Al-Ahram Hebdo
« Les fonctionnaires du PNUD se sont imposés une sorte
d'autocensure »
Mercredi 29 juillet 2009
PNUD.
Moustapha Kamel Al-Sayed,
professeur de sciences politiques à
l’Université du Caire qui dirigeait au départ la rédaction du
rapport, estime que ce document est devenu un pur produit des
fonctionnaires des Nations-Unies. Interview.
Al-Ahram Hebdo : Vous étiez l’auteur
principal du rapport du PNUD et soudain vous avez déclaré, lors
d’une conférence de presse, que vous vous retirez et que vous
dégagez votre responsabilité du contenu du rapport. Pouvez-vous
expliquer ce qui s’est passé vraiment ?
Moustapha Kamel Al-Sayed :
Tout simplement j’ai décliné ma
responsabilité, car je pense que le Programme des Nations-Unies
pour le Développement (PNUD) a violé les termes du contrat qu’il
a signé avec moi. Selon le contrat, il fallait que le principal
auteur, à savoir le chef de l’équipe, soit informé du moindre
changement dans le texte. Et c’est exactement le contraire qui
s’est produit avec moi.
Après avoir présenté la quatrième et dernière
version du rapport, en tenant compte des avis des éminents
spécialistes du monde arabe et des membres du Conseil
consultatif ad hoc, les responsables onusiens se sont abstenus
de tout contact avec moi. Et c’est uniquement après trois mois
que l’un d’entre eux m’a appelé pour me dire qu’il a modifié le
rapport. Ce que j’ai complètement refusé dès le départ. Il m’a
conseillé de lire la nouvelle version et je l’ai fait, me
rendant compte alors que les changements étaient importants,
donc j’ai complètement renoncé à avoir la moindre part de
responsabilité concernant ce document.
— Pouvez-vous nous expliquer quels sont ces
changements importants ?
— Tout d’abord, on a supprimé une discussion
sur la sécurité humaine du point de vue arabe. Ils ont aussi
supprimé un chapitre entier sur les conflits d’identité dans le
monde arabe. Ces conflits ont causé la mort de centaines de
citoyens du monde arabe et du Moyen-Orient, que ce soit au
Soudan, en Iraq ou en Iran, et ont provoqué le départ massif de
centaines de personnes de leurs territoires.
En plus, des tensions liées à l’identité ont
par la suite vu le jour dans d’autres pays arabes. Dans ces
chapitres, j’avais aussi fait référence aux lourdes conséquences
de ces conflits pour certains pays arabes, comme par exemple
l’incursion de l’armée turque en Iraq, ce qui affecte la
sécurité humaine. Ces textes comprenaient aussi un débat sur la
question des interventions humanitaires du point de vue arabe.
Il est aussi à noter que le chapitre supprimé ne se limitait pas
à la présentation des conflits d’intérêt, mais il a proposé
aussi les modalités de solution de ces conflits.
— Et la version actuelle du rapport, que
contient-elle ?
— La version que j’avais présentée
considérait la colonisation étrangère, que ce soit en Palestine
ou en Iraq ou au Sahara occidental, comme étant la deuxième
menace pour la sécurité humaine dans le monde arabe. Quant à la
version préparée par les fonctionnaires du PNUD, elle reléguait
cette question comme la dernière source de menace. Ils ont
déplacé le chapitre du début du rapport et l’ont placé à la fin
dans le but de marginaliser la menace de l’occupation étrangère.
Et moi, je n’approuve pas ce point de vue. La version que
j’avais présentée analysait la notion de sécurité humaine,
c’est-à-dire le respect dû à la vie humaine, le droit au
bien-être et à la liberté qui pourraient être menacés par les
criminels. Cette analyse que j’avais présentée était bien
équilibrée. Ainsi, cette version comparait la sécurité
personnelle dans les villes arabes avec celle d’autres villes du
sud où la sécurité est moindre, comme Rio de Janeiro au Brésil,
Bogota en Colombie et Nairobi au Kenya, où personne n’ose sortir
seul le soir et où se promener dans la rue, même pendant la
journée, est une aventure. Contrairement à la version actuelle
du PNUD qui n’est pas équilibrée, elle ne parle pas de la
sécurité relative dans les villes arabes. Au contraire, elle
fait état de la fréquence de viols des femmes sans citer des
chiffres qui confirmeraient cette menace comme un danger
spécifique propre au monde arabe.
Et enfin, la structure du rapport que j’avais
présenté correspondait à une logique spécifique reflétant la
gravité et les causes ainsi que les faits à l’origine de toutes
les menaces pour la sécurité personnelle dans le monde arabe. La
version du PNUD ne se conforme à aucune logique. Je devrais dire
aussi qu’à cause de tous ces changements introduits par les
fonctionnaires du PNUD qui ne sont pas tous des Arabes, l’idée
du rapport pour le développement dans le monde arabe a été
étouffée, car il faut que ce rapport soit le reflet de la pensée
des intellectuels arabes. Avec tous ces changements, ce rapport
est devenu un produit des fonctionnaires des Nations-Unies et
cela n’était pas son objectif au départ.
— Avez-vous une explication face à ce
comportement des responsables du PNUD ?
— Oui bien sur, les fonctionnaires du PNUD se
sont imposés une sorte d’autocensure. Ils savent très bien que
les rapports précédents avaient provoqué la colère et la
protestation de certains gouvernements arabes et non arabes,
comme les Etats-Unis et Israël, ainsi que certains pays arabes.
Ils ont cette fois-ci essayé d’éviter de provoquer ces pays.
— Votre désengagement du rapport laisse
planer aujourd’hui beaucoup d’interrogations sur la neutralité
de ces rapports. Ne le pensez-vous pas ?
— Sans aucun doute. Bien sûr qu’actuellement
et avec tous ces changements et rectifications on ne peut pas
parler de neutralité.
Si ces rapports ne sont pas aussi neutres, en
quoi seraient-ils importants pour le monde arabe ? Evidemment,
le rapport met l’accent sur certaines menaces pour la sécurité
humaine dans le monde arabe, mais je pense qu’il aurait été plus
valable s’il avait été le produit des intellectuels de la
région. Mais comme il est devenu un simple produit des
Nations-Unies, il sera considéré comme un autre exemple de
tutelle exercée par les puissances étrangères sur la région. Si
l’on veut vraiment que le rapport présente un schéma d’une
réforme arabe, il faut qu’il soit le produit des réflexions des
intellectuels de la région.
Propos recueillis par Chaïmaa
Abdel-Hamid
Droits de reproduction et de diffusion
réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 4 août 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
|