur
l’Afghanistan » (lemonde.fr, 9 septembre, Marie de Vergès) :
« Voilà déjà plusieurs mois que le déploiement sur les
contreforts de l’Hindou Kouch bat des records d’impopularité :
près des deux tiers des Allemands souhaitent le retrait des
4 200 soldats engagés sur place. Seul parti à demander
ouvertement le départ des troupes, la gauche radicale, Die
Linke, a réclamé la démission de M. Jung. « L’engagement ne sert
pas la paix et n’est pas approprié pour combattre le terrorisme
international », a attaqué, mardi, son chef de file, Oskar
Lafontaine.
La polémique ne devrait en tout cas pas contribuer à
départager la CDU du SPD. Liés au gouvernement depuis 2005, les
deux partis font front commun. Agacée par les critiques émises
ces derniers jours par plusieurs pays européens, y compris la
France, Mme Merkel a demandé, mardi, d’attendre que l’enquête
soit bouclée. “Nous n’acceptons pas les jugements hâtifs (...)
que ce soit ici ou à l’étranger”, a-t-elle décrété, soutenue par
son propre challenger aux élections législatives, le ministre
des affaires étrangères et chef du SPD, Frank-Walter Steinmeier.
A l’unisson, les deux adversaires ont défendu le bien-fondé de
la mission en Afghanistan. Et refusé, l’un comme l’autre, de se
prononcer sur un calendrier précis de retrait des troupes. »
Le problème c’est que les « bavures » sont la conséquence
inéluctable des guerres coloniales. (Lire « Afghanistan,
Irak, quand la mort vient du ciel »). Des armées étrangères
qui sont coupées des populations locales, qui n’ont souvent que
des informations de seconde ou troisième main, et qui, de plus,
rechignent à se déployer sur le terrain de peur de perdre des
soldats et d’aggraver le rejet du conflit par les opinions
publiques occidentales, ne peuvent faire autrement que de
« bombarder de loin ».
Quoiqu’il en soit, un véritable débat s’est engagé aux
Etats-Unis sur l’utilité de cette guerre. Eric Schmitt et Scott
Shane, dans le New York Times du 7 septembre y reviennent
sous le titre
« Crux of Afghan Debate : Will More Troops Curb Terror ? ».
On lira aussi, Richard Haas, un ancien haut responsable de
l’administration Bush (père), président du Council of Foreign
Relations, qui affirme que la guerre en Afghanistan n’est pas un
guerre « de nécessité » mais une « guerre de choix », choix
qu’il accepte jusqu’à un certain point (« In
Afghanistan, the Choice Is Ours, », The New York Times,
20 août). A quand un tel débat en France ?
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