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« Farce » à
Washington, ou « Faisons comme si le train avançait »
Alain Gresh
Alain Gresh
Mercredi 1er septembre 2010 Qui croit encore au processus de
paix ? Le journal des milieux d’affaire britanniques, le
Financial Times, intitulait un éditorial du 23 août 2010 « One
final act in the Middle East farce » (« Dernier acte pour la
farce du Proche-Orient »). Le scepticisme est général, et on est
loin des illusions qui avaient accompagné le
sommet d’Annapolis, en 2007, qui prévoyait la création d’un
Etat palestinien avant la fin 2008. Seuls les protagonistes du
sommet qui s’ouvre le 2 septembre à Washington veulent faire
semblant d’y croire et ils ont tous de bonnes raisons pour
cela :
— Le roi Abdallah II de Jordanie et le président égyptien
Hosni Moubarak, parce qu’ils ont besoin de faire croire à leurs
opinions sceptiques que l’on avance vers la paix, au moment même
où leur pratique autoritaire vise à empêcher tout débat et toute
avancée de l’opposition dans les deux scrutins qui se
dérouleront en Egypte et en Jordanie en novembre.
— Le président Obama, qui n’a pas tenu les promesses de son
discours du Caire du 4 juin 2009 et qui, engagé dans un
conflit difficile au Proche-Orient, veut rassurer ses alliés
arabes sans déplaire à son allié israélien.
— L’Union européenne, trop lâche pour définir une politique
innovante, qui veut simplement faire croire que les centaines de
millions d’euros déversés sur l’Autorité palestinienne servent à
autre chose qu’à financer l’occupation.
— Le président Mahmoud Abbas, dont la légitimité est de plus
en plus contestée, y compris parmi les siens, et qui veut
montrer que son choix d’une négociation peut porter ses fruits.
D’autant qu’il n’a pas vraiment le choix, puisque tout
l’appareil de l’Autorité palestinienne dépend de la manne
internationale : des dizaines de milliers de fonctionnaires
vivent grâce à cet argent. Et tant pis pour les Palestiniens qui
critiquent la reprise des négociations : ils n’ont même pas le
droit de s’exprimer, comme le confirme Benjamin Barthe dans le
quotidien Le Monde du 27 août (« L’autorité palestinienne
censure les opposants aux négociations avec Israël », article
qui n’est pas en accès libre sur le site LeMonde.fr). Il n’y a
pas que le Hamas pour avoir des pratiques autoritaires, mais
celles de « nos » alliés ne nous gênent pas.
— Le premier ministre israélien Nétanyahou, qui a obtenu ce
qu’il voulait,
des négociations sans conditions préalables, c’est-à-dire
avec la poursuite de la colonisation, notamment à Jérusalem-Est
(et ailleurs, comme le prouvent toutes les études sur le
terrain), avec la démolition des maisons palestiniennes. Ou, dit
autrement, avec les mots d’Akiva Eldar dans le quotidien
Haaretz du 23 août (« With
a victory like this... »), ces négociations s’ouvrent
avec des conditions préalables : celles dictées par Israël.
Ceux qui pensent que la paix est pour demain, qu’un Etat
palestinien est en construction, devraient lire un autre article
de Benjamin Barthe, « A Ramallah, l’impossible réforme de la
poste », dans Le Monde daté du 1er septembre : de
l’impossibilité de bâtir un Etat sous occupation. Et aussi,
jeter un regard sur cette carte, conçue par Julien Bousac et
publiée par Le Monde diplomatique, « L’Archipel
de la Palestine orientale ». Un archipel peut-il être un
territoire continu ?
Pour résumer l’esprit de la réunion de Washington, il faut
rappeler une anecdote que l’on racontait en Union soviétique
dans les dernières années de la période de Brejnev :
En 1918, un train dans lequel Lénine est installé est bloqué
par la neige. Lénine descend du train, fait un discours sur le
prolétariat et la révolution mondiale, mobilise tous les
voyageurs qui dégagent la voie, et le train repart.
En 1936, un train dans lequel Staline est installé est bloqué
par la neige. Staline descend du train, fait fusiller quinze
personnes au hasard et tous les voyageurs terrifiés se
mobilisent et dégagent la voie. Le train repart.
En 1978, un train dans lequel Brejnev est installé est bloqué
par la neige. Brejnev ne bouge pas. Ses conseillers le voient
assis, bougeant simplement d’avant en arrière. L’un d’entre eux
ose enfin lui demander pourquoi. Et Brejnev répond :
« Faisons comme si le train avançait. »
A Washington, les protagonistes feront pareil. Comme si la
paix était en marche...
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Les analyses d'Alain
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Le
dossier négociations (?) 2010
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