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Les blogs du Diplo
Un pas dans le dialogue
islamo-chrétien
Alain Gresh

Vendredi 7 novembre 2008 Dépêche de l’Agence France-Presse :
« Le pape Benoît XVI a souligné jeudi 6 novembre l’importance
de “la liberté individuelle de conscience” et de la “liberté
religieuse”, en recevant les participants du premier forum
catholiques-islam réuni au Vatican. Devant les dignitaires
musulmans et catholiques du monde entier rassemblés dans la
somptueuse salle Clémentine du palais apostolique, le pape a dit
son “espoir” “que les droits humains fondamentaux soient
garantis à tous et partout”. “Les dirigeants politiques et
religieux ont le devoir d’assurer le libre exercice de ces
droits dans le plein respect de la liberté individuelle de
conscience et de la liberté religieuse”, a-t-il ajouté.
Au nom de la délégation musulmane, l’universitaire américain
Seyyed Hossein Nasr avait auparavant souligné que musulmans et
chrétiens “croient les uns et les autres à la liberté
religieuse”. “Mais nous musulmans n’acceptons pas un
prosélytisme agressif qui détruirait notre foi au nom de la
liberté, pas plus que les chrétiens ne l’accepteraient s’ils
étaient dans notre situation”, a-t-il ajouté. Le mufti de
Bosnie, Mustafa Ceric, chef de la délégation est aussi
intervenu, concluant son discours par un rappel de la guerre qui
a ravagé l’ex-Yougoslavie à la fin du XXe siècle. “Mes frères
bosniaques musulmans ont subi un génocide”, a-t-il dit.
Benoît XVI a souligné que le forum catholiques-musulmans “est
un signe clair de notre estime mutuelle et du désir de nous
écouter avec respect”, “un pas supplémentaire sur la voie d’une
meilleure compréhension entre musulmans et chrétiens”.
Ce forum, réuni sur le thème de “l’amour de Dieu” et “l’amour
du prochain”, est le fruit d’un appel au dialogue lancé le 13
octobre 2007 aux chrétiens par 138 religieux et intellectuels
musulmans du monde entier et de diverses écoles de pensée. Cet
appel suivait d’un an
le discours prononcé le 11 septembre 2006 par Benoît XVI à
Ratisbonne, en Allemagne, jugé offensant pour l’islam, qui
avait provoqué une vive émotion dans le monde musulman. »
Le discours du Pape du 6 novembre est disponible en anglais
sur le site du quotidien La Croix.
Les participants ont approuvé un message commun, rendu public
jeudi 6 novembre au soir et qui tient en trois pages : « une
présentation de l’amour de Dieu et du prochain, pour les
chrétiens et les musulmans, puis des affirmations sur un certain
nombre d’engagements communs dans le monde, en matière de
formation de la jeunesse, de développement social et économique,
et surtout de liberté. Il comprend aussi, à la demande des
musulmans, une affirmation sur le terrorisme, qui n’est pas le
fait d’une seule religion, et aussi une condamnation de toute
dérision de la religion et de ses symboles. » (« Musulmans
et catholiques marquent une nouvelle étape dans leur dialogue »,
Isabelle De Gaulmyn, La Croix, 6 novembre).
« “Cela ne fut pas évident, avoue cependant un des
participants catholiques, plus mitigé après trois jours de
discussion. D’abord, on a parfois le sentiment que les musulmans
veulent profiter de l’Église pour se donner une image de
respectabilité. Et puis, ils cherchent à nous embarquer sur des
problèmes politiques, notamment la Palestine. Enfin, il a été
difficile de se mettre d’accord sur la liberté religieuse.”
C’est en effet sur le point 5 du message final, sur la
liberté de culte, discuté jusqu’à la dernière minute, que les
discussions furent le plus tendues. Les musulmans étaient très
réticents à introduire la reconnaissance de la liberté de culte
en public. Grâce au mufti de Bosnie-Herzégovine, qui a expliqué
qu’il fallait aussi le faire pour les musulmans qui vivent en
Europe, les catholiques ont eu gain de cause sur ce point. “Nos
interlocuteurs musulmans nous ont bien confié qu’ils savaient
que ce geste serait très mal perçu par certains de leurs
coreligionnaires. C’est de leur part un acte courageux et
responsable”, confiait, ému, un participant catholique en
sortant du Vatican. Dans le message, les participants sont
convenus de se retrouver dans deux ans. »
Dans une tribune publiée le 4 novembre sur le site du
Monde, « Dialogue
avec le pape Benoît XVI », Tariq Ramadan, qui participe à ce
dialogue avec le Pape, écrit :
« Notre dialogue constructif sur les valeurs et les
finalités communes est autrement plus important et impératif que
nos rivalités sur le nombre de fidèles, le prosélytisme et la
compétition stérile quant à la détention exclusive de la Vérité.
Les esprits dogmatiques qui, dans les deux religions,
s’accaparent la vérité, travaillent somme toute contre les
intérêts de leur religion respective. Quiconque affirme qu’il
détient seul la vérité et que “le mensonge, c’est les autres”...
est déjà dans l’erreur. Notre dialogue doit lutter contre les
tentations dogmatiques en s’appuyant sur un dialogue profond,
critique et toujours respectueux. Un dialogue dont le sérieux
nous impose l’humilité.
Il faut commencer un dialogue sur les civilisations. La peur
du présent nous fait parfois lire le passé avec une vision
biaisée : le pape avait étonnamment affirmé que les racines de
l’Europe étaient grecques et chrétiennes, comme pour conjurer la
menace présente de la présence musulmane en Europe. Sa lecture
est réductrice et il faut revenir aux faits passés comme à
l’histoire des idées.
On s’aperçoit alors que cette opposition entre l’islam et
l’Occident est une pure projection, presque un instrument
idéologique, destiné à créer des entités que l’on oppose ou que
l’on invite à dialoguer. Or, il y a beaucoup d’islam en Occident
et beaucoup d’Occident en islam, et il est important que l’on
inaugure une réflexion interne et critique : qu’Occident et
Europe ouvrent un débat de l’intérieur comme doivent le faire
islam et musulmans afin de se réconcilier avec la diversité et
la pluralité de leur passé respectif. »
Le quotidien catholique La Croix consacre un dossier
sur son site au « dialogue
avec l’islam ». On y trouvera notamment
les articles publiés dans le journal papier, ainsi que le
dossier consacré aux musulmans de France à partir du 19 octobre,
dont l’article, « Regain
de la pratique religieuse chez les musulmans de France » (19
octobre), un entretien avec Franck Fregosi, « L’islam
en France, réalité sociale et religieuse plurielle » (19
octobre) et « Les
musulmanes cherchent à réconcilier identité et liberté » (22
octobre) dont cette introduction résume l’esprit : « Nombre
de jeunes musulmanes qui choisissent de porter le voile se
disent moins prisonnières de la tradition religieuse que des
stéréotypes que la société leur renvoie ».
Sur le dialogue islamo-chrétien on pourra consulter
l’excellent site du
Groupe de recherches islamo-chrétien (Gric).
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