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Le Proche-Orient vu par Bachar Al-Assad
Alain Gresh


Alain Gresh

Vendredi 1er janvier 2010

La nouvelle n’a été rapportée que par la presse économique spécialisée et par quelques blogs : « L’administration américaine a opposé une fin de non recevoir à une demande adressée par la France pour lever l’embargo sur la vente d’avions à la Syrie », a déclaré lundi 28 décembre le ministre syrien des transports Yaarob Badr. En septembre, l’avionneur européen avait signé un accord de principe avec Syrian Air pour l’acquisition de 14 Airbus, accord conditionné à un aval américain avant la fin de l’année – l’avion comportant des pièces américaines. Or le président Obama a prolongé l’embargo, provoquant la colère de la Syrie.

Le ministre syrien a critiqué cet embargo qui « a placé la compagnie Syrian Arab Airlines en difficulté en l’empêchant d’acquérir les avions et les pièces de rechange nécessaires ». C’est peu de le dire. La compagnie syrienne retarde ou annule régulièrement ses vols pour cause de défaillances techniques, elle loue des appareils à l’étranger pour assurer certaines liaisons et l’on murmure à Damas que le propre avion officiel du président Bachar Al-Assad ne serait pas sûr.

On comprend que le président syrien en fasse un test de l’attitude de l’administration Obama quand je l’interroge sur l’état des relations entre la Syrie et les Etats-Unis : « Je ne peux pas parler de relations bilatérales quand l’embargo est toujours en place. On ne peut pas parler de relations normales quand les Etats-Unis nous punissent. » Le Syrian Accountability Act, adopté par le Congrès américain en 2003, est toujours en vigueur et le président Obama a prolongé pour un an, en juillet 2009, d’autres mesures de rétorsion prises par le président Bush en 2007. Le président Assad semble perplexe face à la nouvelle administration. Il salue le changement de rhétorique, mais attend toujours des actes et… la nomination d’un ambassadeur américain à Damas.

La Syrie et les Etats-Unis continuent de s’observer en chiens de faïence. Deux rapports de l’International Crisis Group, publiés à la mi-décembre, Reshuffling the cards ? (I) : Syria’s evolving strategy et Reshuffling the cards ? (II) : Syria’s New Hand, ont le grand mérite d’essayer d’analyser les différents facteurs qui guident les décisions syriennes, alors qu’à Washington prévaut une vision de la Syrie comme un acteur animé par des « mauvaises intentions », par un désir viscéral de nuire aux Etats-Unis. Comprendre la logique et sa complexité, sans forcément l’accepter, permettrait sans doute à la diplomatie américaine de mieux travailler. Ce que met en lumière, remarque le rapport de l’ICG, « la bataille de clichés » qui fait rage à Washington :

« A la base de ces réponses simplistes on trouve un effort pour découvrir les motivations profondes de la Syrie. Qu’est-ce que le régime veut ; est-il capable de faire la paix avec Israël ; peut-il rompre ses relations avec l’Iran ; veut-il jouer un rôle constructif en Irak ou sur le théâtre palestinien ; peut-il abandonner ses ambitions hégémoniques au Liban ? Mais il n’existe pas de réponse abstraite à ces questions, pas plus que les intentions de la Syrie ne peuvent être définies de manière figée, comme si elles existaient par avance, imperméables aux circonstances et au contexte. Le comportement de la Syrie dans le passé a dépendu largement des actions des autres, du paysage régional et des risques encourus, aussi bien que de la situation intérieure et de ses contraintes. Ce sera aussi le cas dans le futur. Autrement dit, plutôt que de découvrir les intentions syriennes, il est plus utile d’identifier le type de facteurs et de dynamiques auxquelles le régime répond. »

Le Liban est un bon cas d’école. Le président nous reçoit alors qu’il sort d’une conférence de presse qu’il a tenue le matin même avec Saad Hariri. Cette visite spectaculaire du premier ministre libanais, sans précédent depuis 2005, l’assassinat de son père Rafic Hariri et le départ des troupes syriennes du pays, est considérée par la presse régionale comme historique. Elle est, affirme Assad, « non pas une page nouvelle, mais une phase nouvelle, un retour à la normale. Elle ne concerne pas le passé, mais l’avenir, ce que nous devons faire ensemble ». Elle confirme aussi le pragmatisme syrien : d’un côté, il n’y aura pas de retour à la situation d’avant 2005 quand l’essentiel de la politique libanaise se décidait à Damas ; de l’autre, la Syrie rappelle qu’elle est un acteur incontournable – la coalition du 14-Mars qui s’était constituée avec la volonté d’en finir avec tout rôle syrien est défaite et divisée, Walid Joumblatt, le leader druze, s’en est éloigné et les ministres chrétiens du 14-Mars ont critiqué la visite de Hariri.

Ce pragmatisme, on le retrouve dans les relations avec la Turquie dont le premier ministre Recep Erdogan s’est rendu à Damas le 23 décembre pour présider le Conseil de coopération stratégique turco-syrien. Qui se souvient qu’il y a une dizaine d’années, les deux pays étaient proches de la guerre ? Désormais, c’est bien un axe stratégique qui se dessine, aux conséquences incalculables pour l’avenir de la région. « Après la guerre de 2003 contre l’Irak, explique le président, nous avons vu le feu se rapprocher. Il nous a poussé à développer ces relations pour nous protéger et nous avons découvert que nous avions plein de choses en commun, que nous avions des intérêts communs avec la Turquie. Nous avons désormais un paysage régional différent, nous sommes devenus des acteurs. Pour tous les grands projets, le développement du pétrole, du gaz, des routes, du train, de tous les projets entre mer Caspienne, mer Rouge, le Golfe et la Méditerranée, vous avez besoin de cette coopération régionale. Cela serait impossible sans des relations politiques entre nos deux pays. » Et le président semble convaincu que l’avenir de la région doit être pris en main par les pays de la région eux-mêmes, sans ingérences étrangères...

Alors que la Syrie est sérieusement préoccupée par ses problèmes économiques et sa volonté d’un développement accéléré, la Turquie représente un atout majeur, bien plus significatif que l’Iran dont les capacités économiques sont réduites, comme l’explique le rapport de l’ICG. L’ouverture des frontières entre la Turquie et la Syrie, la suppression des visas, la réhabilitation de tronçons de chemin de fer du fameux train du Hedjaz mis en service avant la première guerre mondiale, devraient permettre un essor sans précédent du commerce entre les deux pays, commerce qui est déjà passé en dix ans de 500 millions à 1,8 milliard de dollars. Comme l’a confirmé Erdogan, la Syrie est une porte vers le Proche-Orient…

Et le rôle de médiateur de la Turquie dans les négociations syro-israéliennes ? Le président Assad éclate de rire : « Nous avons besoin d’un médiateur entre la Turquie et Israël. » Les relations entre les deux pays se sont en effet tendues depuis la guerre contre Gaza et les critiques turques à l’égard d’Israël. Le ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman a rejeté le rôle de médiateur d’Ankara – la Turquie a servi d’intermédiaire dans cinq sessions de pourparlers indirects tenus entre les deux pays du temps où Ehud Olmert était premier ministre, négociations indirectes qui n’ont toujours pas repris. Plus sérieusement, le président ajoute : «  Nous avons entendu dire qu’il y avait des efforts de différentes parties pour rétablir les relations entre Israël et la Turquie pour que cette dernière puisse jouer son rôle dans la reprise des négociations. »

La France peut-elle aider ? Le président semble réservé : « La France est un acteur international et la Turquie un acteur régional, ils peuvent jouer un rôle complémentaire, mais nous devons d’abord relancer le rôle turc, alors la France pourra le soutenir et jouer un rôle. » Quoi qu’il en soit, le président ne cache pas scepticisme : il pense qu’il n’existe aucun interlocuteur israélien prêt à faire la paix. D’autant qu’Assad refuse « les négociations sans conditions » proposées par Netanyahou, négociations dont les bases ne seraient pas clairement établies (« la paix contre les territoires »).

Parmi les dossiers régionaux, celui du nucléaire iranien est parmi les plus sensibles. Il concerne Damas dans la mesure où une partie de l’administration américaine fait du relâchement des relations entre l’Iran et la Syrie une condition à des gestes américains en direction de cette dernière. Si c’est le cas, rien ne semble indiquer que le président Assad soit prêt à lâcher l’Iran, ce qu’il avait déjà affirmé lors de notre précédent entretien.

« Est-ce que nous voulons une solution avec l’Iran ou un problème ? Si nous voulons un problème, le mieux est d’exercer des pressions, de décréter un embargo, voire de faire la guerre. Si nous voulons une solution, il faut un dialogue direct avec Téhéran. Il doit être fondé sur le traité de non prolifération et sur le droit de l’Iran à enrichir son uranium. Les Etats-Unis doivent abandonner l’initiative dite européenne, qui est en fait une initiative américaine avec une couverture européenne. Ils doivent discuter avec l’Iran de la quantité d’uranium qui sera enrichi [à 20%] à l’extérieur de l’Iran. Téhéran a fait preuve de flexibilité en acceptant qu’une partie de son uranium soit enrichie à l’étranger. Les Européens disent que la totalité doit être envoyée d’un coup à l’étranger, alors qu’il n’existe pas de garanties que cet uranium sera rendu à l’Iran ; Téhéran a proposé que cela se fasse par étape, une quantité d’uranium étant envoyée à l’étranger après qu’une autre, enrichie, soit restituée à l’Iran. L’Europe insiste pour que Téhéran envoie tout son uranium d’un coup. J’ai dit au président Sarkozy que, si j’étais Ahmadinejad, je n’accepterais pas une telle offre. » Et le président de s’étonner que l’Europe et les Etats-Unis soient muets sur le nucléaire israélien.

L’axe Téhéran-Damas s’est forgé dès le lendemain de la révolution iranienne de 1979. Il a résisté à toutes les crises, mais il ne signifie pas que les deux pays aient la même vision, ni forcément les mêmes intérêts. Ainsi, la Syrie, contrairement à l’Iran, est prête à négocier avec Israël et à reconnaître cet Etat ; d’autre part, dans la crise actuelle au Yémen, Damas a appuyé l’Arabie saoudite dans son intervention contre les rebelles huthiste alors que Téhéran l’a condamnée. La question qui se pose est de savoir pourquoi la Syrie renoncerait à son alliance avec l’Iran, alors que ce pays l’a soutenue, notamment à partir de 2005, quand elle subissait les foudres de l’Europe et des Etats-Unis. Pourtant, il est évident qu’une paix israélo-syrienne aurait des effets sur les alignements et les alliances dans la région.

L’avenir de celle-ci inquiète le président syrien, comme la montée des tensions confessionnelles et de l’extrémisme alors que les conflits majeurs perdurent. Dans ce contexte, l’Europe apparaît bien absente : « Dans les années 1970 et 1980, l’Europe était plus objective qu’aujourd’hui, alors même que la guerre froide faisait rage et que les Européens étaient alliés aux Etats-Unis contre l’Union soviétique. En ce qui concerne notre région, ils étaient plus indépendants. Ils s’engagent maintenant dans une mauvaise direction. Pourquoi ? Je ne sais pas, c’est aux Européens de répondre. » Et il ajoute : «  Si l’Europe a un patron [sous-entendu américain], pourquoi devrais-je traiter avec elle, je dois aller directement voir le patron. »

Il revient sur l’affaire des avions : « Vous dites que nous sommes partenaires, mais vous ne pouvez m’envoyer les avions dont j’ai besoin à cause de l’embargo américain. Quelle sorte de partenaire êtes-vous ? » Et l’accord d’association entre l’Union européenne et la Syrie ? Il n’est pas près d’être signé. « Aucune des deux parties n’est assez mûre pour cette association. Pour notre part, nous avons besoin de réformes administratives et économiques pour réduire les effets négatifs d’un tel accord. Quant à l’Union européenne, elle a été kidnappée par les Etats-Unis et par Jacques Chirac ; durant les années difficiles, elle s’est tenue aux côté des Etats-Unis contre nous. Si vous voulez être mon ami, il faut prouver que vous l’êtes vraiment. » Et le président ajoute qu’aucun des pays arabes qu’il a consultés et qui ont signé un accord de partenariat méditerranéen n’est satisfait…

En conclusion, le président note que « les Etats-Unis n’ont plus besoin de l’Europe depuis la fin de la guerre froide. Ils peuvent donner des ordres au Proche-Orient et aux pays producteurs de pétrole, ils ont des relations directes avec les anciennes républiques soviétiques. Ils mettent l’Europe de côté, sauf quand ils ont besoin de la couverture de la soi-disant “communauté internationale” ». Une vision pessimiste, mais assez réaliste, de la difficulté de l’Europe à trouver sa place dans l’architecture mondiale qui se dessine.

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Source : Les blogs du Diplo
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