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Palestine
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L'exemple
kosovar
Chaïma Abdel-Hamid
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Palestine.
L’indépendance autoproclamée du Kosovo a soulevé la
question de savoir pourquoi les Palestiniens ne feraient pas de même
face à l’arbitraire israélien. Enquête.
Photo Al-Ahram
Mercredi 5 mars 2008
C’était une nuit
du printemps 1988. L’Intifada des pierres avait éclaté en
Cisjordanie, Yasser Arafat, condamné à l’exil, était à
Alger, le Conseil national palestinien se réunit et publie un
communiqué dans lequel il annonce, qu’« au nom de Dieu et du
peuple arabe palestinien, il proclame l’établissement de
l’Etat arabe de Palestine sur notre terre palestinienne, avec
pour capitale Jérusalem, Al-Qods Al-Charif ». Le document
rappelait une résolution qui aurait été refoulée au fin fond
de l’histoire ou omise de la mémoire collective de presque
toute la communauté internationale. La résolution sur le partage
de la Palestine et qui, en légitimant la création de l’Etat
d’Israël, exige la création d’un Etat pour les Arabes. (Lire
fiche). Le premier a bien émergé mais le second n’a pas encore
vu le jour, plus de 60 ans après. La déclaration de 1988 restera
à cet égard symbolique pour la communauté internationale, une détermination
pour les Palestiniens et un rêve qui ne sera jamais réalisé aux
yeux des Israéliens. Jusqu’à presque son dernier souffle,
Abou-Ammar n’a cessé d’affirmer : « Nous marcherons
ensemble, jusqu’à l’établissement d’un Etat palestinien
indépendant, avec pour capitale Jérusalem ». Jamais épuisé ou
déçu de le répéter en dépit des déclarations israéliennes
comme celle de Benyamin Netanyahu : « Vous pouvez en rêver
chaque nuit, mais, au matin, vous vous réveillerez toujours et
constaterez qu’il n’y a pas d’Etat palestinien. Il n’y en
a pas et il n’y en aura pas ».
Arafat ne renonce
pourtant pas à sa conviction. Après lui, les Palestiniens non
plus. Une fois l’indépendance du Kosovo déclarée, le rêve a
été ressuscité. « Nous voulons aujourd’hui annoncer unilatéralement
notre autonomie sur le terrain, par des moyens pacifistes, et
appelons notre peuple à protéger son Etat, ses frontières, ses
institutions et l’avenir de ses enfants », lance Yasser
Abd-Rabbo, secrétaire général du comité exécutif de
l’Organisation de libération de la Palestine. Des déclarations
qui ont sûrement été lancées avec de grandes émotions de la
part de ce dirigeant palestinien qui rêve de faire ce que les
Kosovars ont fait. Il a profité de l’occasion de l’indépendance
du Kosovo pour inviter le peuple palestinien à imiter le nouvel
Etat européen autoproclamé, en déclarant unilatéralement son
indépendance. « Notre peuple a le droit de proclamer sa
souveraineté comme l’a fait celui du Kosovo ... Nous avons été
occupés bien avant que le problème de cet Etat ne surgisse », a
déclaré Yasser Abd-Rabbo, influent membre de l’Organisation de
libération de la Palestine.
Mais l’exemple
kosovar ne semble pas trop inspirer les dirigeants de l’Autorité
palestinienne à l’exception de Abd-Rabbo. Le président
palestinien Mahmoud Abbass s’est tout de suite démarqué de
cette prise de position, affirmant qu’il entendait pour sa part
poursuivre les négociations avec Israël pour parvenir à la création
d’un Etat palestinien. Et si cela s’avère impossible ? « Si
nous aboutissons à une impasse, nous nous en référerons à la
nation arabe pour que la décision qui s’impose soit prise au
plus haut niveau », a encore lancé Abou-Mazen.
Mais si l’on ne
peut pas qualifier la situation actuelle d’impasse, comment
peut-on la décrire ? Voilà 30 ans que les Arabes négocient,
depuis les accords de Camp David, et 17 ans depuis Oslo et les négociations
ont bel et bien achoppé. Alors que pour le Kosovo, les
pourparlers n’ont duré que 9 ans avant que les Etats-Unis ne
jettent l’éponge et l’acceptent. Ce parallèle établi par
Abd-Rabbo a pourtant bien surpris les Américains qui se sont précipités
à le rejeter sous prétexte que les deux cas sont assez
distincts.
« Les négociations
au Proche-Orient peuvent encore donner des résultats alors que
celles sur le Kosovo n’offraient plus d’espoir », comme l’a
expliqué le porte-parole du département d’Etat, Sean
McCormack. Justification pas logique même si beaucoup de différences
sont à dégager entre le cas kosovar et le cas palestinien.
Même si ces deux
parties ont toutes les deux vécu des guerres sanglantes et
destructives, le parallèle est difficile à établir, sur le fond
au moins.
Une comparaison
difficile ?
La nature de chaque
cas impose ses règles. Sans aucun doute, la question
palestinienne n’est pas celle d’une minorité ethnique qui
cherche ses droits comme le sont les Kosovars, mais il s’agit
d’un peuple dont les territoires ont été violés et qu’il
essaye de récupérer. Le politologue Saïd Okacha précise ainsi
que le problème avec les Palestiniens c’est qu’ils luttent
essentiellement pour la terre, pour un tracé des frontières de
leur futur Etat. En effet, Israël n’a jamais fixé ses propres
frontières alors que l’« Etat de Palestine », lui, l’a
fait. Il revendique la partie de la Palestine occupée par Israël
en 1967. Aujourd’hui, nul ne remet en cause la souveraineté de
l’éventuel Etat de Palestine sur la Cisjordanie et la bande de
Gaza.
Le cas du Kosovo
est autre, la province ex-yougoslave est bien définie géographiquement
et l’indépendance recherchée est plutôt politique. Il n’y a
pas de conflit de terre entre les Serbes, les Croates et les
Kosovars alors qu’avec les Palestiniens, il s’agit d’un seul
territoire, d’une occupation et de répartition de terre. Du
coup, les Kosovars se sont accordés sur plusieurs plans pour
parvenir d’une manière ou d’une autre à leur indépendance
alors que les Palestiniens sont obligés soit de suivre cette
stratégie de négociation avec les Israéliens, soit d’entamer
une lutte armée. Même s’il a été confirmé par une résolution
de l’Onu, le sort de cet Etat palestinien reste ainsi intimement
lié à une acceptation de la part d’Israël. En d’autres
termes, l’indépendance est tributaire de la fin de
l’occupation.
Effectivement,
c’est uniquement en se débarrassant du lourd fardeau de
l’occupation que les Etats de l’ex-Yougoslavie ont pu
proclamer, au départ, une sorte de souveraineté et exiger par la
suite une indépendance en bonne et due forme. La Serbie, qui
refusait toujours toutes les revendications d’indépendance des
anciennes entités yougoslaves, n’a pas hésité à mener des
conflits et des guerres sanglantes pour maintenir son emprise sur
elles. Mais la volonté de séparation a été plus forte, une
volonté née surtout d’une expérience d’union imposée,
durant laquelle ces provinces ont vécu toutes sortes
d’injustices (lire page 5). En outre, elles répondaient plus ou
moins aux critères juridiques selon lesquels l’indépendance
d’un Etat est définie. En effet, outre l’établissement de
relations diplomatiques, « quatre critères définissent un Etat
souverain à savoir : l’existence d’un territoire déterminé,
dont nul autre ne revendique la souveraineté ; la présence
permanente d’une population ; le contrôle effectif de ce
territoire et de cette population ; la volonté et la capacité de
satisfaire ses obligations envers la communauté internationale et
de remplir les clauses d’un traité », écrit John V. Whitbeck
dans le Monde diplomatique. De quoi démontrer qu’en dépit de
certaines différences, l’exemple kosovar peut inspirer les
Palestiniens.
Car si on se réfère
à ces critères, « l’Etat palestinien n’est pas moins légitime
que l’Etat juif. Seul manquait, du moins jusque récemment, le
dernier critère : le contrôle effectif des territoires et de la
population ». En 1988, lorsqu’Abou-Ammar proclame l’Etat
palestinien, Gaza et la Cisjordanie étaient sous occupation, «
mais les accords d’Oslo ont modifié la situation. Démocratiquement
élu et assuré du soutien de la communauté internationale, le
pouvoir palestinien contrôle effectivement — avec ses
institutions législatives, exécutives et juridiques — une
partie du territoire palestinien où réside la majorité de la
population palestinienne. Même les Etats-Unis et les pays européens
qui n’ont pas établi de liens diplomatiques avec l’Etat
palestinien recevaient Yasser Arafat avec les honneurs dus à un
chef d’Etat », précise V. Whitbeck. La Palestine a son propre
drapeau qui ne manque pas d’être hissé dans les conférences
internationales les plus importantes, elle a un ambassadeur aux
Nations-Unies et dans plusieurs dizaines de pays.
En chiffres, le
Kosovo, qui vient juste de déclarer son indépendance, n’est
reconnu que par 17 Etats, alors que l’Etat palestinien, lui,
bien que reconnu par 105 pays, continue à être considéré comme
non-Etat. Pourquoi l’indépendance des uns est reconnue alors
que celle des autres ne l’est pas ?
La réponse est
loin d’être compliquée. C’est uniquement les Américains qui
décident. C’est Washington qui était derrière la séparation
du Timor, elle l’est aussi pour l’indépendance du Kosovo.
Selon Saïd Okacha, « la communauté internationale n’osera
jamais prendre ce pas et adopter une mesure contre le gré des
Israéliens et certes des Américains ».
Essentiellement
donc, tout est basé sur le principe d’intérêt entre les
Etats. En reconnaissant l’indépendance du Kosovo, Washington
envoie un message à la Russie. Il voudrait contourner son
influence dans cette région. En effet, le ton monte entre Américains
et Russes. Le Kosovo n’est dans ce contexte qu’une carte du
jeu.
Et pour
l’instant, les Etats-Unis sont loin de jouer avec la carte
palestinienne. Les Arabes ne semblent leur offrir aucune
contrepartie. Voire, ils les considèrent comme des Etats peu développés
et source de terrorisme. Ils n’ont pas hésité à occuper un de
leur pays, l’Iraq, à menacer un autre, la Syrie. Un bâtiment
de guerre l’USS Cole n’est-il pas au large du Liban sans
l’autorisation de celui-ci ? Même leurs alliés, l’Arabie
saoudite et l’Egypte, en l’occurrence, n’ont pas grâce à
leurs yeux. Pour eux, Israël est donc un allié plus que stratégique.
L’exemple du Kosovo est donc à écarter pour l’Amérique en
attendant ce que décidera Tel-Aviv
Droits de
reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM
Hebdo
Publié le 6 mars 2008 avec
l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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