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Nasrallah, le Hezbollah et l'assassinat de
Rafic Hariri
Alain Gresh
Alain Gresh
Lundi 5 avril 2010 Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan
Nasrallah a donné un long entretien à la télévision Al-Manar le
31 mars sur les rumeurs rapportées par la presse libanaise
concernant l’interrogatoire d’un certain nombre de membres du
parti par le tribunal pénal international créé par les Nations
unies à la suite de l’assassinat de l’ancien premier ministre
Rafic Hariri, le 14 février 2005 (une partie de l’entretien est
consacrée à d’autres questions, les armes de la résistance, les
élections municipales, les relations avec la Syrie – nous les
laisserons de côté – le texte intégral de l’entretien
a été traduit sur le site d’Al Manar ; les citations
reproduites ici ont été établies à partir d’une version anglaise
de la BBC).
Ce n’est pas la première fois que des rumeurs rattachent le
Hezbollah à l’assassinat de Hariri. Nous l’avions évoqué
ici-même en mai 2009, « Le
Hezbollah et l’assassinat de Rafic Hariri », notamment avec
les informations données par l’hebdomadaire allemand Der
Spiegel (comme nous le rappelions à l’époque, elles
n’avaient rien de nouveau, et à plusieurs reprises depuis 2006,
tel ou tel journaliste les avaient relayées).
Cette fois-ci, toutefois, les choses sont plus sérieuses,
puisque que, comme l’a reconnu Nasrallah dans l’entretien,
« le bureau du procureur général du Tribunal pénal international
de Beyrouth a contacté un certain nombre de frères, certains
d’entre eux sont affiliés avec le Hezbollah et d’autres sont de
nos amis ou sont proches du Hezbollah ; il les a convoqués pour
interrogatoire. Cela est vrai ». Et il a ajouté que ces
personnes étaient au nombre d’une douzaine et qu’une
demi-douzaine d’autres allaient être également convoquées. Il a
précisé aussi que certaines avaient été contactées à la fin de
2008 ou, plus précisément, après les événements de mai 2008 qui
avaient vu les milices du Hezbollah et d’Amal s’emparer de
Beyrouth-Ouest (Lire « Une
semaine qui a ébranlé le Liban », Le Monde diplomatique,
juin 2009). D’autres avaient été convoqués en 2009, mais cela
n’avait pas alors été rendu public. Nasrallah a refusé de
répondre à la question de l’identité des personnes interrogées,
notamment sur l’éventuelle présence parmi eux des dirigeants :
il a invoqué la nécessaire confidentialité de l’enquête, se
réservant le droit de revenir là-dessus plus tard. Il a aussi
précisé qu’ils avaient été convoqués à titre de témoins et non
de suspects.
Deux noms importants ont toutefois été révélés par la presse
libanaise et étrangère. Un article publié sur le site du lobby
pro-israélien Washington Institute for Near East Policy, « Beirut
Spring : The Hariri Tribunal Goes Hunting for Hizballah » de
David Schenker (30 mars 2010) donne deux noms : al-Hajj Salim et
Mustafa Badreddine ; le premier serait le chef d’une des unités
spéciales de l’organisation qui était dirigée par
Imad Moughniye, assassiné en février 2008, sans doute par le
Mossad ; l’autre est le beau-frère de Moughniyeh et
dirigerait les services de contre-espionnage du Hezbollah.
Rappelons que le contexte libanais a profondément changé
depuis 2005, comme l’a confirmé la visite du premier ministre
Saad Hariri en Syrie au mois de décembre 2009 et la
réconciliation spectaculaire entre
Walid Joumblatt, qui s’était déjà distancié des forces dites du
14-Mars, et le président Assad le 31 mars. Joumblatt a donné
un entretien à Isabelle Dellerba Libération (3 avril), « Bachar
al-Assad m’a dit : “Parlons, oublions le passé” ».
« Sur quoi vous êtes-vous mis d’accord lors de cette
rencontre ? », lui demande la journaliste.
« Respecter les constantes suivantes : protéger la
résistance libanaise – c’est-à-dire le Hezbollah – contre toute
possibilité d’agression israélienne, continuer à œuvrer pour la
stabilité, la sécurité, le dialogue. Enfin, les Syriens sont
prêts à délimiter les frontières entre nos deux pays en
commençant par le Nord. Quant à la zone des fermes de Chebaa,
étant donné que c’est un territoire occupé par Israël, il est
impossible de tracer les frontières là-bas maintenant. Ce sera
plus logique après la libération. »
Joumblatt a aussi répondu à des questions sur les
convocations de membres du Hezbollah par le tribunal.
« Des membres du Hezbollah ont été convoqués par le bureau
du procureur du Tribunal spécial pour le Liban (TSL). Comment
réagiriez-vous si le Hezbollah était accusé par le Tribunal
d’être impliqué dans l’attentat contre Rafic Hariri ? »
« Nous voulons la justice et la stabilité. Nous ne voulons
pas d’accusations politiques et je vous rappelle que ceux qui
ont été convoqués l’ont été en tant que témoins, pas plus. »
« Une accusation visant le Hezbollah serait politique
selon vous ? »
« Oui. »
Dans son entretien à Al-Manar, Nasrallah rappelle que la
première mise en cause de son organisation est venue du
Figaro en août 2006, juste après la guerre israélienne
contre le Liban et le Hezbollah, et il y voit une relation de
cause à effet. Le secrétaire général du Hezbollah rappelle
ensuite les diverses accusations lancées contre son mouvement,
notamment par Israël, à propos du 11-Septembre et d’une
soi-disant collaboration entre le Hezbollah et Al-Qaida, ou son
implication dans le trafic de drogue ou la fabrication de fausse
monnaie.
« Je dis que la dernière carte, la dernière arme, et le
dernier point – à condition de comprendre la question dans ce
contexte – pour cibler la résistance, les symboles de la
résistance, et le mouvement de la résistance au Liban, est ce
dossier qui a été ouvert et qui continue d’être utilisé après la
guerre de juillet 2006 avec l’article du Figaro. Je crois que ni
le Tribunal pénal international, ni l’enquête internationale, ni
certaines forces politiques régionales ne sont étrangers à ce
qui a été divulgué à l’époque. C’est notre analyse politique. »
Nasrallah revient à plusieurs reprises sur la question des
fuites et des informations relayées par la presse et qui se sont
révélées sans fondement.
« L’histoire de la commission internationale indépendante
d’enquête et du tribunal est pleine de fuites. (...) Ce n’est
pas un cadre harmonieux. Il est mélangé. Il comprend des membres
en provenance du Canada, des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne
et d’Australie. Bien sûr, il comprend aussi des Libanais, des
Arabes, et des représentants de diverses nationalités. Il y a
probablement des conflits et des différends au sein du tribunal.
Sinon, comment expliquer que, durant ces quelques années il y
ait eu de nombreuses démissions. Un fonctionnaire rejoint le
tribunal et il ne reste pas un an, un greffier en chef s’y joint
mais termine après à peine une courte période. Ainsi, le
tribunal est un patchwork. Tout le monde y participe, sauf les
forces du 8 Mars [l’opposition composée par le Hezbollah et le
Courant patriotique libre] ; l’autre côté (la coalition du
14 mars) a aussi des employés dans le tribunal. Eh bien, avec un
tribunal de ce genre, qui manque de cohésion et de discipline,
il est naturel qu’il y ait des fuites, indépendamment du fait de
savoir si elles sont bien intentionnées ou mal intentionnées, je
ne veux pas discuter des intentions. »
Le but de ces campagnes est-il de détruire le Hezbollah ?
« Non, répond son secrétaire général, un tel but n’est pas
réaliste. Le but est de déformer l’image du Hezbollah, car il
jouit d’un grand respect et d’une grande crédibilité au Liban et
dans le monde arabe et musulman. Toutes les tentatives de
déformer son image au cours des dernières années n’ont abouti à
rien. Même le discours confessionnel, qui a été utilisé au Liban
n’a pas donné de résultats. »
Nasrallah revient ensuite sur les critiques qu’il fait à la
commission internationale d’enquête et au tribunal. Il aurait
fallut, dès le départ, qu’elle prenne en compte toutes les
hypothèses, les probables et les moins probables.
« Or, dès le premier jour, la commission d’enquête n’a
émis qu’une hypothèse. Cela signifie la politisation de
l’enquête. Elle a désigné la Syrie et les quatre [officiers]
libanais (libérés depuis). Elle n’a pas défini d’autres
hypothèses, même pas l’implication du Hezbollah. Je vais être
méthodique et objectif. Ils n’ont pas envisagé Al-Qaida comme
une hypothèse. Israël n’était pas non plus considéré comme une
hypothèse. Tout service de sécurité dans le monde qui veut
détruire le Liban et la région n’était pas une hypothèse. Il n’y
a eu qu’une seule hypothèse : la Syrie et les officiers. Tous
les efforts ont été consacrés à la collecte de faux témoins pour
étayer cette hypothèse. Quand ils ont commencé à amener des
témoins et interroger les gens, tous les interrogatoires étaient
fondés sur cette hypothèse. Ils n’ont pas travaillé sur d’autres
hypothèses. »
« Dès le premier jour, ils ont exclu Israël. (...)
Je ne veux pas accuser Israël, parce que je n’ai aucune preuve.
Je fais des analyses comme d’autres font d’autres analyses. Mon
analyse de la responsabilité d’Israël est solide comme analyse
politique, mais je n’ai pas de faits. Mais je dis et je le
répète ce soir que ceux qui rejettent cette hypothèse insultent
le Premier ministre martyr Rafic Hariri. Que disent-ils ?
Qu’Israël n’aurait jamais tué le Premier ministre Al-Hariri ?
C’est une insulte pour lui ».
(...) « Même quand l’hypothèse d’un groupe salafiste a
surgi (avec l’arrestation d’un groupe dit des 13) – je ne les
accuse pas car je n’ai pas pu les interroger –, la commission
d’enquête n’a pas pris cette hypothèse avec le sérieux requis.
Le dossier a été fermé, bien que politiques et responsables de
la sécurité au Liban et le procès-verbal des interrogatoires
mentionnent les aveux de certains de ces salafistes sur tout :
l’accident de camion, Abou-Adas [qui a été arrêté et impliqué
dans les enquêtes] l’assassinat, le kamikaze ; mais il a été dit
plus tard qu’ils sont revenus sur leurs aveux. Personne ne sait
comment ce dossier des 13 a été fermé ou comment ils ont fini. »
« Malgré toutes nos réserves, poursuit Nasrallah,
nous voulons coopérer avec l’enquête. Comme tous les Libanais,
nous voulons connaître la vérité. Nous avons condamné
l’assassinat du ministre Al-Hariri depuis le début et estimé que
c’était un tremblement de terre. Peut-être que j’ai été le
premier à utiliser le terme de tremblement de terre, terme qui a
ensuite été utilisé plus largement. »
Mais, ajoute-t-il, « nous ne coopérerons pas jusqu’au
bout » si « la commission continue à encourager les
fuites destinées à tromper l’opinion, si les faux témoins
continuent à être protégés sans qu’il leur soit demandé des
comptes. »
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