Opinion
Ramallah (II) :
les négociations entre le Fatah et le
Hamas
Alain
Gresh

Alain
Gresh
Lundi 5 décembre
2011
Ramallah. La réunion du Caire du 24
novembre 2011, entre Mahmoud Abbas et
Khaled Mechaal, le chef du bureau
politique du
Hamas, marque-t-elle un tournant
dans les relations entre les deux
organisations et un pas en avant décisif
vers l’unification du pouvoir en
Palestine ? Les avis ici sont partagés,
même si c’est le scepticisme qui domine.
Aussi bien à Gaza qu’en Cisjordanie, les
activités de l’organisation rivale sont
surveillées, voire interdites : ainsi,
aux élections étudiants de Bir-Zeit, la
grande université palestinienne, le
Hamas, qui représente une force majeure,
n’a pas présenté de liste, de peur que
ses candidats ne soient arrêtés. Des
deux côtés, des courants hostiles à
l’accord se manifestent.
Pourtant, comme le remarque Ziyad
Abou Amr, un ancien ministre des
affaires étrangères et un indépendant,
les deux parties ont aussi intérêt à
négocier (mais pas forcément à aboutir).
Elles ont toutes deux remporté un succès
–
le Fatah à l’ONU et le Hamas avec
l’échange de Gilad Shalit. Ensuite,
l’unité est une aspiration forte des
Palestiniens. Enfin, parce que « les
deux mouvements sont dans une impasse :
le Fatah sait qu’il n’existe aucune
perspective de reprise des négociations
de paix ; le Hamas impose une trêve avec
Israël aux autres factions à Gaza et son
discours sur la lutte armée n’est donc
plus crédible ».
Il n’est pas facile, à Ramallah, de
rencontrer des responsables du Hamas.
Les informations qui suivent ont donc
pour source essentielle des dirigeants
du Fatah (ou des journalistes), mais
elles semblent crédibles.
Le 4 mai 2011,
un accord avait déjà été signé, sous
l’égide du Caire, entre les deux
organisations. Mais il n’avait pas été
appliqué. En novembre, les négociations
ont repris, après le discours de Abbas
et la libération de Gilad Shalit. Le 17
novembre, les délégations des deux
parties s’entendent sur un ordre du jour
et un document à soumettre aux deux
dirigeants qui se rencontrent au Caire
le 24 novembre. Selon la délégation du
Fatah, jamais une réunion du Hamas et du
Fatah ne s’est tenue dans un climat
aussi serein. Pour la première fois, un
tête à tête se déroule entre Abbas et
Mechaal. A l’issue de la rencontre, un
texte est approuvé, qui prévoit
notamment :
Des élections présidentielle, au conseil
législatif mais aussi au Conseil
national palestinien, organe suprême de
l’OLP, auront lieu d’ici mai 2012 ;
un gouvernement de personnalités
indépendantes sera formé et il
supervisera les élections ; le document
a pris note de l’opposition «
irréversible » du Hamas à la
reconduction de Salam Fayyad au poste de
premier ministre ; après les élections,
un gouvernement d’union national sera
formé ;
l’OLP, à laquelle le Hamas n’appartient
pas, sera restructurée afin de mieux
représenter le peuple palestinien ; le
22 décembre se tiendra au Caire une
rencontre en vue de la réforme de
l’organisation qui inclura notamment des
membres du Hamas et des indépendants ;
un tête à tête entre Abbas et Mechaal
est prévu ;
les deux parties sont d’accord sur le
fait que « les négociations avec
Israël sont dans une impasse » et
qu’elles discuteront des options
possibles pour avancer ;
les deux parties sont d’accord pour dire
que « l’Etat palestinien sera établi
sur les territoires palestiniens occupés
en 1967, càd la Cisjordanie et Gaza avec
Jérusalem comme capitale ».
les deux parties sont d’accord sur «
la mise en œuvre d’une trêve en
Cisjordanie et à Gaza (avec Israël) avec
tout ce que cela implique ». Elles
sont aussi d’accord pour « une
résistance populaire ». Le texte
précise qu’aucune organisation n’a le
droit d’imposer une forme de lutte de
manière unilatérale ;
enfin, les deux parties règleront le
plus rapidement possible le problème de
leurs prisonniers.
Notons que le Hamas confirme, une
fois de plus, qu’il accepte l’idée d’un
Etat sur les territoires occupés en
1967, et qu’il est prêt à mettre fin à
la violence. Cette position vaut
d’ailleurs à Mechaal de sévères
critiques à l’intérieur de son
organisation, qui se sont exprimées
publiquement, ce qui est assez rare dans
une formation aussi disciplinée que le
Hamas. Mahmoud Al-Zahhar, un membre du
bureau politique de Gaza, n’a pas hésité
à exprimer son scepticisme à plusieurs
reprises, à tel point que l’on a évoqué
sa « suspension » du bureau politique.
M. Ziyad Abou Amr partage ce point de
vue. Il ne pense pas que les choses vont
aboutir rapidement, non pas parce que
Mechaal serait isolé, mais parce que le
Hamas attend de voir ce qui va se passer
dans le monde arabe et suit avec
attention les victoires des Frères
musulmans, mouvement dont il est issu,
aux diverses élections. De plus, la
situation générale est instable : le
Hamas semble envisager la chute du
régime de Damas (plusieurs de ses cadres
ont déserté la capitales syrienne). Il
s’est rapproché du Caire et devrait
répondre aux ouvertures du nouveau
premier ministre jordanien, qui a
affirmé que la décision d’expulser le
Hamas du royaume à l’été 1999 avait été
une erreur et, de plus, n’était pas
légale !
Quant au Fatah, un courant important
rejette toute entente avec le Hamas. La
rivalité entre les deux formations, le
souvenir des combats meurtriers de l’été
2007 à Gaza, les arrestations et les
tortures « réciproques » ont laissé des
traces.
De plus, précise Ziyad Abu Amr, il
est difficile pour les deux
organisations de se priver des
ressources que permet un contrôle, même
partiel, du pouvoir. Comme le fait
remarquer, un peu cyniquement, un
journaliste palestinien : « Unifier
les deux pouvoirs, cela signifie
diminuer par deux le nombre de
ministres... »
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