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Les blogs du Diplo
L'Afrique du Sud et Gaza
Alain Gresh

Mercredi 4 février 2009 Si les médias ont rendu compte de la
réaction de nombre de gouvernements à la guerre israélienne
contre Gaza, ils sont restés silencieux sur les positions prises
par le gouvernement de l’ANC, gouvernement issu de la lutte
contre l’apartheid en Afrique du Sud.
« Le gouvernement sud-africain condamne sans équivoque et
dans les termes les plus forts l’escalade de la violence exercée
par Israël avec le lancement, samedi nuit, d’une invasion
terrestre de la bande de Gaza » a déclaré le ministère des
affaires étrangères sud-africain dans un communiqué publié au
Cap le dimanche 4 janvier.
« Les pertes en vies humaines et la catastrophe
humanitaire en cours à Gaza sont inacceptables », a-t-il
ajouté, invitant le gouvernement israélien à cesser ce
« massacre humanitaire » à Gaza et à retirer
« immédiatement et sans conditions » ses troupes de cette
zone.
« La bande de Gaza est l’une des zones les plus densément
peuplées dans le monde et l’offensive terrestre israélienne,
impliquant l’utilisation de véhicules blindés et de troupes
lourdement armées, soutenus par une artillerie et des
hélicoptères de combat, va inévitablement entraîner des pertes
encore plus grandes en vies civiles, ce qui aura un impact dans
toute la région dans les années à venir », a poursuivi le
ministère sud-africain.
Le dimanche 4 janvier, des milliers de manifestants se sont
rassemblés devant le consulat des Etats-Unis à Johannesburg pour
protester contre le bombardement de la bande de Gaza par Israël.
Le 6 janvier, le Congrès national africain (ANC) condamnait
l’action israélienne à Gaza : « South
Africa’s ruling party condemns Israeli attacks on Gaza »
Le Congrès national africain a affirmé qu’« aussi
longtemps qu’Israël continuera à occuper des terres appartenant
légalement aux Palestiniens, il n’y aura pas de solution durable
aux problèmes et au conflit au Proche-Orient ». Le
communiqué affirme que le peuple palestinien a le droit
d’exister dans un Etat souverain, avec des frontières sûres, aux
côtés d’un Etat israélien indépendant. L’ANC a demandé qu’Israël
se conforme enfin aux résolutions de l’ONU, notamment à la
résolution de la Commission sur les droits humains de juin 1996
(il semble que cette résolution soit, en fait, du
11 avril 1996).
News24,
le principal site d’information d’Afrique du Sud annonçait le
23 janvier qu’une aide humanitaire était en route pour Gaza (« SA
aid on way to Gaza »). L’avion transportait 84 tonnes d’aide
ainsi que 25 médecins et journalistes sud-africains. L’aide a
été coordonnée notamment par le conseil des églises, les évêques
catholiques et le puissant syndicat ouvrier COSATU. Le départ de
l’avion a été salué par la vice-ministre des affaires
étrangères, Fatima Hajaig : « Cela nous réchauffe le coeur
que le peuple sud-africain puisse atteindre, par des mots et par
des gestes, le peuple palestinien. Le gouvernement salue la
société civile et les organisations non gouvernementales qui ont
avec tant d’enthousiasme soutenu et coordonné cette
initiative. »
Selon l’agence JTA, dans une dépêche en provenance du Cap,
19 janvier,
« ANC lawmakers rip Israel »,, des parlementaires de l’ANC
auraient affirmé que « les abus israéliens contre les
Palestiniens faisaient apparaître l’apartheid comme un
pique-nique du dimanche. » Le président de la commission des
affaires étrangères Job Sithole a comparé le traitement des
Palestiniens aux checkpoints à celui infligé à du bétail
et à l’apartheid.
Sur cette réunion au parlement qui s’est tenue en présence de
l’ambassadeur israélien, on pourra aussi lire
« MPs slam Israeli ambassador » (Michael Hamlyn, 16 janvier,
24.com)
La COSATU pour sa part a appelé à la rupture des liens
diplomatique avec Israël, au boycott des produits israéliens et
réaffirmé « son soutien à la lutte du peuple palestinien pour
la liberté ». D’autre part, les dockers sud-africains ont
annoncé qu’ils boycotteraient un navire israélien qui est arrivé
à Durban (« Dock
workers won’t offload Israeli ship », JTA, 3 février). Le
Comité de solidarité avec les Palestiniens rappelle, dans un
communiqué, que les travailleurs avaient refusé de décharger un
bateau chinois transportant des armes pour le Zimbabwe. Il
appelle à boycotter divers Etats dictatoriaux comme le Zimbabwe,
le Swaziland et Israël. Le communiqué salue les déclarations de
différentes voix juives qui se sont dissociées de l’action menée
à Gaza : « Nous appelons tous les Sud-Africains à garantir
qu’aucun citoyen de notre pays ne participe à la machine à tuer
des forces d’occupation israéliennes. »
Un groupe d’une centaine de juifs sud-africains a publié dans
un journal du Cap,
Cape
Times, un appel affirmant que les dirigeants de la
communauté juive qui avaient soutenu l’opération israélienne à
Gaza ne parlaient pas en leur nom. Selon l’agence de presse JTA
(« Letter
protests South African Jewish leaders », 13 janvier) qui
relaie l’information, les signataires regrettent que les
structures communautaires prétendent parler en leur nom, que
cette approche est « irresponsable » car elle divise la
communauté. Ils affirment que, tout en condamnant les roquettes
lancées à partir de Gaza, ils pensent que l’action israélienne
est « une punition collective inhumaine et disproportionnée
interdite par le droit international. » Quelques jours plus
tard, un article sur le site de l’hebdomadaire Mail &
Guardian,« Top
SA Jews slam Gaza attack », de Percy Zvomuya et Sello S.
Alcock, 1er février) annonçait que onze importantes
personnalités juives dénonçaient les attaques contre Gaza comme
« inhumaines et disproportionnées ». Parmi les
signataires, la Prix Nobel de littérature Nadine Gordimer,
Arthur Chaskalon, un ancien procureur, et William Kentridge, un
artiste renommé. L’article note aussi une polémique concernant
la participation de juifs sud-africains à l’armée israélienne et
la demande de militants favorables à la Palestine que s’ouvre
une enquête sur leur rôle.
En réponse à des appels, circulant sur le net, de boycott des
magasins appartenant à des juifs, un groupe d’une centaine de
musulmans, tout en dénonçant les attaques israéliennes
indiscriminées à Gaza, condamne les appels contre la communauté
juive et le racisme qu’ils affirment avoir combattu toute leur
vie (« South
African Muslims condemn Jewish boycott », JTA, 2 février).
L’importance de la question israélo-palestinienne en Afrique
du Sud tient à plusieurs facteurs, notamment les rapports
anciens entre l’ANC et l’Organisation de libération de la
Palestine (OLP). Durant toute la lutte contre l’apartheid, il
faut le rappeler, les gouvernements israéliens successifs, de
gauche et de droite, ont collaboré avec le régime de
l’apartheid. Sur ce sujet, on pourra consulter, dans Le Monde
diplomatique, « Comment
l’Afrique du Sud a pu mettre au point “sa” bombe nucléaire »,
par Howard Schissel (septembre 1978), et « Un
poumon d’acier : la coopération avec Israël », par Bowke
Mafuna (septembre 1986).
D’autre part, il existe en Afrique du Sud une communauté
juive ancienne, que l’on évalue à 100 000 personnes. Bien que,
comme toutes les communautés « blanches », elle ait, en
majorité, collaboré avec le régime de l’apartheid, une minorité
active s’est engagée contre ce régime, notamment au sein du
Parti communiste sud-africain, qui joue un rôle très important
dans l’ANC – le PC a joué un rôle déterminant pour faire
triompher, au sein de l’ANC, la perspective d’une Afrique du Sud
multiraciale, contre les tenants d’une Afrique du Sud « noire ».
Outre Joe Slovo, décédé, qui fut le secrétaire général du PC,
une autre figure emblématique de ce combat des juifs communistes
contre l’apartheid est Ronnie Kasrils, qui fut responsable des
services secrets sud-africains, puis ministre de l’eau et des
forêts. Dans une conférence prononcée en 2002, et intitulée
« Bethlehem, comme Sharpeville, est devenu un symbole de
l’oppression », il dit :
« Au milieu des années 1980, quand il s’est avéré que
l’Afrique du Sud pourrait imploser, de très fortes sanctions
économiques furent appliquées par d’influents politiciens
américains opposés à l’administration Reagan. Un avertissement
pour le régime d’apartheid. En 1988, il fut contraint d’entamer
d’authentiques négociations. Il se passera la même chose pour
Israël. »
Dans un autre texte, publié à l’occasion du soixantième
anniversaire du massacre de Deir Yassin, (« Soixante
ans après Deir Yassin ») il explique :
« Comme tout gamin de dix ans élevé à Johannesburg, j’ai
célébré la naissance d’Israël, il y a soixante ans. J’ai accepté
sans broncher les récits dramatiques des actions de soi-disant
autodéfense contre la violence arabe pour protéger l’Etat juif.
Lorsque je me suis engagé dans notre lutte de libération, je
me suis rendu compte des similitudes avec la cause palestinienne
dans la dépossession de la terre et du droit de naissance par
l’occupation coloniale expansionniste. J’en suis venu à réaliser
que le caractère racial et colonial des deux conflits comportait
des comparaisons plus importantes qu’avec toute autre lutte.
Lorsque Nelson Mandela déclarait que nous savons, en tant que
Sud-Africains, “que notre liberté est incomplète sans la
liberté des Palestiniens”, il ne parlait pas seulement à
notre communauté musulmane, dont on pouvait attendre qu’elle
soit en empathie directe, mais à tous les Sud-Africains,
précisément à cause de notre expérience d’assujettissement
racial et colonial, et parce que nous comprenons bien la valeur
de la solidarité internationale. »
Pour une autre vision d’un combattant blanc de l’ANC, lui
aussi juif, on lira avec intérêt le livre d’Andrew Feinstein,
After the Party. A Personnal and Political Journey Inside the
ANC (Jonathan Ball Publishers, Johannesburg, 2007), et
notamment le chapitre 9 sur « être juif ».
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