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2 novembre 1917, la
déclaration Balfour
Alain Gresh

Alain Gresh
Lundi 2 novembre 2009 Il y a 92 ans, le 2 novembre 1917, le
gouvernement britannique adoptait la déclaration Balfour, un
texte qui est à l’origine du conflit palestinien. Pour en
comprendre les enjeux, voici un extrait du chapitre 2 de
Israël-Palestine, vérités sur un conflit (Fayard, 2001 et
2007).
Le conflit se noue (1917-1939)
Un monde s’effondre. La première guerre mondiale entre dans
sa dernière année. Des empires séculaires, celui des Ottomans –
le turc –, l’empire austro-hongrois, n’y survivront pas. La
Russie tsariste est déjà morte et les bolcheviks s’apprêtent à
prendre le Palais d’hiver et à instaurer un régime dont la durée
de vie coïncidera avec ce que les livres d’histoire désignent
comme le XXe siècle. Nous sommes le 2 novembre 1917 et lord
Arthur James Balfour, ministre du puissant empire britannique,
met la dernière touche à sa lettre. Hésite-t-il un instant à y
apposer son paraphe ? Est-il saisi d’une sombre prémonition ?
Sans doute pas, car le texte, plus connu sous le nom de
« déclaration Balfour », a été longuement débattu par le
gouvernement de Sa Majesté. Celui-ci déclare qu’il « envisage
favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national
pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter
la réalisation de cet objectif ». La déclaration qui, dans
une première version, évoquait « la race juive », précise que,
pour la réalisation de cet objectif, « rien ne sera fait qui
puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des
collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et
au statut politique dont les juifs jouissent dans tout autre
pays ». Comment créer un foyer national juif sans affecter
les populations locales arabes ? Cette contradiction, la
Grande-Bretagne ne pourra jamais la résoudre et elle sera à
l’origine du plus long conflit qu’ait connu le monde
contemporain.
La lettre de Balfour est adressée à lord Walter Rothschild,
un des représentants du judaïsme britannique, proche des
sionistes. Qu’est-ce que le sionisme ? J’y reviendrai dans le
prochain chapitre. Bornons-nous pour l’instant à dire que ce
mouvement réclame « la renaissance nationale du peuple juif » et
son « retour » sur la terre de Palestine. La déclaration Balfour
répond à plusieurs préoccupations du gouvernement de Londres.
Alors que la guerre s’intensifie sur le continent, il s’agit de
se gagner la sympathie des juifs du monde entier, perçus comme
disposant d’un pouvoir considérable, souvent occulte. Cette
vision, ironie de l’histoire, n’est pas éloignée de celle des
pires antisémites qui détectent, partout, « la main des juifs ».
Le premier ministre britannique de l’époque évoque dans ses
Mémoires la puissance de « la race juive », guidée par ses seuls
intérêts financiers, tandis que Lord Balfour lui-même avait été
le promoteur, en 1905, d’un projet de loi sur la limitation de
l’immigration en Grande-Bretagne, qui visait avant tout les
juifs de Russie. Mark Sykes, un des négociateurs des accords qui
partagèrent le Proche-Orient en 1916, écrivait à un dirigeant
arabe : « Croyez-moi, car je suis sincère lorsque je vous dis
que cette race [les juifs], vile et faible, est
hégémonique dans le monde entier et qu’on ne peut la vaincre.
Des juifs siègent dans chaque gouvernement, dans chaque banque,
dans chaque entreprise. »
La déclaration Balfour s’adresse particulièrement aux juifs
américains, soupçonnés de sympathie pour l’empire
austro-hongrois, et aux juifs de Russie, influencés par les
organisations révolutionnaires qui ont renversé le tsar au
printemps 1917. Nombreux sont favorables à ce que la Russie
signe une paix séparée. Londres espère éviter ce « lâchage ».
Balfour évoque même la mission qui serait confiée aux juifs en
Palestine : faire que les juifs du monde se comportent
« convenablement » ! Ce calcul échouera puisque, dans la nuit du
6 au 7 novembre 1917, les insurgés bolcheviks s’emparent du
pouvoir à Petrograd et appellent à la paix immédiate.
Mais la Grande-Bretagne, en confortant le mouvement sioniste,
vise un objectif plus stratégique, le contrôle du Proche-Orient.
Le dépeçage des vaincus est négocié entre Paris, Londres et
Moscou, alors même que la victoire n’est pas acquise. En 1916,
sont signés entre Paris et Londres, puis ratifiés par le tsar,
les accords connus sous le nom de Sykes-Picot (Mark Sykes et
Georges Picot sont deux hauts fonctionnaires, l’un britannique
l’autre français) qui définissent les lignes de partage et les
zones d’influence au Proche-Orient. Pour Londres, la Palestine
« protège » le flanc est du canal de Suez, ligne vitale entre
les Indes, le fleuron de l’empire, et la métropole. Le
parrainage accordé au sionisme permet au gouvernement
britannique d’obtenir un contrôle total sur la Terre sainte.
Mais les Britanniques ne se sont pas contentés de promesses
au mouvement sioniste, ils en ont fait aussi aux dirigeants
arabes. Le calife ottoman (il exerce son autorité sur les
territoires arabes du Proche-Orient et il est « le commandeur
des croyants ») s’est joint en 1914 à l’Allemagne et à l’empire
austro-hongrois. Il a même lancé un appel à la guerre sainte
contre les infidèles. Pour riposter, Londres suscite une révolte
des Arabes contre l’empire ottoman, animée par un dirigeant
religieux, le chérif Hussein de La Mecque. En échange, Hussein
obtient l’engagement britannique d’appuyer l’indépendance des
Arabes. Mais les promesses n’engagent que ceux qui y croient...
Comment, en effet, concilier l’indépendance arabe et la création
d’un foyer national juif ? La révolte arabe deviendra célèbre
dans une version bien déformée forgée par un des agents
britanniques qui y jouèrent un rôle capital, Thomas E. Lawrence,
dit Lawrence d’Arabie. Ce récit, « Les Sept piliers de la
sagesse », sera porté au cinéma par David Lean et Peter O’Toole
dans le rôle de Lawrence.
Le Proche-Orient sera donc partagé entre la France et la
Grande-Bretagne. Créée en 1920, la Société des Nations (SDN),
l’ancêtre des Nations unies, ne regroupe alors que quelques
dizaines d’Etats, pour l’essentiel européens. Elle invente le
système des « mandats » que la charte de la SDN définit comme
suit : « Certaines communautés, qui appartenaient autrefois à
l’Empire ottoman, ont atteint un degré de développement tel que
leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue
provisoirement, à la condition que les conseils et l’aide d’un
mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles
seront capables de se conduire seules. » Ainsi des peuples
considérés comme « mineurs », auraient besoin de tuteurs pour
accéder, un jour peut-être, à la majorité…
Le 24 juillet 1922, la SDN octroie à la Grande-Bretagne le
mandat sur la Palestine. Le texte prévoit que la puissance
mandataire sera « responsable de la mise à exécution de la
déclaration originairement faite le 2 novembre 1917 par le
gouvernement britannique et adoptée par [les puissances
alliées], en faveur de l’établissement d’un foyer national pour
le peuple juif ». Les fils du chérif Hussein, étroitement
contrôlés par Londres, s’installent sur les trônes d’Irak et de
Transjordanie (pays créé par les Britanniques à l’Est du
Jourdain), tandis que les territoires libanais et syrien tombent
dans l’escarcelle de la France. L’Egypte, formellement
indépendante depuis 1922, reste sous occupation britannique.
Tous les acteurs du drame palestinien sont en place : la
puissance dominante, la Grande-Bretagne, qui souhaite maintenir
son contrôle sur une région stratégique, riche en pétrole dont
le rôle économique et militaire grandit ; le mouvement sioniste,
fort de son premier grand succès diplomatique, et qui organise
l’immigration en Palestine ; les Arabes de Palestine, que l’on
ne désigne pas encore sous le nom de Palestiniens, et qui
commencent à se mobiliser contre la déclaration Balfour ; enfin,
les pays arabes, pour la plupart sous influence britannique et
qui vont s’impliquer graduellement dans les affaires
palestiniennes.
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