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Al-Ahram Hebdo
Israël s'emmure
Ahmed Loutfi - Chaimaa Abdel-Hamid
Photo Al-Ahram
Mercredi 24 juin 2009
Paix.
L’appel du premier ministre israélien,
Benyamin Netanyahu, pour la reconnaissance du caractère juif
d’Israël en plus du maintien des colonies et du rejet pratique
de l’Etat palestinien ont ouvert le débat sur les vraies
intentions de Tel-Aviv qui semble privilégier une vision
fasciste et raciste. Un incident
significatif qui n’est ni le premier ni le dernier du genre : le
ministre israélien de la Sécurité intérieure, Yitzhak
Aharonovitch, a été filmé tenant des propos anti-arabes, lors
d’une tournée d’inspection à Tel-Aviv.
Rencontrant un policier en civil qui
s’excusait de porter des vêtements sales, le ministre lui a
répondu : « C’est pas grave, tu as l’air d’un vrai Arabush »,
usant d’un terme d’argot péjoratif pour « Arabe ».
A la suite de la diffusion de la scène à la
télévision publique, ce ministre du parti d’extrême droite
Israel Beiteinou a affirmé « avoir voulu plaisanter et n’avoir
pas eu l’intention d’insulter quiconque ». Mais le député arabe
israélien Ahmed Tibi, qui connaît bien les choses, a affirmé que
cette phrase révélait « le caractère fasciste » du parti dirigé
par le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Liebermann,
troisième formation du Parlement (15 députés sur 120) et membre
de la coalition au pouvoir. On rappelle d’ailleurs que l’Egypte
a refusé de recevoir ce Lieberman. D’ailleurs, il avait axé sa
campagne électorale au début de l’année sur des attaques
verbales contre la population arabe, sur le thème « Pas de
citoyenneté sans loyauté envers l’Etat ».
En fait, il ne s’agit pas d’un simple
malentendu ou lapsus, mais l’expression d’une mentalité
grandissante en Israël. On peut même aller jusqu’à dire que cela
est profondément gravé dans la culture d’un grand nombre
d’Israéliens, malheureusement cette extrême droite qui est au
pouvoir actuellement. A l’heure où les efforts sont déployés par
la communauté internationale avec une intervention concrète,
quasiment inédite et efficace du président américain Barack
Obama, pour parvenir à la paix, le premier ministre israélien
Benyamin Netanyahu multiplie les obstacles tout en prétendant
vouloir parvenir à une solution. Ainsi le principal élément de
son discours où il répondait à celui d’Obama a été de mettre en
exergue le caractère juif de l’Etat d’Israël. S’il a accepté
l’idée de principe d’un Etat palestinien, il a posé une série de
conditions draconiennes. Il a notamment exigé la
démilitarisation de cet Etat et la reconnaissance par la
direction palestinienne d’Israël comme Etat du peuple juif. Il a
aussi exclu un gel de la colonisation juive, un retour des
réfugiés palestiniens poussés à l’exode lors de la création
d’Israël en 1948, ou un retrait de la partie arabe occupée de
Jérusalem.
Ce que le négociateur palestinien Saëb Erakat
a expliqué comme juste cinq « non » exprimés par Netanyahu. « Il
a dit non à une solution à deux Etats, non au gel de la
colonisation, non à la vision du président Barack Obama pour un
nouveau Proche-Orient, non à la reprise des négociations au
point où elles s’étaient arrêtées et non à l’Initiative de paix
arabe », proposant une normalisation avec Israël en échange de
son retrait des territoires occupés, a-t-il estimé.
Si l’on veut arriver au fond de la pensée de
Netanyahu, c’est justement faire d’Israël un Etat fasciste
professant un système très proche de l’apartheid. Un refus clair
et net du Palestinien, autant celui de l’Etat projeté que celui
qui réside dans l’Etat d’Israël. Et somme toute, ce n’est pas
uniquement le point de vue de l’establishement mais aussi celui
de plusieurs catégories.
Une autre scène qui vient s’imposer : des
gardes-frontières israéliens se sont amusés à filmer des
humiliations qu’ils ont fait subir à des Palestiniens et ont
diffusé ces vidéo clips sur Internet, rapporte vendredi le
quotidien Haaretz. Sur l’un des clips qui remontent à plusieurs
années, diffusé sur YouTube, l’on voit un Palestinien forcé à se
gifler et à chanter en arabe : « J’aime les gardes-frontières ».
Un autre clip montre un Palestinien arrêté et conduit en jeep,
forcé encore et encore à reprendre ce refrain.
Une troisième vidéo, remontant à 2007, montre
des gardes-frontières en action, avec la photo de l’un d’eux
souriant au côté d’un Palestinien menotté et les yeux bandés.
Sur une autre vidéo, une voix off lit : « Que chaque mère arabe
sache que le sort de ses enfants est entre les mains de la
compagnie C3 ». D’anciens membres du corps des
gardes-frontières, dont un officier qui avait servi dix ans, ont
affirmé que les pratiques humiliantes étaient toujours
courantes. Le porte-parole des gardes-frontières, Moshé Finsi, a
toutefois affirmé à l’AFP qu’« au cours des dernières années, le
nombre de bavures de ce type a considérablement diminué du fait
d’un travail d’éducation des recrues ». Il a souligné que les
films « remontaient presque tous à plusieurs années et que le
corps des gardes-frontières avait ouvert des enquêtes et chassé
les coupables de ses rangs ». Les gardes-frontières, qui
dépendent de la police, sont chargés en particulier des
contrôles d’identité aux barrages routiers en Cisjordanie et aux
entrées de Jérusalem et de traquer les travailleurs palestiniens
sans permis en Israël.
Plusieurs d’entre eux ont été impliqués ces
derniers temps dans des cas de mauvais traitements à l’encontre
de Palestiniens. Deux gardes-frontières ont ainsi été condamnés
en 2008 à six ans et demi et quatre ans et demi de prison ferme
respectivement pour le meurtre d’un Palestinien à Hébron, en
Cisjordanie fin 2002. Ils avaient jeté Imran Abou-Hamdieh, 18
ans, hors de leur Jeep alors que celle-ci roulait à 80 km/h.
Grièvement blessé à la tête, il était ensuite décédé.
Mais y a-t-il du nouveau dans ce contexte ?
La question qui s’impose est de savoir ce qu’implique sur le
plan politique la définition d’Israël en tant qu’Etat juif,
d’autant plus que la réaction arabe, celle du président
Moubarak, est bien précise : « L’appel à reconnaître Israël en
tant qu’Etat juif complique davantage les choses et ruine les
possibilités de paix. (...) Personne ne soutiendra cet appel, ni
en Egypte ni ailleurs ».
Pour Emad Gad, rédacteur en chef d’Israeli
Digest, l’idée d’un Etat juif existe depuis la résolution de
partage en 1947. « Mais il n’est pas usuel que l’Etat demande à
la communauté internationale de reconnaître l’appellation qu’il
se donne. Or, Israël se donne cette titulature. Cela implique
que sous couvert de reconnaissance d’Etat juif, Israël pourra
renvoyer les Arabes qui sont sur son territoire et qui
représentent déjà aujourd’hui 20 % de sa population. Si ce
nombre augmente (on sait que le taux de fertilité des
Palestiniens est plus grand que celui des Israéliens), il aura
le droit de les expulser sous prétexte que ceci altère la nature
de l’Etat ». Jusqu’à très récemment, les Israéliens tentaient de
surmonter ce problème grâce à l’immigration de juifs provenant
de différents pays. Gad relève aussi cet aspect d’épuration
ethnique si l’on peut dire. « Par exemple, pour retirer des
colons de Cisjordanie, ils exigeraient en échange l’expulsion
d’Arabes israéliens. Graduellement, le territoire israélien sera
dépourvu d’Arabes ». Et d’ajouter que la demande de Netanyahu
n’est pas de pure forme. « C’est un regard approfondi pour une
étape à venir. Cela n’est pas nouveau dans la doctrine
israélienne, ce qui est nouveau, c’est le fait de le mettre
comme une condition sine qua non d’un règlement. En fait,
l’étape précédente était plutôt concentrée à attirer les juifs ;
aujourd’hui, c’est plutôt d’expulser les Arabes ».
Analogie avec l’apartheid
Ce point de vue est partagé par le
politologue Abdel-Ghaffar Chokr. « Proclamer le caractère juif
de l’Etat est un préliminaire à la sortie des Arabes d’Israël »
et de relever que ceci veut dire qu’il s’agira concrètement d’un
Etat raciste. Mais s’agirait-il d’un Etat à l’exemple de
l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid ? Beaucoup d’analystes
en parlent, d’autant plus qu’Israël a bien collaboré avec
l’ancien régime de Pretoria, lui fournissant soutiens politique
et militaire, rappellent-ils. Il ne s’agit pas non seulement de
la situation des Arabes israéliens. Le mur en témoigne aussi. «
Le penseur américain Naom Chomsky estime même que le mur va
au-delà de ce qu’était la politique sud-africaine des
bantoustans, il se refuse à utiliser le terme d’apartheid pour
la situation à l’intérieur des frontières d’Israël, tout en
considérant que les techniques d’appropriation de terres arabes
s’en sont rapprochées ». (Apartheid et Israël/Palestine,
analogie et contresens, Frédéric Giraut).
Il est question dans l’analogie aussi du
système que veut établir Israël. Netanyahu a bien parlé d’un
Etat démilitarisé, privé de véritables structures. C’est bien
des bantoustans ces pseudo Etats d’Afrique du Sud, très proches
même s’ils sont différents des townships ou des ghettos urbains.
Est-ce de la propagande anti-israélienne
juste ? Ou bien une logique qu’impose une réalité tout à fait
analogue : des occupants étrangers, condamnés à être
minoritaires et qui compensent par la puissance et la suprématie
militaire, financière et technologique cet état des lieux, sans
oublier un lien très étroit avec l’Occident, protecteur.
Mais pour Emad Gad, l’analogie est un peu
lointaine. Israël est un Etat raciste, mais pas au point de
parler d’un apartheid. Il ne s’agit pas d’une séparation totale.
« Il y a une discrimination raciale, mais pas une ségrégation
raciale. L’Afrique du Sud l’appliquait comme une politique, un
système », dit-il.
Mais pour revenir au texte de Frederic Giraut,
les analogies existent aussi au niveau historique. «
L’assimilation de l’Etat d’Israël et du sionisme à l’apartheid
joue sur certains rapprochements historiques. Tout d’abord, une
date fondatrice commune, 1948. La colonisation de peuplement
d’origine européenne, ensuite, avec un débat sur l’antériorité
historique d’installation — on sait que les Afrikaners
prétendaient avoir colonisé la région en même temps, voire juste
avant que les migrations bantoues n’aboutissent en Afrique
australe, et se désignaient dans leur propre mythologie comme
peuple élu. Un discours certes très éloigné de l’argument
autrement plus fort du retour à la patrie originelle et
biblique. Mais les registres se recoupent : Theodor Herzl ne
donnait-il pas le Transvaal minier en exemple de colonie de
peuplement modèle dans son Judenstaat de 1896 ? ».
En fait, le rapport se confirme avec la
question de la colonisation qui, en Israël, constitue une vraie
représentation culturelle et identitaire. David Grossman, l’un
des écrivains les plus renommés d’Israël, reproche à Netanyahu
de « n’avoir pas parlé avec courage et honnêteté, comme il
l’avait promis, en évitant de traiter du rôle destructeur de la
colonisation comme obstacle à la paix. Il n’a pas regardé les
colons droit dans les yeux et ne leur a pas dit ce qu’il sait
parfaitement : la carte des implantations contredit la carte de
la paix » Une paix de plus en plus lointaine.
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AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 24 juin 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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