Les blogs du Diplo
Les vues cyniques d'un stratège israélien
Alain Gresh

Dimanche 8 mars 2009 Helena Cobban, auteure de plusieurs
livres sur le Proche-Orient (dont un sur l’OLP), tient un
excellent blog,
Just
World News. Elle a séjourné récemment en Palestine et en
Israël. Dans l’un de ses envois, en date du 3 mars, elle raconte
son entretien avec
Efraim Inbar, directeur du Begin-Sadat Center for Strategic
Studies à l’université Bar-Ilan University, qui a souvent
conseillé les dirigeants du Likoud : « Likud
strategic thinker Inbar’s self-confident view of the world ».
« Je lui ai demandé son évaluation des chances d’un
processus de paix israélo-palestinien. “Le facteur le plus
important pour nous n’est pas les Arabes mais les Américains",
a-t-il répondu. Et, franchement, personne ne croit
sérieusement à cela. Même à
Annapolis, en dépit de toute la belle rhétorique sur la
nécessité d’aboutir à un accord avant la fin de l’année (2008),
en fait leur seul but était un “accord pour les étagères”,
c’est-à-dire un accord qui reste sur les étagères un temps
indéfini.” »
« “La solution des deux Etats est une solution du passé, car
les Palestiniens ne sont pas au niveau. Le seul moyen pour
qu’elle puisse marcher serait qu’elle ait l’appui des
Palestiniens et que leur Etat ait le monopole de la violence, ce
que l’Autorité palestinienne n’a pas.” »
(...)
« Il dit ensuite :“Nous ne pouvons abandonner la
Cisjordanie parce que c’est trop près du cœur de notre pays.
Gaza, c’est OK, parce que c’est loin. Et pourtant, là-bas, nous
avons vu le chaos et la violence qui ont suivi notre retrait.” »
« “Ce que nous devrions faire, poursuit-il, c’est
essayer d’impliquer l’Egypte dans le gouvernement de Gaza et la
Jordanie dans celui de la Cisjordanie.” »
« Inbar ajoute : “Peut-être que l’Egypte pourrait être
intéressée à intervenir à Gaza, parce qu’elle ne veut pas voir
s’installer un Etat dirigé par le Hamas. En Cisjordanie, les
Jordaniens hésitent pour des raisons qui leur sont propres. Mais
peut-être que nous pourrions voir une forme de confédération
jordano-palestinienne, car l’Autorité palestinienne n’a sûrement
pas été à la hauteur pour nous. Ils n’ont pas récupéré toutes
armes que possèdent les groupes armés.” »
(...)
« “Les autres membres de la communauté internationale (à
part les Etats-Unis), affirme-t-il avec force, ne comptent
pas – même si en Europe il y a maintenant plus qu’avant un
meilleure compréhension des manques des Palestiniens... Il y a
des évolutions.” »
« Se penchant sur la situation des 1,5 million de
résidents de Gaza, il fait référence à un article qu’il a publié
début février et dans lequel il affirme que la communauté
internationale ne devrait rien faire pour aider à reconstruire
les maisons et les infrastructures détruites par Israël durant
la guerre récente. Dans cet article, il affirme que la
communauté internationale ne devrait pas “être impliquée
dans les escapades sentimentales de reconstruction et
d’assistance humanitaire qui mettent en cause nos objectifs
stratégiques globaux”. »
Cet article a été publié par le Jerusalem Post le 1er
février 2009 sous un titre éloquent : « No
to the reconstruction of Gaza ».
« Il m’a affirmé qu’il croyait encore ce qu’il avait
écrit. Je lui ai dit que la plus grande partie de la communauté
internationale s’était maintenant décidée à aider à reconstruire
Gaza. “La communauté internationale peut insister, mais nous
pouvons sûrement faire beaucoup pour ralentir le processus”,
répond-il. Puis, il tente une autre approche de Gaza et affirme
avec un sourire : “Hamas, c’est bon pour les Juifs ! Aussi
longtemps qu’ils seront là, c’est un cadeau pour nous.” »
(...)
« Je lui demande comment il évalue l’impact des colonies
israéliennes en Cisjordanie sur le processus de paix. “Les
colonies agissent comme un bon incitatif pour les Palestiniens à
adopter une diplomatie plus raisonnable. Et vous savez, cela a
marché avant Oslo. Mais, depuis Oslo, leur courbe
d’apprentissage (learning curve) a été très lente.” »
« Mais est-ce que le gouvernement israélien ne va pas
faire face maintenant à quelques pressions de la nouvelle
administration américaine pour arrêter son programme d’extension
des colonies et mettre en application ses engagements antérieurs
à démanteler immédiatement les colonies, que même les précédents
gouvernements considéraient comme “illégales” ? »
« Il répond : “Nous pouvons subir des pressions. Les
Américains peuvent faire pression, et nous enlèverons une ou
deux colonies ou un ou deux checkpoints. Nous jouerons avec les
Américains.” »
« Alors, qu’attend-il de l’administration Obama ? »
« “Eh bien, ils parlent très différemment de l’administration
Bush, mais ils ont tellement d’autres choses dont ils doivent
s’occuper. L’économie, l’Irak, l’Afghanistan, l’Iran... Quelle
énergie auront-ils pour ce problème (israélo-palestinien) ?
La plupart des Israéliens considèrent la politique d’Obama à
l’égard de l’Iran comme une politique d’apaisement (apeasement).
Aussi, j’espère que Dennis Ross viendra dans six mois dire au
président qu’il n’y a pas d’accord possible avec l’Iran, et
alors Obama deviendra sérieux sur la question.” »
(...)
« C’est une vision assez noire que vous dressez là ? »
« “Eh bien, nous sommes forts et ils sont faibles.” Il
sourit gentiment, pour souligner ce qu’il vient de dire ou pour
le rendre plus acceptable, qui sait ? “Et le temps joue en
notre faveur. C’est la différences entre les faucons et les
colombes. Les seconds sont pessimistes, et les premiers,
c’est-à-dire nous, optimistes.” »
(...)
« Je lui pose la question de la possible reprise des
négociations entre Israël et la Syrie. Il répond : “Avec le
Hamas au pouvoir à Gaza, il y a beaucoup moins de pression sur
nous pour faire avancer le processus de paix en général, alors
pourquoi devrions-nous faire quelque chose avec la Syrie ? Si
nous subissons des pressions des Américains, nous pouvons
négocier. Mais pourquoi Bibi (Nétanyahou) devrait-il
courir après une négociation ou un accord avec la Syrie ? Nous
n’avons pas de problème démographique dans le Golan. C’est
propre, sans Arabes (it’s clean of Arabs). C’est très
beau.” »
« “Le temps est de notre côté. Qui se souvient de 1967 ? Et
est-ce que le président Assad est sérieux ? Est-ce qu’il veut
des frontières ouvertes avec Israël ? Est-ce qu’il est prêt à
prendre ses distances à l’égard de l’Iran ? Je ne pense pas
qu’il va changer si facilement... Donc je ne crois qu’il y aura
des pressions sur Israël pour qu’il quitte le Golan parce qu’il
n’y aura pas de pression d’Assad en ce sens.” »
Sur le site d’Efraim Inbar, on trouvera les nombreuses
productions de l’auteur, dont un texte publié dans le
Jerusalem Post du 22 août 2004 : « Let
them starve », publié lors de la grève de la faim des
prisonniers politiques palestiniens.
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