Monde Arabe
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Remous sur un accord
Rania Adel
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Photo Al-Ahram
Mercredi 22 octobre 2008
Iraq.
Les principaux dirigeants
débattent du projet d’accord sur l’avenir de la présence
militaire américaine. Mais son approbation ne semble pas être
aisée.
L’ébauche d’un document visant à
fournir un cadre juridique au maintien des troupes américaines
au-delà de l’expiration du mandat de l’Onu dont elles
bénéficient actuellement, le 31 décembre, pourrait-elle
signifier que les divergences iraqo-américaines d’une part et
iraqo-iraqiennes d’autre part ont été réglées ? Pragmatiquement
parlant non. Si en Iraq, le Conseil politique de sécurité a
examiné ce projet dimanche soir pour préparer son transfert au
cabinet et ensuite au Parlement, la portée de celui-ci a été
minimisée par le département d’Etat américain, confirmant qu’un
texte était bien en cours d’examen, mais que le « processus
n’est pas encore achevé » et que « des discussions se
poursuivent » entre Washington et Bagdad. « Ce n’est pas encore
un document final », a souligné le porte-parole du Pentagone,
Geoff Morrell. « C’est une ébauche (...) qui reste sujette au
processus politique usuel dans nos deux pays », a-t-il affirmé.
M. Morrell a néanmoins réaffirmé que l’accord ne serait pas
contraignant pour le futur président élu.
Le candidat démocrate Barack
Obama, opposé à la guerre en Iraq dès son déclenchement, s’est
prononcé pour un retrait rapide dans les 16 mois suivant son
arrivée, soit en 2010, plus tôt que le calendrier indicatif de
2011 inscrit dans le projet d’accord.
Son rival républicain, John
McCain a, quant à lui, toujours assuré qu’un calendrier de
retrait mettrait en péril les gains obtenus en matière de
sécurité en Iraq et que toute décision devrait être prise en
fonction de la situation sur le terrain et en tenant compte de
l’avis des responsables militaires, comme le prônent les
responsables actuels du Pentagone.
Le refus des Etats-Unis de fixer
un calendrier contraignant de retrait de leurs troupes et
d’autoriser l’Iraq à juger leurs soldats constituaient, depuis
des mois, les deux principales pierres d’achoppement des
négociations sur le statut futur des forces américaines. Sur le
premier point, le projet d’accord prévoit que « le retrait sera
achevé dans trois ans ». « En 2011, le gouvernement alors au
pouvoir déterminera s’il a besoin d’un nouveau pacte ou non, et
le type de pacte dépendra des défis auxquels il sera confronté
», a précisé le porte-parole du gouvernement iraqien, Ali Al-Dabbagh,
à Reuters. Sur le second point, « les Etats-Unis pourront
appliquer leur juridiction sur leurs troupes et sur leurs civils
quand les incidents se produisent dans leurs bases ou s’ils sont
en mission hors de leurs bases », selon le projet de texte que
l’AFP a obtenu.
En revanche, c’est la «
juridiction iraqienne qui s’appliquera aux soldats et civils
(américains) ayant commis des crimes avec préméditation hors de
leurs bases et alors qu’ils n’étaient pas en mission ». C’est
également « la juridiction iraqienne qui s’appliquera aux
compagnies de sécurité privées américaines », selon le texte.
Selon cet accord, les soldats et
civils américains, capturés ou détenus par les forces iraqiennes,
devront être remis immédiatement aux autorités américaines. En
revanche, « les forces américaines n’ont pas le droit de détenir
et de capturer des Iraqiens sans ordre (des autorités)
iraqiennes. Si cela se produit, le détenu devra être remis aux
autorités iraqiennes dans les 24 heures ».
Le dilemme des chiites
Mais à l’approche d’un vote
parlementaire sur la version finale du projet de pacte de
sécurité, des interrogations sont suscitées concernant
l’attitude des chiites. « Le gouvernement iranien fait tout ce
qu’il peut (...) pour bloquer l’accord et exerce une forte
pression sur les (partis) chiites », dit un responsable iraqien
non chiite soutenant l’accord. « Les chiites sont aujourd’hui
face à un choix très difficile : feront-ils ce qu’ils croient
dans l’intérêt de l’Iraq ou prendront-ils en considération les
priorités de l’Iran dans sa lutte avec les Etats-Unis ? ».
L’Iran s’oppose au pacte en faisant valoir qu’il enracinerait
les Américains dans la région. Selon des sources politiques
iraqiennes, Téhéran s’applique à persuader les élus chiites
intégrés à la coalition du premier ministre, Nouri Al-Maliki, de
ne pas approuver l’accord. La coalition de ce dernier est
dominée par deux grands partis chiites — le Daoua du premier
ministre et le Conseil Suprême Islamique Iraqien (CSII) — qui
ont noué des liens étroits avec l’Iran chiite quand l’Iraq était
gouverné par Saddam Hussein.
Après l’éviction de Saddam en
2003, le Daoua et le CSII ont cependant accepté l’aide
américaine avant de former une Alliance chiite qui a aisément
remporté les élections de 2005. Depuis lors, ils évitent avec
soin de heurter Washington ou Téhéran.
Un troisième groupe chiite,
composé des partisans de l’imam radical Moqtada Sadr, a quitté
l’Alliance chiite et le gouvernement l’an dernier pour protester
contre le refus de Maliki de fixer un calendrier de retrait pour
les troupes américaines. Il a déjà annoncé qu’il s’opposait au
pacte.
Le grand ayatollah Ali Sistani,
sans doute le plus influent de tous les chiites d’Iraq, doit
encore se prononcer à ce sujet. Maliki s’est rendu auprès de lui
dans la ville sainte de Nadjaf, ce qui fait mesurer le poids
qu’aurait un ralliement du haut dignitaire chiite à l’accord.
Selon un responsable chiite, Sistani n’est pas satisfait de
l’accord mais pourrait éviter d’y faire obstacle. Les membres de
l’Alliance s’irritent à l’idée qu’ils soient ballottés entre les
intérêts de Washington et de Téhéran.
« Ce n’est pas rigide au point
qu’on soit américain si on vote pour et iranien dans le cas
contraire », assure Abbas Bayati, l’un de ses responsables.
« Nous devons reconnaître que le
pacte inspire des craintes aux pays voisins. Mais notre décision
ne se fondera pas sur ces pressions », dit un député chiite.
Mais tant que Washington
maintient 146 000 soldats en Iraq, un vote contre leur présence
peut avoir de lourdes conséquences. « Il se pourrait, en cas de
rejet du pacte, que les Américains ne soient plus aussi enclins
à soutenir ce système politique à dominante chiite », note le
responsable iraqien non chiite. « (Les chiites) pourraient donc
devoir se jeter encore davantage dans les bras des Iraniens.
D’autres groupes risquent de se révolter contre eux dans ce pays
multiethnique ». Encore une fois, l’avenir du pays est assujetti
au confessionnalisme.
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reproduction et de diffusion réservés. ©
AL-AHRAM
Hebdo
Publié le 22
octobre
2008 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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