|
Al-Ahram Hebdo
Epuration ethnique en marche
Ahmed Loutfi et Chaïmaa Abdel-Hamid
Photo Al-Ahram
Mercredi 1er avril 2009
Palestine.
Rapports de l’Onu et de différentes ONG, témoignages, y compris
de soldats israéliens, viennent confirmer l’absence de tout code
moral chez Tsahal, lors de la guerre contre Gaza.
« plomb durci », titre de cette opération
sanglante menée par Israël à Gaza. On pourrait lui ajouter : «
Plomb durci, par cœurs durcis ». Ces derniers sont ceux des
soldats de Tsahal. Eux seuls ? Ou plutôt l’establishment
israélien dont on constate un virage accentué vers une droite
qui finalement va quasiment monopoliser le pouvoir. Témoignages
de soldats israéliens, rapports de l’Onu et d’ONG
internationales viennent confirmer les exactions menées par les
militaires israéliens à Gaza. Des faits déjà dénoncés lors de
l’opération même du 27 décembre 2008 au 20 janvier 2009.
Vingt-deux jours de guerre qui ont fait 1 417 tués dont 926
civils, parmi lesquels 313 enfants et 116 femmes. Seuls 236
combattants ont été tués, ainsi que 255 policiers ou agents de
sécurité, dont 240 sont morts lors des bombardements du 27
décembre.
Les témoignages sur les exactions des soldats
ont ceci d’important qu’ils témoignent de l’absence de toute
éthique dans l’armée israélienne. Le pire est ce qu’elle est
justifiée par une haine de l’autre, le Palestinien, celui-ci ne
mérite pas qu’on tienne compte de lui. Les Israéliens ont
d’ailleurs tenté depuis la fin, il y a deux mois, de l’opération
« Plomb durci » d’affirmer, malgré les témoignages palestiniens
et les critiques des organisations internationales, qu’ils
avaient tout fait pour éviter les victimes civiles
palestiniennes.
Or, ce qui ressort des récits de
combattants d’unités très diverses de Tsahal, c’est que ce «
code moral » n’a pas été violé, mais que son énoncé a tout
simplement été révisé par les officiers supérieurs israéliens
qui ont planifié et déclenché l’attaque sur Gaza. Un des
officiers raconte : « Il y a quelques mois, invité à la Mekhina
(école d’instruction préparatoire au service militaire) d’Oranim
(un village de Galilée), par d’anciennes recrues, j’avais
projeté un film amateur réalisé par un soldat et où l’on voyait
d’autres soldats battre des Palestiniens à un barrage ». Voilà
ce que la force fait de vous , leur avais-je expliqué. Et
n’attendez surtout pas de votre hiérarchie militaire qu’elle
veille au respect des valeurs humaines ... ». Ils étaient donc
préparés à ce jeu de massacre qui avait déjà eu lieu. Et lors de
l’opération « Plomb durci », les témoignages n’ont pas manqué de
confirmer l’horreur acquise lors de la préparation. Les soldats
eux-mêmes ont raconté : « Tirs injustifiés ». Les soldats
racontent notamment comment une mère palestinienne a été tuée
avec ses deux enfants par un tireur d’élite parce qu’elle
s’était trompée de chemin en sortant de chez elle. Dans un autre
cas, une vieille femme palestinienne a été abattue, alors
qu’elle marchait à 100 mètres de sa maison. D’autres témoins
font aussi état d’exactions, d’actes de vandalisme et de
destructions dans des maisons.
Les témoignages ont provoqué de
vives réactions dans la classe politique et les médias
israéliens, alors que les résultats de l’opération, initialement
présentés comme un succès, sont de plus en plus contestés. Les
députés arabes israéliens à la Knesset, Ahmed Tibi et Mohamad
Barakeh, ont déclaré que les témoignages des soldats étaient la
« preuve qu’Israël avait commis des crimes de guerre à Gaza ».
Mais de son côté, le ministre de la Défense, Ehud Barack, a
tenté de défendre l’éthique de son armée « la plus morale du
monde », selon lui, avant de tomber dans le piège, en affirmant
qu’on ne connaît guère l’éthique à utiliser lorsqu’il s’agit de
combattre « le terrorisme ».
Les témoignages des soldats ont
cela de choquant autant que d’autres actes, comme l’usage
d’armes interdites : c’est cet acharnement inculqué en eux de
mettre à feu et à sang les territoires palestiniens. S’agit-il
cependant d’une prise de conscience de la part de ces soldats de
quoi prédire un changement même infime ? Pour Saïd Okacha,
chercheur au Centre des études politiques et stratégiques d’Al-Ahram,
il existe en Israël « un état d’âme qui surgit et disparaît de
temps à autre. Des objecteurs de conscience qui refusent le
service militaire. Certains des soldats ayant participé à la
récente campagne se considèrent comme ayant commis des crimes de
guerre. Parce que pour eux leur devoir se limite uniquement à
défendre leur patrie ». Cela s’est passé à Jénine en 2004,
souligne Okacha.
Des soldats ont refusé d’obéir
aux ordres de leurs commandants et ont été jugés pour leur
désobéissance. Pour un autre chercheur, le politologue Abdel-Ghaffar
Chokr, il ne s’agit pas d’une question de prise de conscience de
la part de ces soldats « mais uniquement une habitude que
certains ont pris de faire après chaque guerre de dévoiler
quelques secrets. Certains sont même allés jusqu’à publier des
livres, comme il a été le cas du massacre collectif des
prisonniers, lors de la guerre de juin 1967 ». Et d’ajouter : «
S’il s’agissait d’une prise de conscience, ils auraient dû
plutôt s’adresser officiellement à un tribunal ».
Une pluie de feu
L’image inhumaine d’Israël de
manière institutionnelle que l’on justifierait par le fait
d’actes individuels est mise en évidence en plus du rapport de
l’Onu par un rapport de Human Rights Watch, publié le 25 mars
dernier. Ce rapport de 71 pages intitulé « Rain of Fire :
Israel’s Unlawful Use of White Phosphorus in Gaza » (une pluie
de feu : l’utilisation illégale de phosphore blanc par Israël à
Gaza) rassemble des témoignages des effets dévastateurs des
armes au phosphore blanc sur les civils et les propriétés
civiles à Gaza.
Les chercheurs de Human Rights
Watch à Gaza ont trouvé, immédiatement après la fin des
hostilités, des fragments d’obus, des restes de réceptacles et
des douzaines de morceaux de feutre brûlé contenant des résidus
de phosphore blanc dans les rues, sur les toits des bâtiments,
dans les jardins résidentiels et dans une école des
Nations-Unies. Le rapport fournit également des preuves
balistiques, des photographies et des images satellites, ainsi
que des documents provenant de l’armée et du gouvernement
israéliens.
Les détails sont d’ailleurs bien
précis dans le rapport. Chaque munition répand 116 morceaux de
phosphore blanc dans un rayon pouvant aller jusqu’à 125 mètres à
partir du point d’explosion. Le phosphore blanc prend feu et
brûle au contact de l’oxygène, et continue à brûler à une
température pouvant atteindre 816 degrés Celsius, jusqu’à ce
qu’il n’en reste plus rien ou que la source d’oxygène soit
coupée. En cas de contact avec la peau, le phosphore blanc crée
des brûlures intenses et tenaces.
Ce crime de guerre israélien
dénoncé depuis le début de l’opération, Israël a tout d’abord
tenté de le nier, mais devant les preuves du contraire, il a
déclaré utiliser toutes ses armes en accord avec le droit
international. Par la suite, les autorités ont dû annoncer la
mise en place d’une enquête interne sur d’éventuelles
utilisations irrégulières de phosphore blanc.
« Les enquêtes menées par le
passé par les FID (Forces Israéliennes de Défense) sur des
accusations d’actions illégales suggèrent qu’une telle enquête
ne sera ni approfondie, ni impartiale », a déclaré Fred
Abrahams, chercheur de la division Urgences au sein de Human
Rights Watch et co-auteur du rapport.
Brouiller les cartes
« C’est pourquoi une enquête
internationale est nécessaire pour déterminer les violations des
lois de la guerre par toutes les parties au conflit »,
affirme-t-il. Mais dans quelle mesure cela est-il possible ?
Tel-Aviv veut brouiller les cartes. Pour expliquer le nombre
élevé de victimes civiles à Gaza, les officiers israéliens ont
accusé à plusieurs reprises le Hamas d’avoir utilisé ces civils
comme « boucliers humains » et d’avoir combattu dans des zones
civiles. Abdel-Ghaffar Chokr estime qu’Israël veut ainsi faire
d’une pierre deux coups. « D’un côté, il veut démontrer par
cette extrême violence qu’il est capable de trancher et régler
la situation à Gaza. En même temps, il veut par l’intermédiaire
de toutes ces pertes infligées aux Palestiniens qu’ils se
retournent contre le Hamas ». Déjà, cette idée de l’utilisation
par l’Organisation palestinienne de civils comme boucliers a
souvent circulé. Saïd Okacha, lui, considère que « s’en prendre
aux civils est une accusation qu’Israël et le Hamas assument
ensemble ». Et de dire que le peuple palestinien est la victime
« d’une machine de guerre terrible de la part des deux parties
». Mais l’idée d’une responsabilité du Hamas, au même titre
qu’Israël, n’est même pas admise par Human Rights Watch que l’on
ne peut accuser de partialité. Dans les cas documentés dans le
rapport de l’ONG, elle n’a pas trouvé de preuves d’utilisation
par le Hamas de civils comme « boucliers humains » au moment et
à proximité des attaques. Ce que le rapport a bien précisé,
c’est que « les Israéliens ont utilisé de manière répétée et
illégale ces armes au-dessus de quartiers résidentiels, tuant et
blessant des civils et endommageant des structures civiles, y
compris une école, un marché, un entrepôt d’aide humanitaire et
un hôpital ».
Les lois de la guerre obligent
les Etats à enquêter de manière impartiale sur les accusations
de crimes de guerre. Les preuves disponibles à ce jour doivent
pousser Israël à enquêter et à poursuivre de manière appropriée
les personnes ayant ordonné ou perpétré des attaques illégales
avec des armes au phosphore blanc, souligne encore Human Rights
Watch.
Mais qui pourra conduire les
Israéliens devant une usitée pénale internationale ? Les
Occidentaux ? C’est peu sûr. De plus, les pays arabes sont
restés les bras croisés face à ces crimes, se contentant
d’exprimer leurs regrets, mais sans réaction concrète. Selon
Chokr, Ocampo, célèbre président de la CPI, qui pourchasse le
président soudanais Al-Béchir, a souligné que si les Arabes
présentaient une plainte au Conseil de sécurité et demandaient
un jugement des responsables israéliens, ils l’obtiendraient. «
Mais les Arabes ne veulent sans doute pas mécontenter l’Amérique
», dit Chokr.
En fait, comme le souligne Human
Watch, Le gouvernement des Etats-Unis, qui a fourni à Israël ses
munitions au phosphore blanc, doit également conduire une
enquête.
Une enquête qui s’élargirait à
d’autres aspects de cette dénégation par Israël des Palestiniens
et de leurs droits, notamment l’interdiction faite de célébrer
Jérusalem comme capitale de la culture arabe en 2009. Mahmoud
Abbass a bien dit : « La politique de discrimination, de
suppression de vol de terre, de destruction de quartier, de
maison, de falsification du passé qui détruit le présent et vole
le futur doit être stoppée si la paix veut avoir une réelle
chance d’aboutir sur cette terre ». De plus, l’Autorité
palestinienne a à juste titre accusé Israël de mener « une
campagne d’épuration ethnique » contre les Palestiniens de
Jérusalem ... Celle-ci prend plusieurs formes, massacres, armes
prohibées et annulation de l’identité.
Ahmed Loutfi
Chaïmaa Abdel-Hamid
Droits de reproduction et de diffusion
réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 1er avril 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
|