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Carnets du diplo
L'Intifada,
vingt ans après
Alain Gresh
7 décembre 2007
Il y a vingt ans, en décembre 1987, à la suite d’un banal
accident de voiture à Gaza, les territoires occupés se
soulevaient. Patrice Gélinet de France-Inter a consacré son émission
Deux mille ans d’histoire à cet événement le 6 décembre.
J’y ai participé. En voici le lien : la première
intifada (mp3)
D’autre part, dans le livre Les Cent clefs du
Proche-Orient (Hachette, 2005) écrit avec Dominique Vidal,
nous consacrons une entrée à cet événement, entrée que je
reproduis ci-dessous.
INTIFADA (première)
En arabe, l’acte consistant à « relever la tête »
et, par extension, le « soulèvement » : nom donné
à la révolte palestinienne qui s’est déclenchée, début décembre
1987, à Gaza* et en Cisjordanie*. Plus massive et plus déterminée
qu’aucun mouvement antérieur dans les Territoires occupés, la
« révolte des pierres » a profondément modifié le
paysage proche-oriental. C’est le 7 décembre 1987 qu’un
accident de la circulation - une collision entre un véhicule israélien
et un taxi collectif palestinien, dont deux occupants meurent -
met le feu aux poudres. Deux jours plus tard, les premiers
affrontements se produisent entre jeunes Palestiniens* et soldats
israéliens, dans le camp de Jabalya. En une semaine,
l’insurrection s’étend à l’ensemble de la bande de Gaza et
de la Cisjordanie, malgré l’état de siège décrété par les
autorités d’occupation. Surpris, le gouvernement israélien se
fixe en effet, toutes tendances confondues, une seule priorité :
« mater la subversion », selon l’expression du
ministre de la Défense, Itzhak Rabin*, que son appartenance au
Parti travailliste n’empêchera pas de diriger, d’une main de
fer, la répression de l’intifada.
À l’escalade des manifestations, des grèves et des heurts répondra
donc, pour tenter de la stopper, une spirale répressive. L’armée
multiplie les couvre-feux, tire sur les adolescents qui la
narguent, les « passe à tabac », en arrête des
dizaines de milliers et en interne des milliers, n’hésite pas
devant les « mauvais traitements » lors de ses raids
contre des villages ou dans les prisons, expulse plusieurs
dizaines de Palestiniens, etc. Ouvertement contraire aux
dispositions de la Convention de Genève, ce cours violent heurte
les opinions, y compris juives, qui, à travers le monde, se
montrent sensibles aux images abondamment diffusées par les
grands médias. La tentative d’enterrer vivants au bulldozer
quatre villageois de Salem et la scène des deux jeunes de
Naplouse, battus en direct devant la caméra de la télévision américaine
CBS, émeuvent particulièrement les consciences. Bilan chiffré,
un an après le début de la révolte : 400 morts, 25 000
blessés, 6 000 prisonniers - soit, avec les 4 000 précédents,
un total de 10 000 détenus pour une population de 1,7 million
d’habitants. Cet exceptionnel déploiement de force n’a
cependant pas raison des insurgés. C’est que leur détermination,
par-delà la conjoncture - espoir suscité en avril 1987 par la réunification
de l’OLP* au Conseil national d’Alger, colère en novembre après
l’ « oubli » de la question palestinienne par le
sommet arabe d’Amman de novembre -, plonge ses racines dans
un terreau fertile.
Certes, la résistance à l’occupation remonte aux origines mêmes
de celle-ci, en juin 1967. L’extension progressive de la
mainmise israélienne sur la Cisjordanie et Gaza, avec notamment
le développement de la colonisation*, rencontre une opposition
croissante, qui s’exprime tant sous la forme de manifestations
et d’actions violentes que lors des élections municipales de
1976, remportées haut la main par les proches de l’OLP. Mais,
cette fois, on assiste à l’explosion du « ras-le-bol »
de toute une génération, née sous l’occupation, qui surmonte
la résignation toute relative des précédentes, et les entraîne,
par son exemple de dignité reconquise, dans l’action pour
l’indépendance. Jamais, même en 1981 et 1982, les « Palestiniens
de l’intérieur » n’avaient fait entendre aussi
fortement leur voix. L’ampleur de l’intifada dépasse, en
effet, celle des soulèvements précédents à bien des égards.
Sa durée : plus de quatre ans. Son étendue :
l’ensemble des Territoires occupés, y compris Jérusalem*,
Bethléem et les villages, traditionnellement peu touchés. Ses
formes : rassemblements massifs, arrêts de travail généralisés
et affrontements se combinent avec autogestion de la vie
quotidienne et tentatives de désobéissance civile. Ses
participants : les jeunes côtoient les aînés, les réfugiés
de 1947-1949 se mêlent aux originaires des Territoires occupés,
les ouvriers et les paysans se retrouvent avec les commerçants,
les cadres et les intellectuels.
Née spontanément, comme tous les observateurs, israéliens
compris, l’indiquent, d’un cocktail explosif - misère des
bidonvilles, chômage massif, humiliation du sentiment national et
répression quotidienne -, la « révolution des pierres »
est rapidement encadrée. Les comités populaires locaux
organisent le combat de rue - sans armes à feu - contre l’armée
israélienne, mais aussi le ravitaillement, l’enseignement, le
suivi médical, les principaux services - au point que des
observateurs ont pu parler de « zones libérées ».
Autonomes, les comités locaux se retrouvent parallèlement dans
une " Direction unifiée " où cohabitent, relativement
unis malgré leurs divergences, le Fath de Yasser Arafat*, le
Front populaire de Georges Habache*, le Front démocratique de
Nayef Hawatmeh* et le Parti communiste palestinien - à
l’exclusion du Mouvement de la résistance islamique, baptisé,
d’après ses initiales, Hamas* (en arabe, zèle). Seule cette
dernière tendance se situe en dehors du consensus politique de
l’intifada : créer un État palestinien indépendant en
Cisjordanie et à Gaza, l’État d’Israël* revenant à ses
frontières d’avant la guerre des Six Jours en 1967*. Comme une
résurrection, quarante ans après son avortement, du plan de
partage* voté par l’Assemblée générale des Nations unies.
D’où cette analyse d’Elias Sanbar (dans Palestine, le pays à
venir) : «
L’intifada, c’est sa principale force, suscite l’adhésion
du monde dans la mesure où elle n’apparaît jamais comme
porteuse d’une menace pour l’existence d’Israël. On évalue
mieux ainsi le trait de génie politique du peuple dans le choix
des pierres et non des armes à feu. Cette retenue montrait au
monde que le soulèvement constituait une menace pour l’occupant
et non pour Israël lui-même dans ses frontières de 1948-1949.
On peut ainsi mieux analyser, a contrario, les effets totalement
opposés provoqués plus tard par les attentats des islamistes à
l’intérieur de la ligne verte. »
Le soulèvement, plaçant sa puissance au service de cette
orientation, brouille les cartes du jeu proche-oriental, dont il défie
bien des acteurs. Le premier à réagir est le roi Hussein* de
Jordanie* : le 31 juillet 1988, il annonce la rupture des
relations de son pays avec la Cisjordanie. « La Jordanie
n’est pas la Palestine, déclare-t-il, et l’État indépendant
palestinien sera établi sur la terre palestinienne occupée après
sa libération. » L’« option jordanienne »
ainsi évanouie, l’OLP se mue pour Israël en partenaire inévitable
de futures tractations de paix. Le débouché politique de la révolte,
les conditions à remplir pour s’asseoir à la table de négociation
exigent d’Arafat et des siens - comme la « Direction unifiée »
de l’intifada ne s’est pas privée de le rappeler - la définition
d’un programme de paix concret. L’OLP est placée devant la nécessité
de reconnaître l’État d’Israël, afin d’en obtenir la réciproque.
Le Conseil national palestinien d’Alger de la mi-novembre 1988 a
d’ailleurs avancé sur cette voie, en proclamant un État
palestinien indépendant tout en acceptant la résolution 181 de
1947 ainsi que les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité
des Nations unies, et en réaffirmant sa condamnation du
terrorisme.
Mais la première année d’intifada ne débouche pas sur la
solution espérée : le gouvernement israélien s’oppose
avec détermination et efficacité aux pressions américaines
visant à engager, en 1989-1990, une négociation israélo-palestinienne.
Cet enlisement accélère la radicalisation, voire une certaine dégénérescence
de la « révolution des pierres ». Les règlements de
compte contre les « collabos » (ou supposés tels) se
multiplient ; des actions individuelles visent des civils
israéliens ou des touristes (« guerre des poignards ») ;
des groupes, souvent incontrôlés, font eux-mêmes la loi. Privés
d’études pendant des mois, révoltés contre les aînés comme
contre les factions politiques traditionnelles, de nombreux jeunes
se tournent vers le mouvement islamiste Hamas, qui a toujours dénoncé
les solutions diplomatiques voit son influence croître.
C’est dans ce contexte qu’éclate la crise du Golfe* de
1990-1991 et que de nombreux Palestiniens de Cisjordanie et de
Gaza, désespérés par une répression impitoyable, par une
situation économique et sociale qui ne cesse de se dégrader et
par l’absence de perspective politique, se prennent à espérer
dans Saddam Hussein* et dans un nouveau rapport de force militaire
qui imposera la création d’un État palestinien. L’échec
sanglant du dictateur irakien renforcera le camp du compromis.
D’une certaine manière, la conférence de Madrid (octobre
1991), puis les négociations secrètes d’Oslo* et les accords
du même nom constituent le débouché enfin attendu de
l’intifada. Mais il y a loin du rêve à la réalité : les
accords d’Oslo finiront par se fracasser sur la poursuite de la
politique de colonisation et l’échec des négociations de Camp
David*, en juillet 2000, débouchera sur la seconde Intifada*,
dont les caractéristiques seront bien différentes, notamment
l’usage par les Palestiniens des armes à feu et des attentats.
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