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Les blogs du Diplo
Dennis Ross, l'Iran et la politique de
Barack Obama
Alain Gresh

Mercredi 4 mars 2009 Le 23 février,
le département d’Etat américain a annoncé la nomination de
Dennis B. Ross comme conseiller spécial de la secrétaire d’Etat
pour le Golfe et pour l’Asie du sud-ouest. « Plus précisément,
poursuit le communiqué, il [Ross] fournira, comme
conseiller spécial, à la secrétaire d’Etat et aux principaux
responsables du département d’Etat, des avis stratégiques et des
perspectives pour la région ; proposera des évaluations et agira
pour assurer l’intégration d’une politique efficace dans la
région ; coordonnera avec les principaux responsables le
développement et la formulation de nouvelles approches
politiques ; et participera, à la demande de la secrétaire
d’Etat, aux activités inter-agences en relation avec la
région. »
Attendue depuis des semaines, cette nomination soulève bien
des questions. Pourquoi, d’abord, a-t-elle tant tardé, ce retard
soulevant des inquiétudes en Israël, dont Dennis Ross est
considéré, à juste titre, comme un « ami » ? Ensuite, quelles
sont ses fonctions exactes ?
Sur son blog, le 23 février, Jim Lobe, chef du bureau de
l’agence Inter Press Service (IPS) à Washington, publie un
billet intitulé « Ross
gets an appointment but maybe not quite the one he wanted ».
« Il y aura sans aucun doute de nombreux commentaires sur
la signification précise de cette annonce et la future autorité
et influence de Ross. Mais si vous comparez cette annonce à la
manière dont le
Washington Institute for Near East Policy (WINEP) présentait
la chose à ses responsables – Ross sera “ambassadeur
extraordinaire” (at large) et “le principal conseiller de
la secrétaire d’Etat sur une série de problèmes du
Proche-Orient, du processus de paix israélo-palestinien à
l’Iran” –, vous mesurez la différence. Non seulement il n’a pas
obtenu ce statut de “principal” conseiller de Clinton, mais son
domaine d’intervention est limité au Golfe et à l’Asie du
sud-ouest, une région pour laquelle, contrairement à ce
qu’affirme le communique du département d’Etat, il a très peu,
pour ne pas dire aucune expérience directe. »
« Cela ne veut pas dire que Ross n’aura pas d’influence
sur la définition de la politique à l’égard de l’Iran, mais son
rôle semble limité : a) au strict conseil, sans participation
directe à la mise en œuvre de la politique, et b) au département
d’Etat, à moins que Clinton ne lui demande de travailler avec
d’autres agences gouvernementales. Ses responsabilités à l’égard
de la seule secrétaire d’Etat – il n’y a aucune mention de
contact direct avec le président ou la Maison Blanche – sont à
comparer au statut » de l’envoyé spécial pour le
Proche-Orient, George Mitchell, et du représentant spécial pour
l’Afghanistan et le Pakistan, Richard Holbrooke, qui dépendent
directement de la Maison Blanche.
Quelques jours plus tard, le 3 mars, le même Lobe fait son
autocritique dans un article intitulé « Ross
Is Clearly a Major Player ». Il s’appuie pour cela sur les
premiers résultats de la visite de Hillary Clinton au
Proche-Orient. Clinton a déclaré au ministre des affaires
étrangères des Emirats arabes unis qu’elle ne croyait pas à
l’ouverture vers l’Iran, et Obama a envoyé une lettre au
président russe proposant de renoncer au bouclier antimissile en
Europe de l’Est en échange d’un appui de Moscou à plus de
sanctions contre Téhéran. Lobe y voit la mise en application du
rapport sur l’Iran du Bipartisan Policy Center (septembre
2008), rapport auquel ont collaboré des néoconservateurs connus
comme Michael Rubin et Michael Makovsky. D’autre part, pour
Lobe, les déclarations de Clinton en Israël et en Palestine sont
conformes à ce que pense Ross : « Fatah et Cisjordanie
d’abord ».
Laura Rozen, sur le site de Foreign Policy, explique
pourquoi les diplomates ont tellement de mal à définir les
fonctions de Ross (« Why
State’s having a hard time explaining Dennis Ross’s job, »,
25 février).
Ces questions rejoignent celles d’Omid Memarian sur The
Huffington Post (2 mars), « Is
Dennis Ross Iran’s Real envoy ? » Il pense que William
Burns, le sous secrétaire d’Etat aux affaires politiques, jouera
un rôle plus important que Ross. De même, il pense que Lee
Hamilton, qui a codirigé avec James Baker le
rapport bipartisan sur l’Irak publié en décembre 2006, et
qui est un des seuls responsables américains à avoir été en
contact avec le guide de la révolution Ali Khamenei, aura aussi
un rôle important. Hamilton affirme que « le point de départ
des relations américano-iraniennes devrait être d’affirmer notre
respect pour le peuple iranien, notre refus de la stratégie de
changement de régime, et de reconnaître les problèmes de
sécurité de l’Iran et son droit à l’énergie nucléaire civile ».
Ces interrogations reflètent à la fois les incertitudes sur
l’avenir de la politique de Barack Obama et les appréciations
critiques sur la personnalité de Dennis Ross, l’un des
responsables de la politique proche-orientale de Bush père et de
William Clinton. Il est un membre actif du lobby pro-israélien.
Il a été en charge du dossier israélo-palestinien et il est
sûrement l’un des responsables de l’échec du processus d’Oslo.
Il porte également une lourde responsabilité dans l’échec des
négociations entre la Syrie et Israël en 2000. Pour une
biographie critique, lire « Right Web, » 30 octobre 2008.
Sur les vues de Ross telles qu’elles se sont exprimées durant
la campagne en faveur d’Obama, lire son entretien avec le
quotidien israélien Haaretz (24 octobre 2008), « Dennis
Ross on why he’s working for Obama and how he’d talk to Iran ».
La difficulté, selon les remarques du professeur Gary Sick,
qui a servi au Conseil national de sécurité sous les présidences
Ford, Carter et Reagan, et qui fut le principal conseiller à la
Maison Blanche durant la révolution irakienne (1979) et la crise
des otages américains (lire ses commentaires plus anciens sur « Quelle
menace iranienne ? ») est que Ross a adopté des positions
assez différentes. D’abord, il a défendu un dialogue sans
conditions avec l’Iran, donc un dialogue qui s’ouvrirait sans
que l’Iran renonce à l’enrichissement de l’uranium, mais qui
s’accompagnerait de pressions économiques supplémentaires ; il
excluait le recours à la force (lire le
rapport 2008 du Jewish People Policy Planning Institute,
institut que préside Ross).
En revanche, il a participé à la rédaction du rapport
bipartisan sur l’Iran (lire plus haut) qui prône une politique
beaucoup plus dure, puisque le dialogue est conditionné à
l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium ! Et le rapport prévoit
un blocus de l’Iran et même une campagne de bombardements
aériens... Ross a défendu ces positions à plusieurs occasions :
lire, par exemple,
« Dennis Ross : 18 Months to Avoid War with Iran » (The
Huffington Post, 5 juillet 2007). Il affirmait alors qu’il
restait 18 mois pour éviter la guerre ; ce délai est désormais
passé...
Pour les vues de Gary Sick sur une autre politique américaine
à l’égard de l’Iran, lire son texte du 21 janvier 2009,
« The Republic and the Rabhar », National Interest.
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