Opinion
Où en est « le
réveil arabe » (I) ?
Alain
Gresh
Alain
Gresh
Lundi 5 septembre
2011
Alors que l’automne commence dans
quelques jours, alors que la chute du
régime de Ben Ali date d’environ huit
mois, où en est « le
réveil arabe » ? Une nouvelle fois,
la question est posée par différents
observateurs, mais aussi par des
acteurs :
les révolutions arabes sont-elles finies ?
La première remarque importante est
que le mouvement ne s’est pas arrêté,
malgré une terrible répression — en
premier lieu en Syrie —, malgré les
tentatives de retour en arrière et
l’organisation au niveau régional (et
international) d’une
« contre-révolution ». Nous nous
limiterons dans cet envoi aux trois pays
dont le régime est tombé : Tunisie,
Egypte et Libye, et reviendrons
ultérieurement sur les autres (Syrie,
Yémen, Bahreïn, etc.) ainsi que sur les
dimensions régionales.
Le mouvement se poursuit là où les
régimes ont chuté, d’abord en Tunisie et
en Egypte. Dans ce premier pays (éclaireur
de ces révolutions), les élections
auront lieu le 23 octobre pour désigner
une assemblée constituante. Plus de 50%
des électeurs potentiels (dont 45% de
femmes) se sont inscrits volontairement
sur les listes électorales — mais le
reste pourra voter sur présentation de
sa carte d’identité. Ce résultat est
d’autant plus remarquable, que
l’Instance supérieur pour la préparation
des élections (ISIE) avait décidé de se
passer des services du ministère de
l’intérieur. Les listes sont en
préparation, et elles devront assurer,
pour la première fois dans le monde, une
parité totale. La campagne aura lieu
entre le 1er et le 22 octobre, et toute
publicité politique sera interdite à
partir du 11 septembre.
La situation est encore loin d’être
stabilisée. Des heurts avaient éclaté le
15 août lors d’une manifestation de
l’Union générale tunisienne du travail
(UGTT) contre le gouvernement (« Manifestations
et heurts avec la police en Tunisie »,
lemonde.fr, 15 août) et de nombreuses
émeutes ont eu lieu à différents
moments, la dernière en date s’étant
déroulée dans le sud (« Couvre-feu
dans le sud de la Tunisie après des
heurts entre jeunes », lemonde.fr,
2 septembre). Cette agitation s’explique
à la fois par les difficultés
économiques et sociales, alors même que
le gouvernement peine à définir une
politique cohérente ; et aussi par le
poids de la guerre de Libye, avec
l’accueil de centaines de milliers de
réfugiés libyens et alors que bon
nombre de travailleurs tunisiens ont
quitté ce pays. Sans parler de la baisse
du tourisme qui affecte un secteur
vital. La stabilisation (possible ?) de
la Libye, la reprise du tourisme depuis
le mois d’août et surtout les
discussions autour d’une vraie politique
de développement et la prochaine mise en
place d’un gouvernement légitime sont
autant d’éléments d’espoir.
Deuxième pays concerné, le plus
important par son nombre d’habitants, le
plus stratégique aussi, l’Egypte.
Beaucoup s’inquiètent, à juste titre, du
rôle que continue à jouer le Conseil
suprême des forces armées (CSFA), des
arrestations de militants, de la
poursuite de la torture. Toutefois, il
faut mettre en valeur les avancées : le
CSFA ne voulait pas arrêter, et encore
moins juger, Hosni Moubarak et sa
famille, mais il a été contraint de le
faire ; après avoir dissous le Parti
national démocratique (PND), il a aussi
été contraint de mettre sous tutelle le
syndicat unique et on a assisté à un
développement important de syndicats
indépendants et de mouvements sociaux
(malgré l’interdiction des grèves que le
CSFA n’arrive pas à faire appliquer).
Petit à petit, dans les institutions –
universités, hôpitaux, etc. – se mettent
en place de nouvelles directions,
souvent élues par les employés.
Plusieurs entreprises privatisées dans
des conditions douteuses sont dans le
collimateur de la justice. Plus
important, les mobilisations se
poursuivent à tous les niveaux et rien
n’indique qu’elles vont cesser demain.
Si le processus électoral a pris du
retard, de nombreux partis ont été
légalisés et ont commencé à s’organiser.
On assiste à une fragmentation de la
scène politique (pas seulement parmi les
forces dites « laïques » mais aussi chez
les islamistes) et il est difficile de
savoir qui pourra l’emporter lors des
élections qui devraient avoir lieu d’ici
la fin de l’année.
Troisième cas, la Libye, le plus
complet car la chute du régime doit
beaucoup à
l’intervention des forces de l’OTAN
et l’on peut craindre une mise sous
tutelle du pays. Pourtant, malgré
l’influence incontestable qu’ont gagnée
la France et les Etats-Unis dans cette
opération, il est bien trop tôt pour
annoncer une telle hégémonie
occidentale. Pour plusieurs raisons :
d’abord,
le conflit n’est pas terminé et il reste
à voir si la situation va se
stabiliser ; quelle que soit l’issue, il
faudra assurer
les conditions de l’unité nationale ;
ensuite,
il n’est pas évident — c’est le moins
qu’on puisse dire — que les dirigeants
du Conseil national de transition (CNT)
soient encore au pouvoir dans quelques
mois ; les milices qui ont pris Tripoli
et assuré la victoire — et qui se
réclament de régions, de tribus et
d’idéologies très différentes —
demanderont leur dû ;
même
le CNT a été contraint de prendre
certaines distances à l’égard de la
soi-disant communauté internationale :
en refusant toute présence de troupes
occidentales ou même de l’ONU sur son
sol ; en rejetant toute idée
d’extradition de Ali Meghrabi (le seul à
avoir été déclaré coupable dans
l’attentat de Lockerbie et qui a été
libéré pour raison de santé), annonçant
que la nouvelle Libye n’extraderait pas
ses citoyens (contrairement à Kadhafi).
Je reprendrai plus tard sur les
autres pays, mais il faut insister sur
l’incroyable hypocrisie des Etats-Unis
et de la France en ce qui concerne la
Libye :
Paris
a invité à la conférence sur la Libye du
1er septembre, non seulement le roi du
Bahreïn, mais aussi salué le rôle de
pays aussi peu démocratiques que le
Qatar, la Jordanie, les Emirats arabes
unis ;
les
documents découverts à Tripoli ont
révélé la coopération entre la CIA, le
MI5 et le MI6 britanniques et les
services secrets de Kadhafi dans la
torture de militants islamistes (« Secret
files show UK, US ’ties’ to Kadhafi
regime », AFP, 3 septembre).
Les analyses d'Alain Gresh
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