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Carnets du diplo
« Mektoub », la fourberie
des colonisés
Alain Gresh
6 octobre 2007
C’est un petit roman, Mektoub, écrit par le capitaine
A. et Yvon de Saint-Gouric et publié en 1923 aux éditions du
Mercure Africain, Alger. Il a connu un grand succès, (36ème
mille est-il mentionné sur la couverture). Dans
l’avertissement, nous sommes informés que ce que les auteurs
ont écrit, c’est « ce que tous ceux qui connaissent
bien les choses d’Algérie pensent sans oser le dire, car la
masse à laquelle il “faut plaire” est ignorante et de
parti-pris. ». Et ils ajoutent : « Nous
voulons simplement éviter une catastrophe qui ne se produira pas
si chacun veut bien réagir à temps. »
Ce qui est étonnant dans ce livre c’est son mélange de
racisme assumé et d’une vision prémonitoire : l’Algérie
ce n’est pas la France et les Algériens n’ont jamais accepté
et n’accepteront jamais une domination étrangère. Il n’est
évidemment pas anodin que ce soit le récit d’une femme. « La
preuve éclatante, découvrira l’héroïne, que l’Arabe est
d’une civilisation rétrograde, est l’inconsidération dans
laquelle la femme est tenue », un thème appelé à se
perpétuer jusqu’à nos jours – on pourra lire, dans la même
veine, mais adaptée à l’époque, le best-seller de Betty
Mahmoody, Jamais sans ma fille, sur l’histoire d’une Américaine
qui épouse un Iranien et qui le suit en Iran. Enfin le mensonge
et la fourberie sont les caractéristiques essentielles des
Arabes, un thème que l’on retrouve régulièrement
aujourd’hui, y compris parfois sur les commentaires de ce blog.
Ce roman raconte l’histoire d’une jeune femme parisienne
Simone de B. C’est une rêveuse, une romantique :
« J’espérais connaître un jour cet Orient fatal où
l’on pleure, où l’on souffre, mais où l’on aime aussi ;
cet Orient où les passions vibrent, où tout revêt un caractère
mystérieux et sacré, bien fait pour enflammer notre imagination
de jeunes filles jalousement gardée. » Le déclenchement
de la guerre de 1914 l’amène à s’engager comme infirmière
et à partir au front dès la fin du mois d’août. Un soir,
arrive un blessé. « Mais c’est un beau noir !
m’écriais-je soudain, en découvrant la face du soldat à la
lumière. (…) Ce n’était pas, à vrai dire, un nègre, mais,
parisienne, je personnifiais l’ignorance de tout ce qui touche
à nos colonies et, pour moi, tout visage humain qui n’était
pas blanc ou jaune, était noir. » Elle va donc soigner
Rabah, un Algérien, de tout son cœur.
On sent déjà que Rabah est fourbe (une caractéristique de
tous les Arabes, comme l’explique le roman) ; il n’est
pas blessé aussi sévèrement qu’il le dit ; il dit à
plusieurs reprises « quand nous aurons des canons »
(sous-entendu pour nous battre contre les Français), mais Simone
ne comprend pas. Après deux mois, Rabah reçoit un mois de
convalescence à l’arrière. Avant de partir, il lui propose de
venir avec lui dans son pays. Elle dit non, mais ajoute « ma
pensée, franchissant les espaces, va retrouver mes idées
romantiques ; je vogue en plein Orient (…) C’est
l’oasis mystérieuse, ce sont les palmiers, c’est le désert,
ce sont les mirages ! ce sont les contes des mille et une
nuits ! ».
Finalement, elle succombe à ses avances « Je sens en
Rabah cette invisible puissance d’attraction, puissance
qu’offrent surtout les oppositions les plus grandes. Lui si
fort, si viril, si mâle ; moi si faible, si assoiffée de
tendresse et de protection. En un mot, je suis sous sa domination. »
Simone décide de le suivre. Elle reçoit des lettres de son père
et de sa mère qui la mettent en garde et la somment de rentrer à
la maison. Sa mère lui écrit : « A la seule pensée
que ton corps pourrait être touché par celui d’un Arabe, j’éprouve
la répulsion qu’on ressent au frôlement d’un crapaud. »
Un major la met en garde contre les Arabes chez qui « la
dissimulation est encore plus complète » et il lui cite
un homme « qui connaît bien leur mentalité et qui a dit :
« S’il fallait élever une statue au mensonge, il
faudrait la revêtir d’un burnous. »
Ainsi s’achève cette première partie, intitulée, cela ne
s’invente pas « chez les civilisés » et s’ouvre
la seconde partie « Dans le bled ». Simone prend le
bateau et son réveil est brutal. Rabah lui déclare immédiatement :
« Ce n’est pas en mariage que je prends une femme française,
mais en esclavage. Le mélange des races est impossible. Quoi !
la brebis peut-elle épouser le loup !. » C’est
le début de son « calvaire » qui va durer six ans. « Ah !
pourquoi avant ce coup de tête, n’avais-je étudié les
relations entre les hommes des différents continents ?
Pourquoi n’avais-je pas établi courageusement avec moi-même
une gradation, suivant le degré de civilisation ? »,
s’interroge-t-elle.
Le mensonge est une des caractéristiques des Arabes. Et quand
Simone exhorte Rabah à dire la vérité, il réplique : « Peut-être
as-tu raison pour toi, pour ta race toujours prête à dévoiler
ses actes et ses secrets, mais ma race a plus de force, on la
craint davantage parce qu’on ne sait justement rien d’elle,
parce qu’elle sait cacher, dissimuler la vérité sous des allégations
mensongères. L’on se trompe sur ses intentions, ses croyances,
ses desseins, et c’est là ce qui la rend, à chaque instant,
redoutable pour tous. »
« Cruel, assassin, mon Rabah avait encore un autre
trait, commun avec beaucoup d’Arabes. Il était d’une avidité
farouche. (…) Mais l’Arabe n’est pas seulement avare ;
il est généralement voleur. Oui, il a la passion du vol. Il
savoure les délices du rapt, comme celles de l’assassinat et du
viol. »
Et Simone découvre la haine que les Arabes portent aux colons.
« Ce qui me révoltait le plus, c’était la guerre
sournoise, hypocrite, cachée sous des manières loyales, que
faisait Rabah et ses semblables contre le roumi. C’est la guerre
qui ira un jour jusqu’à l’extermination si l’on n’y prend
garde. » Ce sont tous des « sauvages », y
compris « le bellâtre au fez pointu et au veston dernière
mode, ayant reçu une éducation supérieure dans nos écoles »
Portrait du père de Rabah, un vieillard qui, en 1871 a perdu
la vue au moment de « la répression de l’insurrection »
(en France). Son seul sujet de conversation c’est le roumi :
« Le Français qui a fait tant de mal au seul propriétaire
de l’Algérie, l’Arabe. La France qui a conquis son pays,
l’a subjugué, l’a dominé, a implanté sa langue, ses mœurs,
son drapeau. Quelle haine dans ses paroles ! ». « Il
veut ignorer les bienfaits de la colonisation française et veut
oublier que la domination arabe est synonyme de destruction »
Et elle cite Ernest Renan sur l’islam !
Partout, s’inquiète Simone, les colons reculent,
abandonnent. « Dans les grandes villes, la progression
n’est pas moins active ; chaque jour, une porte nouvelle
s’ouvre aux indigènes. Nous sommes partout, à tous les degrés
de l’échelle sociale, dans tous les commerces et dans toutes
les industries ; nous occupons sans cesse de nouvelles
fonctions publiques ; nous sommes : officier, délégué
financier, conseiller général, conseiller municipal, médecin,
avocat, professeur, etc., etc. » Et elle ajoute : « Et
quand sonnera l’heure de la délivrance, au moment où tout
semblera le plus calme, un immense incendie s’allumera sur toute
l’Afrique du Nord. Toutes les forêts brûleront, allumées méthodiquement… »
A l’occasion d’un incendie, elle finit pas s’enfuir.
C’est en 1921. Elle n’a plus qu’un but, « dire la vérité,
prévenir le coup qui se prépare, dérouter l’organisation et
faire échouer le plan ». « Il faut montrer
cette faute énorme qui consiste à donner aux Arabes
l’instruction nécessaire pour arriver aux plus hauts emplois de
l’Administration ; les laisser briguer les honneurs,
accaparer les services et, surtout, oh ! cette faute plus
grande encore : ne pas se méfier d’eux. Si nos dirigeants
persévèrent dans cette voie, c’en est fait de notre belle
colonie. » Simone espère ainsi contribuer à sauver « cette
Algérie, cette Afrique du Nord, qui est un des plus beaux joyaux
de France ! »
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