A
l’époque où régnait dans les pays
musulmans le mode de gouvernement
«mordant» (mulk ‘Adûd) dont parlait la
Tradition prophétique, il était possible
pour le gouverneur assis sur son trône
de donner au bourreau l’ordre de
trancher le cou à celui-ci ou de crever
les yeux à celui-là, sans jugement
aucun.
Ou de donner à son trésorier, sans
rendre des comptes à personne, l’ordre
de prodiguer l’argent de son peuple à
des poètes louangeurs, chanteurs,
bouffons, concubines, ou de le dépenser
rien que pour assouvir ses caprices.
S’il était possible pour le
gouverneur d’agir de la sorte, c’est
parce qu’il jouissait d’une puissance
contraignante qu’il tirait de ses
suivants et partisans qui le soutenaient
dans la mesure où il renflouait leurs
caisses, ou dans la mesure où ils le
craignaient.
Plus récemment, il était toujours
possible pour le gouverneur dans nos
pays arabes et musulmans de gouverner en
s’appuyant sur la puissance
contraignante dont jouissait le camp
américain. Mais cela n’est plus sûr à
tous les coups car les Etats-Unis ne
sont plus dans une situation qui leur
permettrait de toujours imposer leur
volonté sur le monde. Par ailleurs, les
priorités des Etats-Unis ne coïncident
pas obligatoirement, dans les conditions
des évolutions actuelles à l’échelle
planétaire, avec ceux des gouverneurs ou
des aspirants au gouvernement.
C’est cela qui explique l’impuissance
des Etats-Unis ou leur passivité quant à
la protection de gouverneurs comme Hosni
Moubarak et Zayn al-Al ‘Abidin ben Ali
connus en tant que leurs clients
inconditionnels. Il explique aussi le
fait qu’après les avoir relâchés et
abandonnés à leur sort, les Etats-Unis
s’emploient à établir des «ententes»
avec leurs successeurs. Des ententes
dont ces successeurs pensent ou espèrent
en profiter pour bien asseoir leur
autorité et assurer à leurs sociétés la
force nécessaire pour pouvoir avancer
vers la réalisation de leur but déclaré
qu’est l’établissement de l’Etat
islamique.
De son côté, le camp américain voit
la question de tout un autre œil : Il
utilise l’entente comme un moyen
d’assurer la pérennité de son hégémonie
et de la renforcer de la manière la plus
compatible avec ses intérêts.
Dans le cadre de cette équation, nous
entendons chaque jour parler de la
nécessité de donner à tel ou tel régime
l’occasion ou le temps suffisant pour
prouver son sérieux et sa capacité de
conduire la barque vers le but affiché.
Ce but ne peut être autre chose que le
respect dû aux causes de la nation et
l’action en vue d’assurer le minimum des
moyens indispensables afin que la vie
puisse continuer pour des peuples où une
forte proportion d’individus vivent
en-dessous du seuil de la pauvreté ou ne
trouvent de logis en-dehors des
cimetières.
Leur donner l’occasion et le temps
est tout à fait logique. Mais il n’est
pas logique du tout que l’attente soit
l’unique fonction des masses surtout à
un moment où les crises économiques et
sociales ne font qu’empirer.
Il n’est pas logique non plus que les
orientations des régimes issus des
révolutions arabes en Egypte et en
Tunisie soient restreintes, sur le plan
de la défense des causes de la Nation,
au fait de voir une augure favorable
dans une trêve que l’entité sioniste
viole tous les jours à Gaza.
Et que ces orientations soient
restreintes sur le plan de la
construction économique aux seules
options sources de déception comme le
fait de compter sur des maigres aides
financières ou sur des prêts offerts par
le Fond Monétaire International à des
conditions qui garantissent la poursuite
de la plongée de la barque vers les
fonds.
Si l’on peut laisser de côté cette
danse, pour des considérations
tactiques, sur les cordes du
rapprochement entre un libéralisme, un
laïcisme et une démocratie voulues par
l’Occident, et des slogans qu’on entend
en Egypte et ailleurs du genre «le
peuple veut l’application de la Loi de
Dieu», comment alors peut-on souffrir
l’écoute de ces longues explications sur
le sérieux et l’authenticité d’un projet
islamique rien que parce que légalité (shar’iyya)
et loi (shari’a) sont dérivées d’une
seule et même racine linguistique ?
Et comment peut-on nous attendre à
des dénouements heureux, alors qu’un
président de république se permet-il de
se comporter de la façon qui a permis à
beaucoup de monde de l’accuser d’agir
comme un nouveau pharaon ou comme un
empereur romain parmi ceux qui se
voulaient s’imposer comme des divinités
sur terre ?
Au moment où les démocraties
s’avèrent être des dictatures masquées,
il peut ne pas y avoir d’inconvénient à
ce qu’un individu cherche à s’octroyer
tous les pouvoirs. Mais il faut
quand-même que les premières de ces
décisions ne conduisent à cette grande
division entre opposants et consentants.
Il faut aussi qu’elles ne deviennent pas
un cheval que montent ceux qui ont
intérêt à entraîner l’Egypte vers une
guerre civile plus catastrophique que
toutes celles qui sévissent ou menacent
de sévir dans la plupart des pays arabes
et musulmans.
Des guerres civiles, il faut le
rappeler, qui visent à faire imploser de
l’intérieur les pays concernés, et en
même temps à détourner l’attention de la
véritable cause de la nation en
Palestine et des causes sociales au
niveau de chacun de ces pays.
Des guerres civiles, il faut le
rappeler aussi, qui sont fomentées et
attisées par ceux-là mêmes avec lesquels
nouent des ententes ceux qui ont pris le
pouvoir grâce aux révolutions arabes.
A moins que ces ententes ne soient une
expression polie, allégée, de la
complicité et des liens suspects.