Les blogs du Diplo
JCall, analyses d'un appel
Alain Gresh
Alain Gresh
Mercredi 5 mai 2010 Le 3 mai a été présenté à Bruxelles un
« Appel à la raison », signé par des intellectuels et des
personnalités juives européennes, sous le sigle JCall, European
Jewish Call for Reason. Ce mouvement se veut le pendant de
J-Street, le lobby américain qui veut à la fois soutenir Israël
et la paix (lire, dans Le Monde diplomatique,octobre
2009 : Eric Alterman,
« Des Juifs américains contre la droite israélienne »).
En voici le texte intégral :
« Citoyens de pays européens, juifs, nous sommes
impliqués dans la vie politique et sociale de nos pays
respectifs. Quels que soient nos itinéraires personnels, le
lien à l’État d’Israël fait partie de notre identité.
L’avenir et la sécurité de cet État auquel nous sommes
indéfectiblement attachés nous préoccupent.
« Or, nous voyons que l’existence d’Israël est à
nouveau en danger. Loin de sous-estimer la menace de ses
ennemis extérieurs, nous savons que ce danger se trouve
aussi dans l’occupation et la poursuite ininterrompue des
implantations en Cisjordanie et dans les quartiers arabes de
Jérusalem Est, qui sont une erreur politique et une faute
morale. Et qui alimentent, en outre, un processus de
délégitimation inacceptable d’Israël en tant qu’État.
« C’est pourquoi nous avons décidé de nous mobiliser
autour des principes suivants :
« L’avenir d’Israël passe nécessairement par
l’établissement d’une paix avec le peuple palestinien selon
le principe “deux Peuples, deux États”. Nous le savons tous,
il y a urgence. Bientôt Israël sera confronté à une
alternative désastreuse : soit devenir un État où les Juifs
seraient minoritaires dans leur propre pays ; soit mettre en
place un régime qui déshonorerait Israël et le
transformerait en une arène de guerre civile.
« Il importe donc que l’Union Européenne, comme les
États-Unis, fasse pression sur les deux parties et les aide
à parvenir à un règlement raisonnable et rapide du conflit
israélo-palestinien. L’Europe, par son histoire, a des
responsabilités dans cette région du monde.
« Si la décision ultime appartient au peuple souverain
d’Israël, la solidarité des Juifs de la Diaspora leur impose
d’œuvrer pour que cette décision soit la bonne. L’alignement
systématique sur la politique du gouvernement israélien est
dangereux car il va à l’encontre des intérêts véritables de
l’État d’Israël.
« Nous voulons créer un mouvement européen capable de
faire entendre la voix de la raison à tous. Ce mouvement se
veut au-dessus des clivages partisans. Il a pour ambition
d’œuvrer à la survie d’Israël en tant qu’État juif et
démocratique, laquelle est conditionnée par la création d’un
État palestinien souverain et viable.
« C’est dans cet esprit que nous appelons tous ceux
qui se reconnaissent dans ces principes à signer et à faire
signer cet appel. »
Ce texte a suscité des réactions opposées. Nous en donnerons
deux représentatives.
La première vient de Richard Prasquier, le président du CRIF
et a été publiée par Le Figaro (30 avril 2010), sous le
titre « Contre l’appel des Juifs européens » et
reproduit sur le site du CRIF, sous le titre « Pourquoi je
ne signerai pas l’appel de JCall » :
« Voici longtemps que le CRIF s’était prononcé en faveur
du principe “deux peuples, deux Etats”. C’est déjà ce principe,
sous-tendu par le désir de laisser à Israël son caractère
démocratique que l’évolution démographique risquait de mettre en
tension, qui a poussé le gouvernement Sharon à quitter
complètement la bande de Gaza. La grande majorité des Israéliens
y souscrivent, le chef du gouvernement Benjamin Netanyahou l’a
publiquement annoncé. La majorité des Palestiniens,
malheureusement n’y souscrivent pas.
Quant à la référence de l’appel de JCall à Jérusalem,
Prasquier écrit :
« Comment oser le terme de “faute morale” s’agissant des
“implantations” à Jérusalem Est ? Jérusalem Est, d’où les Juifs
n’ont été chassés qu’à trois moments de l’histoire : après la
destruction par les Romains, après les Croisades et après la
prise de la ville par l’armée jordanienne de 1948 à 1967. Car
Jérusalem n’est pas une implantation ou une « colonie ». C’est
le cœur vivant du judaïsme et la capitale de l’Etat d’Israël. »
Il reprend ainsi le point de vue d’Elie Wiesel (lire « Elie
Wiesel l’imposteur et Jérusalem »).
(...)« Dans la nécessaire et difficile négociation que
nous appelons de nos vœux, il ne suffira pas pour que la paix
puisse s’espérer et perdurer qu’on mette un terme à des
constructions qui ne gênent objectivement personne, ou que l’on
détaille au cordeau des frontières sur des cartes géographiques.
Il faudra un changement de mentalités, et pour cela que les
interlocuteurs soient sincèrement convaincus de leur intérêt
bien compris à l’acceptation de l’autre. »
Vous avez bien lu, des « constructions qui ne gênent
objectivement personne »... Ni les Palestiniens expropriés
de leurs terres, ni ceux qui doivent contourner les colonies
pour pouvoir circuler en Cisjordanie... Ils ne sont sans doute
gênés que subjectivement parce que, en réalité, ils haïssent les
juifs...
A l’autre bout du spectre, Rudolf Bkouche, de l’Union juive
française pour la paix, publie un texte sous le titre
« Un appel à la raison bien déraisonnable ».
« Un appel doit être publié sous le titre JCall qui se
veut un appel à la raison sur la question Israël-Palestine.
Cet appel lancé par des Juifs d’Europe veut être l’analogue
du JStreet des Etats-Unis. Mais si JStreet se présente comme
un autre lobby juif (il faut entendre le terme lobby au sens
anglo-saxon, un groupe de pression) pour contrer le pro-israélisme
d’AIPAC, JCall apparaît essentiellement comme un appel à
sauver Israël d’une politique israélienne qui le conduit,
selon les auteurs du texte, au naufrage. Mais JCall oublie
que la politique israélienne du gouvernement actuel à
l’encontre des Palestiniens s’inscrit dans la continuité et
que cette politique, avant que d’être la politique de tel ou
tel parti est inspirée par une idéologie, le sionisme, C’est
le sionisme qui est en cause et les geignardises de
"partisans de la paix" n’y peuvent rien. Se contenter de
condamner la politique israélienne actuelle n’est qu’un
leurre. Que les auteurs de ce texte soient sincères ou non
importe peu.
(...) « Le point essentiel de l’appel est le renvoi à
l’Etat juif et démocratique, leit-motiv du discours sioniste
de gauche. Quand bien même la solution : "deux peuples, deux
Etats" serait encore possible, on ne peut que rappeler que
20% de la population de l’Etat d’Israël dans ses frontières
de 1949 définies par ce que l’on appelle la ligne verte est
palestinienne et n’a aucune raison de devenir juive si on
donne à ce terme la définition nationale de la doctrine
sioniste. Dans ces conditions, demander que l’Etat d’Israël
soit un Etat juif et démocratique revient à refuser la
citoyenneté à une partie de sa population conduisant à une
politique de discrimination, sauf à réaliser l’expulsion de
la partie non juive de la population, ce que certains
appelle pudiquement le transfert. En soutenant le principe
d’un Etat juif et démocratique l’appel se situe dans un
sionisme intransigeant oubliant que l’Etat d’Israël s’est
construit au détriment des habitants de la terre sur
laquelle il s’est constitué. »
Pour Michel Warchawski, de l’Alternative Information Center,
l’appel de JCall, au-delà des intentions de ses signataires,
illustre l’isolement croissant dans lequel se trouve le
gouvernement israélien sur la scène internationale (lire son
analyse :
JCall : Even European Jewry Beginning to Publicly Criticise
Israel).
Le soutien inconditionnel apporté par le CRIF et autres
organisations prétendant représenter les communautés juives
d’Europe est désormais fortement contesté, y compris parmi les
juifs. Comme me le confiait un animateur de J-Street : dans les
universités américaines, les étudiants juifs ont, en réalité, à
choisir entre J-Street et le mouvement de boycott et de
désinvestissement d’Israël ; les politiques de soutien
inconditionnel à Israël ne rencontrent plus d’écho.
C’est ce que confirme, par ailleurs, David Chemla,
cofondateur de JCall dans un entretien publié par Haaretz
le 3 mai et
traduit en français sur le site de La Paix maintenant.
« Je pense qu’en réalité, notre initiative améliore
l’image d’Israël en Europe. Cette image est très mauvaise
chez nous, à cause surtout de ce qui s’est passé à Gaza, et
l’on pense en général en Europe qu’Israël est le côté
provocateur et négatif du conflit, celui qui bloque le
processus de paix.
« Ce que nous faisons, c’est montrer qu’au sein de la
communauté juive, il y a débat - un débat ouvert - et que
nous ne sommes pas monolithiques. Nous nous identifions à
Israël et à ses droits, mais nous critiquons. Cela est sain
et nécessaire. Nous sommes juifs, sionistes, et nous sommes
toujours prêts à nous élever pour le droit d’Israël à
l’existence. Nous sommes contre la délégitimation et les
boycotts d’Israël, mais ce que nous montrons, c’est qu’il
est bon de s’identifier à Israël, et en même temps de
critiquer certaines de ses actions. »
La liste des signataires de l’appel de JCall pose problème.
Elle mêle un Bernard-Henri Lévy qui, sur un char israélien,
entrait dans Gaza à l’hiver 2008-2009 et un historien comme
Zeev Sternhell, dont les positions ont toujours été plus
déterminées et critiques de la politique israélienne.
Pour sa part, Leïla Shahid, la déléguée générale de la
Palestine auprès de l’Union européenne a déclaré, sur le site
Nouvelobs.com
« A travers JCall il y a un interlocuteur pour les
Palestiniens » (4 mai 2010).
UJFP. « Jcall » appelle à
la raison: quelle raison ?
Rudolf Bkouche. Un
appel à la raison bien déraisonnable
Les analyses d'Alain
Gresh
Les dernières mises à jour
|