Carnets du diplo
« L’Iran
n’a pas de programme militaire nucléaire »
Alain Gresh
4 décembre 2007
Un rapport publié par National Intelligence Council, un
organisme qui coordonne les 16 services de renseignement américains,
a été rendu public sous le titre Iran :
Nuclear Intentions and Capabilities (novembre 2007). Voici
quelques-unes de ses appréciations :
« Nous estimons, avec un haut degré de certitude (high
confidence) que, à la fin 2003, Téhéran a arrêté son
programme nucléaire d’armement ; nous estimons, avec une
confiance entre modérée et forte, que Téhéran, au minimum,
laisse ouverte l’option du développement d’armes nucléaires.
Nous pensons, avec un haut niveau de certitude, que l’annonce
par Téhéran de son intention de suspendre son programme
d’enrichissement d’uranium et de signer le protocole
additionnel du Traité de non prolifération a été faite pour répondre
aux pressions croissantes du contrôle international et aux
pressions dues au dévoilement des activités nucléaires non déclarées. »
Le rapport poursuit en affirmant que l’Iran n’avait pas
repris son programme militaire nucléaire à la mi-2007.
Le rapport juge, avec une confiance modérée (with moderate
confidence) que l’Iran ne pourra pas produire assez
d’uranium enrichi avant la fin 2009 (mais que cette date est très
improbable). Selon les estimations, la date plausible devrait se
situer entre 2010 et 2015, mais il se pourrait que, même en 2015,
l’Iran ne soit pas capable de produire assez d’uranium
enrichi.
Quelques petites remarques : en 2003, quand, d’après ce
rapport, Téhéran suspend son programme militaire, aucune
sanction n’a été adoptée par la « communauté
internationale » contre l’Iran. On ne peut donc interpréter
cet acte comme le résultat de sanctions. Ce qui est vrai, c’est
que, à l’époque, les Etats-Unis et l’Iran sont dans une période
de relative détente puisqu’ils collaborent en Afghanistan et en
Irak ; et que le gouvernement de Téhéran a fait des
ouvertures pour une négociation globale avec Washington, ce que
j’ai expliqué dans « Comptes
à rebours en Iran ». Pour plus d’informations sur
l’Iran, loin des schématismes, on peut lire le numéro spécial
de Manière de voir publié par Le Monde diplomatique
et intitulé « Tempêtes
sur l’Iran ».
Les réactions au rapport de la NIE sont très nombreuses.
Selon une dépêche de l’Agence France Presse du 4 décembre :
« Le conseiller du président américain George W. Bush
pour la sécurité nationale, Steve Hadley, a réagi à sa
publication en estimant que la communauté internationale devait
"augmenter la pression" en isolant diplomatiquement et
en sanctionnant l’Iran, tout en offrant la perspective d’un
dialogue. »
Sur le site de l’hebdomadaire américain Time, réalisé
en partenariat avec CNN, Tony Karon publie ce 3 décembre un
texte intitulé « The
Fallout from the Iran Nukes Report ».
Le rapport a suscité « l’indignation d’un certain
nombre de personnes à Washington qui le voient comme une
intervention politique indue de la communauté du renseignement
risquant d’affaiblir les Etats-Unis dans leurs demandes de
sanctions dures contre Téhéran. Ce rapport "renforce les
Iraniens et affaiblit toutes les autres parties", affirme un
officiel du Pentagone qui parle sous couvert d’anonymat. Je
pense que c’est écoeurant". Bruce Rieel, un ancien
officier de la CIA et un associé du Brookings Institute, note que
le rapport de la NIE est "un tournant remarquable",
alors que l’an dernier le directeur de la National Intelligence
"témoignait pour dire que l’Iran avait un programme
complexe et multi-faces destiné à construire la bombe.
Maintenant il affirme qu’il a été stoppé il y a quatre ans.
Nos alliés auront des doutes supplémentaires sur la fiabilité
de l’information américaine sur les activités nucléaires des
Etats-voyous." » (...). Et le journaliste de
conclure que, « pour ceux qui prônent une stratégie
plus agressive à l’égard de l’Iran, le travail sera désormais
sensiblement plus difficile ».
La presse israélienne fait ses gros titres sur ce rapport.
Selon le site du quotidien Haaretz, dans un article
« PM :
New U.S. report on Iran nukes proves need for sanctions »,
le premier ministre Ehoud Olmert a déclaré que le rapport
justifiait les sanctions, tandis que le ministre de la défense
Ehoud Barak affirme : « Il semble que l’Iran a arrêté
pendant une certaine période en 2003 son programme nucléaire
militaire, mais, pour autant que nous le sachions, il l’a
probablement repris. »
La réaction du gouvernement français a été exprimée par la
porte-parole du Quai d’Orsay, rapportée aujourd’hui par l’AFP.
« La France a estimé mardi qu’il fallait
"continuer à maintenir la pression sur l’Iran", malgré
la publication lundi d’un rapport des services de renseignements
américains, selon lequel l’Iran a suspendu son programme nucléaire
militaire. La porte-parole du ministère des Affaires étrangères,
Pascale Andréani, a fait valoir lors d’un point presse qu’il
fallait "poursuivre la préparation d’une résolution de
mesures contraignantes" au Conseil de sécurité de l’ONU
contre Téhéran. "Il apparaît que l’Iran ne respecte pas
ses obligations internationales", a-t-elle ajouté, en référence
au refus répété de Téhéran de suspendre l’enrichissement de
l’uranium, une activité à caractère civil mais aussi
potentiellement militaire. »
« Mme Andréani n’a pas souhaité faire de
commentaire direct sur le rapport du renseignement américain,
mais a précisé que l’action de la communauté internationale
se fondait sur des "faits" rapportés par l’Agence
internationale de l’énergie atomique (AIEA), pas sur des
"intentions" prêtées à l’Iran. "Comme le
montre le dernier rapport de l’AIEA, nous constatons que l’Iran
n’a toujours pas répondu à toutes les questions qui lui sont
posées sur ses activités passées et présentes" et
"poursuit ses efforts visant à maîtriser la technologie de
l’enrichissement", a-t-elle souligné. "Notre position
demeure donc inchangée. Nous devons continuer à maintenir la
pression sur l’Iran", a-t-elle dit. »
Il est presque comique de constater comment toutes les prévisions
sur la
date à laquelle l’Iran aura l’arme nucléaire sont
contredites au fur et à mesure.
Pour des idées sur une stratégie différente à l’égard de
l’Iran, on pourra lire le rapport
Iran, nouvelles sanctions ou nouvelle stratégie ? de
Cédric Poitevin, chercheur au Groupe de recherche et
d’information sur la paix et la sécurité (Bruxelles).
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