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Ces
autres résistants
Hanaa Al-Mekkawi - Laure
Jouteau
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Etudiants
Palestiniens. Pour les jeunes des Territoires, la vie
vacille entre rêve de liberté et soif de savoir. Chaque année,
ils sont des milliers à quitter leurs familles pour aller étudier
à l’étranger, souvent dans des conditions très difficiles.
Rentrer au pays avec un diplôme est une lutte en soi.
Dans le quartier de
Heil Al-Achar, à Madinet Nasr, peuplé essentiellement d’immigrés
et de réfugiés, on entend de la musique s’échapper d’un
appartement. Quatrième étage, à droite, c’est justement là
que vit un groupe de jeunes Palestiniens venus faire leurs études
universitaires. Ils exécutent une danse traditionnelle, la dabka
: bras dessus, bras dessous, ils chantent pour accompagner l’air
et frappent le sol du pied.
Originaires de
Gaza, la danse les relie à leur terre d’origine, celle où ils
sont nés, et où ils aspirent à retourner après leurs études.
Gaza est l’un des endroits du monde qui connaît le plus fort
taux d’éducation des jeunes. Pour un pays privé de toute
ressource naturelle exploitable, le capital humain est au cœur du
développement et de l’avenir. Pour ceux qui ont tout perdu, étudier,
c’est accomplir un acte nationaliste, et porter fièrement les
couleurs de la Palestine au niveau international. On ne réfléchit
pas, on continue tant qu’on le peut. Pourtant, les conditions
sont loin d’être idéales. A partir du niveau universitaire,
deux possibilités sont offertes aux étudiants : l’université
privée, chère et relativement de bonne qualité ; ou
l’université publique, gratuite, mais dont les livres, les équipements
et le mobilier sont obsolètes. En outre, la vie dans les
Territoires n’est pas sûre, et se rendre à l’université
peut relever d’un véritable parcours du combattant. « Tous les
points de passage sont contrôlés par les Israéliens, alors on
met parfois 5 heures à faire un trajet qui ne devrait pas prendre
plus d’une demi-heure », témoigne l’un d’eux. Ils
pourraient habiter près de l’université, mais là encore, la
contrainte économique est forte : il n’y a souvent pas de
campus et les logements sont bien trop coûteux pour des familles
touchées, pour la plupart, par le chômage. En outre, la violence
s’invite à l’intérieur même des universités, entre les
factions concurrentes palestiniennes. L’un d’eux se souvient
ainsi de cette anecdote devenue une blague, d’un doyen de la
faculté que des élèves ont « fait sauter » en plaçant des
explosifs sous sa chaise. Malgré tous ces obstacles, la volonté
d’apprendre reste la plus forte. Mohamad Al-Barrawi raconte
comment il a vu certains jeunes aller assister aux cours sans être
inscrits, juste pour apprendre, sans espoir de passer un diplôme.
Le plus important, pour ces jeunes comme pour ceux qui ont la
chance de partir, c’est la connaissance. La meilleure solution
pour les jeunes de Gaza, c’est encore la bourse, qui leur
permettrait d’effectuer leur cycle universitaire à l’étranger.
L’Egypte offre
des cycles universitaires à moitié prix pour les étudiants
palestiniens, d’où le succès de cette destination pour
poursuivre leurs études. Toutefois ces étudiants vont aussi vers
le Yémen, l’Algérie, la Jordanie, ou encore la Russie, parfois
l’Europe, au gré des bourses qui leur sont proposées.
Pour l’Egypte,
deux bourses financent principalement leurs études : à travers
l’Université d’Al-Azhar, ou à travers le gouvernement du
Koweït. Pour les deux, les conditions d’éligibilité sont les
mêmes : faire ses études à Al-Azhar et avoir au moins un parent
martyr ou blessé. Ensuite, c’est le niveau scolaire de l’étudiant
qui fait pencher la balance. Emad, 22 ans, insiste sur la
difficulté à obtenir ces bourses, car la concurrence est rude et
les postulants très nombreux. Il est lui-même étudiant en
quatrième année de commerce à Al-Azhar. Il avait commencé par
des études scientifiques en Palestine, gratuites, mais lorsque
l’opportunité d’une bourse s’est présentée, il n’a pas
hésité un instant, même si cela signifiait changer de voie. «
Ce que j’étudie n’est pas tellement important, de toute façon,
vu le taux de chômage, c’est sans doute un diplôme qui finira
accroché au mur. Je serai déjà chanceux si je trouve un travail
».
Diplôme
symbolique
Ce qui compte, pour
lui comme pour les autres, c’est d’avoir son diplôme, comme
un symbole, un orgueil familial et national. A la différence
d’autres pays où le diplôme est une porte d’entrée vers
l’ascension sociale ou un bon travail, en Palestine, le diplôme
est surtout le moyen de prouver la valeur de tout un pays et sa
capacité à changer l’avenir. L’éducation n’est pas un
choix, c’est aussi naturel que manger ou boire pour ces étudiants.
L’un d’eux nous indique que les boursiers sont souvent les étudiants
les plus sérieux, car ils ont une conscience aiguë de leur
chance et de la responsabilité qu’implique l’argent versé
pour eux.
D’ailleurs le
choix de la matière est presque toujours secondaire : Mohamad
Al-Barrawi, ancien champion de marathon, voulait être professeur
d’éducation physique, et a été inscrit dans les cours de
sociologie. « Ce n’est pas grave, j’aurai quand même pas la
possibilité d’être professeur à la fin », dit-il. Aucun
d’eux n’exprime de regrets.
Certains ont tout
de même la chance de choisir, et ont une vraie vocation
professionnelle. C’est ainsi que Mahmoud, 22 ans, étudie les
sciences en espérant peut-être un jour devenir spécialiste du
nucléaire. Il est réaliste sur ses chances d’y parvenir, mais
il ne s’interdit pas de rêver. Pour le pays. Et pour avoir un
but. « Les sciences sont un domaine très important pour la
Palestine. Il nous faut de bons scientifiques pour être au même
niveau que ceux qui occupent notre pays et nous tuent ». Il
travaille dur pour y arriver. Il sera peut-être contraint de
devenir professeur et d’enseigner sans pouvoir se consacrer à
la recherche.
En dépit de ces
difficultés, une certitude les motive : leur diplôme sera une
arme, un moyen de lutter, au moins aussi efficace que les bombes
et les balles.
Pour ceux qui
n’ont pas eu droit à une bourse mais dont les parents voulaient
leur permettre de poursuivre leurs études, la route est longue et
les sacrifices sont nombreux. « On peut aller jusqu’à vendre
les meubles de la maison, et ne garder que le strict nécessaire
pour payer les études ». Un choix d’autant plus drastique que
la famille moyenne se compose de trois enfants. Rami, étudiant en
droit à la branche de l’Université privée de Beyrouth à
Alexandrie, explique que son père, autrefois fortuné, a récemment
rejoint la longue file des chômeurs. Pourtant, malgré les déboires
financiers qu’a subis sa famille, il était hors de question de
sacrifier l’éducation des enfants. Il prend ses études très
au sérieux, et vit entre Alexandrie et Le Caire car il ne peut
pas se permettre de payer un loyer. Sa vocation, c’est de
devenir policier. « Ce serait facile de rester chez mes parents
et de devenir un simple agent de sécurité. Mais je ne veux pas.
Je veux travailler parmi les gradés ».
La vie de ces
jeunes est loin d’être facile. Malgré l’énergie et la
motivation qui les habitent, ils passent tous par de longues périodes
de doute, voire de désespoir. Ahmad, qui étudie à l’Université
du 6 Octobre, a failli tout arrêter parce que ses parents ne
pouvaient plus payer. Il ne voulait pas être un poids financier
trop lourd pour sa famille. Heureusement, il a finalement été
aidé par une riche famille palestinienne en Egypte qui a décidé
de lui verser un montant mensuel pour qu’il puisse obtenir le
diplôme. « Je n’aurais jamais imaginé devoir mendier pour
payer mes études. J’ai honte, mais c’est un mal nécessaire
».
Et lorsqu’il
n’y a plus d’argent, ils doivent emprunter, et se débrouiller
comme ils peuvent en attendant des jours meilleurs.
A aucun moment ils
n’oublient d’où ils viennent. Leur exil est temporaire et
n’est pas une fuite. C’est pourquoi ils recréent ici en
Egypte des solidarités et une ambiance palestiniennes. Quand un
nouveau arrive, il est immédiatement pris en charge par la
communauté, et les anciens l’aident à s’installer et à
retrouver un équilibre. « J’aide les autres, je vais visiter
les malades à l’hôpital, j’accueille les nouveaux arrivants,
les blessés qui arrivent du pays. Je le vis comme un devoir »,
dit Rami qui porte en permanence un pin’s représentant le
drapeau palestinien sur ses vêtements.
Vivre loin des
siens
Chacun à sa manière,
ils montrent leur attachement à la Palestine : dans
l’appartement, où le compteur électrique a revêtu l’écharpe
aux couleurs du pays ; par les posters du cheikh Yassine et du
Hamas accrochés dans les chambres. Pour Mohamad, par exemple, le
patriotisme passe aussi par le langage : il refuse de parler l’égyptien,
et s’exprime uniquement dans son dialecte. Pour garder un
contact concret avec leur pays, ils communiquent avec leur famille
grâce à l’Internet, mais tous soulignent les difficultés
qu’ils éprouvent à vivre loin des leurs. Le plus dur, c’est
le début. Mahmoud n’a pas vu sa famille depuis quatre ans. «
Les premiers mois, j’ai cru devenir fou. Je voulais rentrer et
tout laisser tomber. Mais je me suis accroché pour mes parents ».
La plupart ne rentre pas avant la fin du cursus, par peur de ne
plus pouvoir revenir en Egypte suite à une fermeture des points
de passage. Mohamad, au contraire, ne peut pas supporter de vivre
ici sans rentrer, même s’il a raté les examens il y a deux ans
parce qu’il était bloqué dans les Territoires. Il continue à
rentrer tous les ans, malgré les risques : « Les Israéliens
savent que c’est la période des examens, alors ils nous
laissent rentrer chez nous pendant les révisions, puis ils
ferment les frontières avant la date des examens ou celle de la
rentrée universitaire, pour nous mettre des bâtons dans les
roues ». Cet été, son frère se marie, il a déjà hâte de
rentrer pour assister à la fête.
Pourtant, malgré
toutes les difficultés de la vie en Palestine, aucun d’eux
n’envisage de s’installer à l’étranger. Ils y sont obligés,
puisque les permis de résidence ne sont délivrés que pour un an
au maximum, et sur présentation d’un justificatif. Mais leur
attachement à leur pays est tel qu’ils ne pensent qu’à
rentrer et à faire profiter la Palestine des connaissances
qu’ils auront acquises. « Si tout le monde fuit pour chercher
un gagne-pain dans un autre pays, alors, qui va rentrer pour
lutter et libérer le nôtre ?! », s’exclame Mohamad. Il
raconte l’histoire de ce jeune, titulaire d’un magistère
d’ingénierie en Russie, qui a préféré rentrer et travailler
comme chauffeur de taxi plutôt que renoncer à sa patrie : «
Notre corps est peut-être ici, mais notre cœur est resté à
Gaza ».
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