Opinion
Alexandre
Adler, Rachida Dati, le Maroc et les
chantres de la démocratie
« contrôlée »
Alain Gresh
Alain
Gresh
Lundi 4 juillet 2011
Ils ont été nombreux, ces dernières
années, à expliquer que les dictatures
arabes valaient mieux que la démocratie,
car celle-ci risquait d’amener les
islamistes au pouvoir. Le 27 janvier
encore, sur TF1, Frédéric Encel,
présenté comme « maître de conférences à
Sciences Po » (il est en réalité, comme
2 000 à 3 000 autres, simple chargé de
cours), qui parade sur tous les plateaux
de télévision, expliquait que
« si Moubarak tombe, les islamistes
prendront le pouvoir ».
C’était le même thème que reprenait
Caroline Fourest dans une chronique qui
a précédé les révolutions arabes de
quelques semaines,
« Séculariser puis démocratiser » (Le
Monde, 29 novembre 2010).
Cette antienne a servi pendant des
décennies à justifier les soutiens
officiels aux présidents Ben Ali et
Moubarak, mais aussi l’attitude de
nombreux responsables politiques. Et on
a pu mesurer le degré de collusion entre
certains responsables français et la
Tunisie – collusion impliquant de
solides avantages financiers – avec
l’affaire Michèle Alliot-Marie. Mais
l’exemple de Bertrand Delanoë montre que
les deux grands partis politiques
manifestaient la même complaisance.
Voici ce que le maire de Paris disait à
propos de Ben Ali :
« Je lui parle beaucoup des
opposants. Je dis ce que je pense, et
notamment du président de la Ligue
tunisienne des droits de l’homme. En
Tunisie, on peut être ami avec des gens
qui se combattent. Il n’est pas rare de
se retrouver à un dîner ou à une soirée
d’amis où il y a les opposants les plus
farouches, les légaux, les illégaux, les
gens au pouvoir. » Pour justifier
son incroyable aveuglement, le maire de
Paris poursuit sur cette note
pseudo-culturaliste : « Nous, les
Tunisiens, nous sommes un peu complexes.
C’est un des charmes de la Tunisie. Elle
est dirigée de manière autoritaire et je
ne méconnais pas la réalité de ce
pouvoir. Mais je suis le fils de la
Tunisie. Ce qui ne m’empêche pas
d’exprimer mes convictions de la même
manière avec tous. »
Les journalistes n’étaient pas en
reste, et tous n’étaient pas non plus
désintéressés, comme l’a révélé, pour
ces derniers, un article du Canard
Enchaîné du 29 juin, résumé sur
Rue89,« Le
Canard épingle des journalistes hôtes de
Ben Ali » :
« Selon l’hebdomadaire, Image 7
organisait les vacances de certains
journalistes en Tunisie :
- du 20 mai au 24 mai 2009,
Etienne Mougeotte (Le Figaro),
Nicolas de Tavernost (M6), Dominique
de Montvalon (Le Parisien) et
Alain Weil (patron de RMC-BFM TV)
seraient partis à Tunis avec leurs
épouses ;
- du 22 juin au 24 juin 2007,
Michel Schifres et Marie-Ange
Horlaville (journaliste du
Figaro spécialiste du luxe)
auraient bénéficié d’un séjour VIP
dans la capitale tunisienne ;
- en juin 2004, Gérard Gachet,
ancien de Valeurs actuelles,
serait parti cinq jours en vacances
avec sa femme à Tozeur ;
- fin 2004, Image 7 aide Françoise
Laborde, alors présentatrice du JT
de France 2, à organiser un
réveillon à Zarzis avec son
compagnon et ses deux enfants.
Devenue depuis membre du CSA, elle
reviendra en 2010 en vacances et
bénéficiera d’une voiture avec
chauffeur. »
Les responsables ont-ils tiré les
leçons de ces compromissions ? A lire
les commentaires sur le Maroc et sur
le référendum concernant la
Constitution, on peut en douter. Comme
le notait l’envoyée spéciale du Monde
Isabelle Mandraud (« Maroc : les
réformes du roi plébiscitées »,
3-4 juillet 2011), le oui l’a emporté
avec plus de 98% et le taux de
participation était de près de 73%.
Le quotidien relativisait toutefois
cette « victoire » : sur les
19,5 millions d’électeurs potentiels,
seuls 13 millions étaient inscrits et le
roi n’a pas hésité à mobiliser les
mosquées et les imams, leur faisant lire
le 25 juin un prêche dicté par le
ministère des affaires islamiques (un
imam qui a refusé a immédiatement été
démis de ses fonctions).
D’autre part, le taux de
participation est-il réel ? Quelqu’un
a-t-il vraiment couvert les bureaux dans
les régions éloignées ? Un correspondant
marocain a écrit au site Angry Arab (« Covering
Morocco », 2 juillet) pour lui faire
part du périple de 470 kilomètres qu’il
a parcouru dans son pays, ce qui met
sérieusement en doute les pourcentages
annoncés.
C’est sans doute pourquoi le
Journal du dimanche du 3 juillet
titre « Un triomphe en trompe-l’œil »
(l’édition électronique publie, en
revanche, un article beaucoup moins
critique intitulé
« Maroc : plébiscite pour le roi »).
Mais, au-delà de ces polémiques, la
question est de savoir si cette
Constitution limite les pouvoirs du roi
et assure le passage à une monarchie
constitutionnelle. La réponse est
claire : c’est non. Les pouvoirs du roi
restent entiers (y compris celui de
faire « approuver », demain, une autre
Constitution) et sa fortune immense et
la corruption de ses proches resteront
sans contrôle aucun.
Toutes ces limites n’ont pas empêché
des responsables et des journalistes
français d’expliquer combien le Maroc
était un exemple (il faut bien en
trouver un puisque la Tunisie et
l’Egypte ne le sont plus).
Rachida Dati, députée européenne, a
déclaré le 23 juin : « Le discours
révolutionnaire prononcé vendredi
dernier par SM le Roi Mohammed VI
préfigure d’une réforme
constitutionnelle sans précédent qui
fait du Maroc un pionnier et un exemple
pour tous les pays arabes. » Elle
était en visite au Maroc pour le
lancement du groupe d’amitié Union
européenne-Maroc et elle a appelé le
Parlement européen à exprimer un soutien
« sans réserve » aux réformes
annoncées par le Maroc.
Ainsi, avant même le vote, un
responsable français prend position dans
ce qui relève des affaires intérieures
marocaines, et cela ne choque personne.
Quant à Alexandre Adler, dans Le
Figaro (« La “révolution de velours”
marocaine, un modèle pour le monde
arabe ? », 25-26 juin), il écrit :
« Plutôt que de céder aux
intimidations de la rue, le roi a pris
les devant, dans la continuité d’une
monarchie marocaine que seule une frange
minoritaire de l’islamisme conteste
réellement. Il propose donc de réaliser
en peu de temps la transition vers une
monarchie parlementaire où l’instance
législative issue du suffrage universel
deviendra déterminante dans le vie de la
nation. »
C’est cette contre-vérité qui permet
au journaliste de conclure que « les
solutions pragmatiques peuvent encore
l’emporter à temps ».
Personne ne peut dire quand la
dynastie marocaine tombera. Mais, quand
cela arrivera, on sera curieux de mieux
connaître les liens avec le roi de tous
ces journalistes et intellectuels, de
tous ces responsables politiques, de DSK
à BHL, qui ont construit leurs
splendides résidences secondaires (riyads)
à Marrakech ou ailleurs au Maroc.
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