|
Palestine
|
Divorce
consacré
Samar Al-Gamal
|
Palestiniens
. Le Hamas règne en maître
à Gaza, le Fatah se maintient en Cisjordanie, bénéficiant de
tous les appuis. Une situation qui demeure explosive et qui ne
manque pas de compromettre la cause palestinienne.
Photo Al-Ahram
Mercredi 20 juin 2007
Mercredi 13 juin :
Pour la 3e journée consécutive, Rami s’abrite dans son
appartement avec sa maman et son frère. Ils habitent le quartier
d’Al-Remal, tout près de la zone sécuritaire où se déroulent
des accrochages entre le Hamas et le Fatah. Un couvre-feu non
officiel est imposé. Les tireurs embusqués sont sur les toits
guettant le moindre mouvement. Vers 13h, il arrive quand même à
sortir pour joindre les journalistes étrangers avec qui il va
travailler. Des cagoulés crient : stop, stop. Au début de la rue
des fatahistes, à son bout des hamassis. On tire sur le taxi. De
quel camp viennent les balles ?. Rami ne sait pas.
Jeudi 14 : Rami
part à 9h, il va chercher ses journalistes à l’hôtel. Tous se
dirigent à Radio Al-Chabab (radio jeunesse), qui dépend du
Fatah. Là-bas, il voit sur la chaîne de télé Al-Aqsa du Hamas,
les informations. La sécurité préventive est tombée. La peur
gagne la radio. Rami quitte avec ses compagnons en direction de
l’hôtel. Il est de nouveau à l’abri pendant au moins une
heure. Il reprend le travail et ne rentre qu’à 20h30,
bizarrement en sécurité. En fait, la moindre balle tirée
viendrait maintenant du Hamas.
Vendredi 15 : Jour
férié. Les rues sont normalement désertées, mais ce vendredi
est particulier. Des foules envahissent les rues. Les
Palestiniens, confinés dans leur maison depuis des jours,
s’empressent de voir les résultats des choses. Ils se déplacent
librement et vont s’approvisionner en eau.
Samedi 16 : Longue
journée de travail. Rami se dirige avec son équipe vers
Al-Montada. Il voit les cagoulés assis, les jambes croisées,
dans le bureau d’Abou-Mazen. Plus loin, de simples citoyens
arrivent avec des camions et emportent tout ce qui se trouve dans
la maison de Dahlane. La maison de Arafat n’est pas épargnée.
Ses vêtements, ses photos, tout ce qui restait de lui. Déplorable
pour Rami, même le symbole est touché.
Dimanche 17 : Les
magasins sont ouverts. On achète tout. On se sent en sécurité
mais on a peur de la perdre. Un vent de panique souffle. La
situation ressemble au lendemain de la prise du pouvoir par le
Hamas après les élections. Rami ne veut pas quitter Gaza. Son
destin, il le voit semblable à celui des autres Palestiniens qui
se demandent de quoi demain sera fait.
C’est la question
qui préoccupe tout le monde et non seulement les Palestiniens au
comble du déchirement. En ce jour, la situation est complexe. En
moins d’un an, les Palestiniens ont vu défiler trois
gouvernements. Un du Hamas seul, un deuxième de coalition et un
plus récent, duquel le mouvement de résistance est écarté. On
est sous le signe des équations ? Deux gouvernements palestiniens
: un à Gaza dirigé par Ismaïl Haniyeh et un autre en
Cisjordanie administré par Salam Fayyad, dit le chouchou de
l’Occident. Et chacun déclare l’autre hors-la-loi. Ce qui
semble d’ailleurs vrai. L’Autorité palestinienne que représente
Mahmoud Abbass est une institution légitime et le Conseil législatif
que domine le Hamas n’en est pas moins légitime. Impossible
donc de déterminer laquelle des deux parties a mené un putsch
contre la légitimité. « Sauf si nous considérons les services
de sécurité, qui sont à la base de ce conflit, comme la seule
institution légitime en Palestine », explique le politologue
Diaa Rachwan. « Mais lorsque des hommes armés remplacent le
drapeau national palestinien par celui jaune du Hamas, n’est-ce
pas là un coup d’Etat ? », se demande Emad Gad, rédacteur en
chef de la revue Israeli Digest. Le contexte est difficilement
lisible. Les Palestiniens s’enfoncent davantage dans la
division.
La scène, désormais
calme, qui règne depuis quelques jours contraste avec un
sentiment de chaos qui s’est emparé des Palestiniens. On
retient encore une seule image : une femme, son enfant sur une
main et ses bagages dans l’autre. Cela dure depuis longtemps, se
dit-elle. D’abord avec la Nakba de 1948, des Palestiniens sont
massacrés et d’autre forcés à l’exode. La société
palestinienne s’enfonce alors davantage encore dans la division.
La tragédie se poursuit en 1967 avec l’occupation des
territoires par Israël et des Palestiniens sont de nouveau jetés
sur la route de l’exode. Aujourd’hui, des scènes presque
semblables. Des Palestiniens s’empressent de fuir.
Fuir le bon frère
ennemi
Des habitants de
Gaza passent la nuit près du point de passage d’Erez avec Israël
dans l’espoir de pouvoir arriver en Cisjordanie. Ils fuient
leurs confrères et non l’oppression israélienne, comme ceci a
été toujours le cas depuis une soixantaine d’années. Leur
pays, la bande de Gaza, est coupé du monde. Israël a fermé tous
les points de passage, l’acheminement des carburants est bloqué.
Mais la bande de Gaza n’était-elle pas déjà une enclave ? Au
moins depuis les élections démocratiques qui ont amené les
Hamassis au pouvoir. Depuis, on s’attendait à tout. Du désordre
à la guerre civile. Les événements récents se situent dans la
continuité de cette dispute autour du pouvoir. Le Hamas, qui ne
cesse de subir des pressions intenables, veut tirer les choses au
clair avec le Fatah et aussi avec le reste de la communauté
internationale qui depuis plus d’un an s’efforce d’éliminer
« l’obstacle issu d’un scrutin démocratique ». Personne
n’imaginait cependant un tel scénario. « Mais le Hamas a été
piégé et a réagi de façon absurde et aujourd’hui, il se
trouve obligé à lui seul de trouver une issue à la situation »,
explique Gad, selon lequel la seule lecture actuelle de la
situation est la suivante : une entité à Gaza, dirigée par le
Hamas et ne regroupant que des sympathisants de ce mouvement, coupée
du monde, une partie de l’enfer qui préparerait le propre
cercueil des Hamassis.
Un tel scénario
consiste à dire que les Israéliens encercleront davantage la
bande de Gaza, l’Egypte, inquiète de ce « putsch islamiste
potentiellement contagieux », fermera sine die le passage de
Rafah, seul contact de Gaza avec le monde extérieur. Les Israéliens
négocieront par la suite avec Mahmoud Abbass le sort d’un Etat
palestinien, une version de Camp David II, « probablement 95 % de
la Cisjordanie et quelques quartiers de Jérusalem-Est avec un
renoncement au droit de retour des réfugiés », précise Gad.
Preuve en est cette précipitation internationale de fournir une
aide financière exceptionnelle à l’Autorité palestinienne
pour renforcer Abbass, alors que depuis son élection rien n’a
été fait pour tenter de construire avec lui un processus de
paix. En revanche, tout comme Yasser Arafat, il a été mis
hors-jeu.
Oui, mais peut-on désigner
le Hamas comme perdant d’avance ? « Il serait extrêmement
dangereux de prendre des mesures politiques, économiques et sécuritaires
en pensant que la dernière heure du Hamas a sonné et qu’il
faudrait ne pas la rater. Ceci engendrera davantage de
complications qui dépasseront les frontières de la petite bande
de Gaza », explique Rachwan. D’ailleurs, les signes ne sont
qu’inquiétants. Il est difficile aussi de concevoir un Hamas
prenant conscience de sa bavure croyant qu’il pourra gouverner
indépendamment de l’OLP et de la Cisjordanie, juste « pour
protéger les principes de la cause palestinienne » : c’est-à-dire
voir ce mouvement renoncer à l’action politique et s’orienter
uniquement vers la résistance. Aussi difficile, voir le Fatah prôner
une réconciliation nationale pour protéger cette même cause et
renonçant au monopole du pouvoir et à une stratégie qui dépend
surtout du gré des Israéliens. Ces Israéliens qui ont tout fait
pour créer une situation de chaos susceptible de justifier une
intervention répressive brutale. Par leurs abus et leurs faits
accomplis, n’ont-ils pas favorisé cette division ?.
Un statu quo semble
également impossible. Le statu quo anté aussi ... Avec des
calculs aussi embrouillés, les Palestiniens vivent dans la peur.
Celle de l’inconnu au cœur duquel ils se trouvent maintenant.
Droits de reproduction et de
diffusion réservés. © AL-AHRAM
Hebdo
Publié avec l'aimable
autorisation de AL-AHRAM Hebdo
|