Les blogs du Diplo
Non-violence en
Palestine ?
Alain Gresh

Alain Gresh
Mardi 5 janvier 2010 Alors que l’on reparle d’un plan de paix
américain, que Gilles Paris évoque sur son blog « Guerre ou
paix » (« Un
nouveau plan de paix américain ? », 4 janvier), les formes
de lutte palestiniennes sont à nouveau en débat.
Une critique régulièrement adressée à la lutte palestinienne
est le fait que son caractère violent lui aliène nombre de
sympathies. Cela est évidemment flagrant quand les cibles visées
par des militants palestiniens sont des civils israéliens.
L’argument n’est pas nouveau et toutes les luttes d’émancipation
ont été confrontées à ce dilemme.
Il est bien évident que le gouvernement israélien est le
responsable premier de la violence en Palestine. Le droit d’user
de la violence pour se libérer est aussi un droit légitime des
peuples. Mais ce droit n’entraîne pas forcément la justesse du
recours à la force. Il faut aussi que ce soit la meilleure arme
pour la libération. L’est-elle pour les Palestiniens ?
Dans un récent article (30 décembre 2009) du quotidien Le
Monde, « Arrestations
en série de militants palestiniens en lutte contre la “clôture
de sécurité” israélienne », Benjamin Barthe revient sur la
lutte non violente contre le mur de la honte élevé par les
Israéliens :
« Dans les territoires occupés, la silhouette de Jamal
Juma passait rarement inaperçue. Corpulent, le front dégarni et
le sourire aux lèvres, ce quadragénaire, coordinateur de “Stop
the wall”, la campagne de protestation contre la barrière de
séparation israélienne, se bagarrait sur tous les fronts. Dans
les oliveraies de Bilin ou de Nilin, deux villages qui
manifestent chaque semaine contre cet ouvrage qui confisque près
de 10 % des terres de Cisjordanie ; sur la place des Lions de
Ramallah, haut lieu de rassemblement de la société civile
palestinienne ; et dans les consulats européens de Jérusalem-Est
qu’il rappelait à leurs obligations en matière de défense des
droits de l’homme. »
« Mais, depuis le 15 décembre, le rayon d’action de Jamal
Juma s’est considérablement rétréci. Le cerveau de la résistance
non violente contre le “mur de l’apartheid” ne bataille plus que
devant le tribunal militaire de la Moskobiya, un centre de
détention à Jérusalem-Ouest. »
« Arrêté par la police, il a rejoint derrière les barreaux
une dizaine d’autres activistes, engagés dans le même combat que
lui, détenus le plus souvent sans la moindre charge et victimes,
selon leurs défenseurs, d’une politique d’intimidation délibérée
de la part des autorités israéliennes. “Israël cherche à briser
ce mouvement qui marque des points dans l’opinion publique
internationale, dit Magda Mughrabi, de l’association de défense
des prisonniers Addameer. Il s’agit à la fois de dissuader les
gens d’aller manifester et de saboter le travail de
sensibilisation qu’ils mènent à l’étranger.” »
(...)
« C’est au mois de décembre que le rythme des
interpellations s’est accéléré. Cinq surviennent d’un seul coup
à Naplouse, visant des militants associatifs. Le 10 de ce mois,
peu avant Jamal Juma, c’est Abdallah Abu Rahma, autre pilier des
cortèges de Bilin, qui est embarqué par l’armée israélienne.
Parmi les charges retenues contre lui, outre le “jet de pierres”
et le “jet de ballons remplis d’excréments de poulet” (sic),
figure “la possession d’armes israéliennes usagées”. »
« Les dites armes sont les reliques des grenades
assourdissantes et lacrymogènes, tirées par les soldats contre
les villageois, puis ramassées par ceux-là et exposées en guise
de témoignage de la violence exercée contre eux. A l’idée qu’il
s’agit là d’un délit, Gaby Lasky, l’avocate d’Abou Rahma,
réprime un fou rire : “Et c’est quoi la prochaine étape ? Faire
payer aux manifestants le prix des balles qui sont tirées sur
eux ?” »
Parfois, aussi, l’armée use de violence plus grave et des
manifestants pacifiques ont aussi été tués.
La journaliste Amira Hass affirme que ce qu’Israël craint le
plus, c’est le développement des luttes populaires : « Danger :
Popular struggle », Haaretz, 23 décembre 2009.
« Au cours des derniers mois, les efforts (israéliens)
pour réprimer la lutte ont augmenté. La cible : les Palestiniens
et les Israéliens juifs qui ne veulent pas renoncer à leur droit
de résister à la séparation démographique et à la suprématie
juive. Les moyens : dispersion des manifestations avec des
balles réelles, raids de l’armée en fin de soirée et
arrestations de masse. Depuis le début de l’année, vingt-neuf
Palestiniens ont été blessés par des tireurs de l’armée alors
qu’ils manifestaient contre la barrière de séparation. Les
tireurs d’élite ont tiré des balles “expansives”, malgré un
ordre explicite de 2001 des autorités militaires de ne pas
utiliser ces munitions pour disperser des manifestations. Après
que les soldats ont tué A’kel Srour en juin, les tirs ont cessé,
mais ont ensuite repris en novembre. » (...)
« Ce qui est dangereux dans la lutte populaire, c’est
qu’il n’est pas possible de la qualifier de terroriste.
(...) La lutte populaire, même si elle est limitée, montre
que l’opinion publique palestinienne est en train d’apprendre de
ses erreurs passées et de l’utilisation des armes, et elle offre
des solutions de rechange que même les hauts fonctionnaires de
l’Autorité palestinienne ont été obligés d’appuyer – au moins au
niveau des déclarations publiques. »
« Yuval Diskin et Amos Yadlin, les chefs respectifs du
service de sécurité du Shin Bet et du renseignement militaire,
ont déjà exposé leurs craintes. Au cours d’une réunion
d’information au gouvernement, ils ont expliqué : “Les
Palestiniens veulent continuer et construire un Etat de bas en
haut... et forcer Israël à un accord d’en haut. La sécurité
actuelle en Cisjordanie et le fait que l’Autorité agit contre le
terrorisme de manière efficace ont amené la communauté
internationale à se tourner vers Israël et là lui demander de
faire des progrès (dans les négociations).” »
« La répression brutale de la première Intifada, et la
répression à balles réelles des premières manifestations non
armées de la deuxième Intifada, ont prouvé aux Palestiniens que
les Israéliens ne les écoutent pas. La répression a laissé un
vide qui fut comblé par la glorification de ceux qui prônaient
l’utilisation des armes. »
« Est-ce là ce que l’establishment sécuritaire et ses
supérieurs politiques tentent de réaliser aujourd’hui, eux
aussi, afin de nous soulager du fardeau d’un soulèvement
populaire ? »
Parlant de ses négociations avec le gouvernement sud-africain
et de ses demandes d’arrêter la violence, Nelson Mandela
écrivait : « Je répondais que l’Etat était responsable de la
violence et que c’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé, qui
détermine la forme de la lutte. Si l’oppresseur utilise la
violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par
la violence. Dans notre cas, ce n’était qu’une forme de légitime
défense. » (Nelson Mandela, Un long chemin vers la
liberté, Livre de poche, p. 647.)
Les analyses d'Alain
Gresh
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