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Al-Ahram Hebdo

Un pavé dans la mare
Samar Al-Gamal


Photo Al-Ahram

Mercredi 28 octobre 2009

Frères Musulmans. La confrérie aux arcanes secrets s’est livrée à une bataille interne, en plein public, suite à des informations sur la démission du guide. S’agit-il de divergences entre réformistes et conservateurs ou bien c’est l’avenir du futur guide qui est en jeu ?

C’était une réunion ordinaire pour discuter de l’article hebdomadaire de la confrérie, le guide arrive et semble surprendre tout le monde : « Je ne pourrai pas continuer », et il remercie les Frères en lançant un « que Dieu vous aide », dit-il à son adjoint Mohamad Habib. Le guide suprême des Frères musulmans Mehdi Akef a suscité une vraie polémique. A-t-il décidé d’alléger ses fonctions et de « déléguer ses prérogatives », selon les termes de la confrérie, ou de « démissionner », d’après la une de la presse le lendemain ? « Il était triste », dit le numéro 2 de la confrérie.

Sur fond de crise, un conflit interne au bureau politique, dit de la guidance et qui équivaut à une sorte de cabinet exécutif, et suit hiérarchiquement le guide et ses 3 adjoints, a révélé les profondes divisions au sein d’un mouvement qui semblait le plus compact dans la vie égyptienne. Ce « politburo » compte normalement entre 16 et 18 membres et, suite à l’arrestation de 5 d’entre eux, des remplaçants ont été élus. Avec le décès d’un autre membre, Akef voulait désigner Essam Al-Eriane à sa place. Porte-parole de la confrérie, chef de son unité politique et chef de file de la nouvelle génération, il avait obtenu 40 % des voix lors des dernières élections, à vote secret par le Conseil de la choura (un parlement avec 105 membres). Le guide voyait donc sa nomination légitime. Mais l’ensemble du bureau politique interprète la « charte » autrement et a donc fait bloc contre cette nomination, à l’unanimité. Un détail technique qui aurait être sans aucune importance, s’il s’agissait d’un mouvement autre que les Frères musulmans. Dans tous les cas, Akef n’avait-il pas déclaré qu’il refuserait d’être reconduit dans ses fonctions de guide suprême et qu’il les quitterait avec les prochaines élections en janvier 2010 ?

Mais les Frères, c’est quelque chose qu’on ne peut pas prendre à la légère, même avec l’allure de véritable soap-opéra que prennent souvent leurs débats, réunions et leurs relations avec l’Etat. Ils détiennent un cinquième des sièges au Parlement, voire représentent le premier mouvement d’opposition du pays. D’ailleurs, ils font régulièrement l’objet de vagues d’arrestation, et sont systématiquement attaqués par le régime et critiqués par sa presse. Fondée en 1928, la confrérie est officiellement interdite depuis plus d’un demi-siècle, paradoxalement, elle continue à faire de la politique et du caritatif aussi sous ce statut « interdit ».


Photo: Al Ahram

Un interdit qui, au fil des années, a exigé « le secret », les tempêtes ont été ainsi toujours discrètes, à l’exception peut-être de la défection d’Aboul-Ela Madi, il y a une quinzaine d’années parce qu’il voulait fonder un parti Frères. Pourquoi pas donc parler de « l’interdit numéro 1 », comme l’a nommé l’écrivain Fahmi Howeidi. Parce que l’analyse la plus courante évoque une scission, au sein de ce mouvement religieux fondé par Hassan Al-Banna, entre conservateurs et réformistes.

Les premiers sont plus dogmatiques sur le plan idéologique, restent vivement attachés aux principes du père fondateur rejetant de se mêler à la politique au gré de la préservation du Tanzim. Les seconds, en revanche, qui ont plus de penchant politique, sont en faveur de la création d’un parti des Frères et favorisent le ralliement à l’opposition et la formation de fronts face au pouvoir.

Mahmoud Ezzat, secrétaire général de la confrérie, représente ce courant traditionaliste, alors que d’autres noms comme Abdel-Moneim Aboul-Fotouh et Al-Eriane sont plus aptes à jouer un rôle politique. Les « Erdogans », comme les surnomment les faucons. Mehdi Akef, lui-même qui a prêté serment à l’imam martyr et qui a passé la moitié de sa vie en prison, se classe pourtant parmi les plus ouverts d’esprit au sein des Frères, il représente, avec ses trois adjoints, le courant centriste. Ce sont des conservateurs, mais pas radicaux. Il a établi des liens avec les différents acteurs politiques, même les plus laïques, et a permis le lancement d’un brouillon du « futur programme des Frères ». D’après les observateurs, c’est un courant plutôt minoritaire et la « vieille garde » domine en majorité la confrérie. Le départ houleux du guide et sa démission effective ou démission fictive visaient donc à mettre les pressions sur les conservateurs, croit-on. Mais finalement, c’est Akef qui a subi des pressions et finit par assister aux réunions sans les diriger, ce qui n’est pas usité au sein de la confrérie. C’est d’ailleurs une des missions des trois adjoints. Une autre analyse veut que cette récente crise soit loin d’être un conflit entre ancienne et nouvelle générations. Preuve en est : Abdel-Moneim Aboul-Fotouh, chef de fil des réformateurs, est membre du bureau politique.

Akef avait les yeux braqués ailleurs apparemment, sur son successeur. Parce que la question qui se pose aujourd’hui est : qui serait le huitième guide des Frères musulmans ?

Jusqu’à il y a un an, les choses étaient plus ou moins claires. L’homme d’affaires très influent, cadre des Frères, Khayrat Al-Chater semblait le plus proche à succéder au poste suprême de la confrérie. Mais il a été différé devant un tribunal militaire et accusé, avec 39 autres Frères musulmans, de financement d’une organisation interdite. Al-Chater a été ainsi condamné à 7 ans de prison, laissant les Frères assez perplexes.

La balance penchait depuis en faveur des plus radicaux, le nom de Ezzat, beau-frère du guide, circulait plus que jamais. Celui aussi de Mohamad Badie, cadre des Frères à Assiout. Celui-ci fait partie des conservateurs, mais il est vu comme « plus tendre » et « plus flexible ».

Soucieux de préserver les équilibres au sein de son mouvement, Mehdi Akef aurait ainsi, en provoquant la récente crise, mené une sorte de « révolution blanche ». D’un côté, il dévoile au grand jour cette opposition contre le courant réformateur mettant les conservateurs sur la défensive. La nomination de Essam Al-Eriane  au bureau politique est désormais presqu’un fait accompli, d’autant plus que son parrain Abdel-Moneim Aboul-Fotouh a critiqué, depuis sa prison, ceux qui s’y opposent.

En annonçant son retrait et décidant de déléguer ses prérogatives au numéro 2, Mohamad Habib, Akef semble le soutenir de facto comme potentiel futur guide, telle était sa deuxième tactique.

Rien ne prouve, au moins pour l’instant, qu’il a remporté la bataille. Les conservateurs, tellement nombreux, auront leur mot à dire. Ils profiteront de ces arrestations massives des Frères, presque quotidiennes, pour prouver leur vision, surtout qu’un coup de filet contre la confrérie semble imminent à l’approche des législatives. Le ministre de l’Intérieur Habib Al-Adeli a affirmé, la semaine dernière, que les Frères « ne réitéreraient pas leur succès de 2005 ».

Les jeunes Frères sont intervenus, et presque pour la première fois, dans le conflit. Ils avancent deux propositions. Soit que le guide accepte de rester pour un autre mandat de six ans, ce qui paraît peu probable, puisqu’en prenant les rênes de la confrérie, Akef avait demandé aux Frères de ne plus élire de guide âgé de plus de 65 ans.

S’il rejette l’idée, les jeunes lui demanderont  alors d’attendre jusqu’à la libération, d’ici quelques mois, de Mohamad Ali Bechr, un autre cadre accusé dans le même procès que Chater. Une position qui risque de se faire invalider face au règlement interne.

Ils trouveront une issue qui les garde soudés, estiment les observateurs. « Les rangs des Frères musulmans sont solides », avait affirmé Akef en pleine crise, et il n’a pas tort. Depuis toujours, il y avait 2 courants qui s’y opposent, même entre les idées de Banna et celles du plus rigoriste Sayed Qotb.

A travers les années, et quelle que soit l’élite au pouvoir, libérale ou nassérienne, sous Sadate ou sous Moubarak, pendant ses 80 ans d’existence, la confrérie a su résister à ces contradictions, aux coups venant de l’extérieur, et à l’usure à laquelle elle est destinée dans sa confrontation avec l’Etat. Et alors qu’elle est loin d’être homogène, elle a connu le moins de dissensions que les partis politiques légaux.

Elle a su s’adapter sans pour autant abandonner les convictions des pères fondateurs, des règles du jeu, un pragmatisme qu’aucune autre force politique en Egypte n’a su adopter.

On dit que les Frères ont une capacité de survie qui leur a permis de se maintenir sous deux monarchies et quatre républiques. Ils semblent encore plus aptes à survivre : quand une crise s’aggrave, ils se retirent, travaillent en clandestinité, avant de resurgir encore plus soudés. C’est la peur pour le Tanzim qui prime.

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Publié le 28 octobre 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo



Source : Al-Ahram Hebdo
http://hebdo.ahram.org.eg/...


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