Le peuple voulait renverser le
régime. Disons que, par la volonté du
peuple ou du Conseil suprême des forces
armées et l’indétournable bénédiction
américaine, le départ de Moubarak
pouvait alors être considéré comme un
pas vers le renversement du régime ou,
comme le veut la formule en vigueur,
vers une transition vers le paradis de
la démocratie.
18 mois après le début de l’événement
égyptien, la tâche s’avère beaucoup plus
difficile. Le Conseil est déterminé à
s’emparer de tout le pouvoir. Cela peut
ne pas poser un vrai problème dans la
mesure où l’histoire de la lutte pour la
liberté a souvent été construite par des
militaires.
Mais ce qui pose un problème c’est le
monopole du pouvoir en Egypte par « ce »
Conseil qui ne fait que montrer une
hostilité de plus en plus ouverte envers
« cette » révolution qui semble de plus
en plus confuse et désorientée..
Réduite à des manifestations de
protestation, dépourvue de toute vision
en ce qui concerne la nature du régime à
construire, animée par le seul espoir
d’une vie meilleure, dirigée par des
forces dont la plupart sont fascinées
par les vagues idées de liberté et de
démocratie, la jeune « révolution »
égyptienne présentait tous les signes
d’un champ ouvert aux vents de tout
genre de convoiteurs.
Peu disposée à tenir les rênes de la
conjoncture, et pensant que l’armée
pouvait cueillir les fruits et les lui
offrir sur un plateau d’argent, la jeune
« révolution » a fraternisé avec les
militaires et dans la place « Tahrir » a
régné un grand sentiment de victoire
supporté par l’heureuse idée selon
laquelle l’armée qui a tant et tant
protégé l’Egypte saurait aussi protéger
sa révolution.
Illusion ! L’armée qui –avec les «
Officiers libres »- a pu renverser la
monarchie, puis –sous Nasser- a défendu
l’Egypte contre l’agression tripartite
menée en 1956 par « Israël », la France
et le Royaume-Uni, a été
spectaculairement trahie par ses
dirigeants et humiliée par les
Israéliens le 5 juin 1967.
Curieusement transformée en défaite
lorsque l’armée israélienne a rapidement
effectué une percée lui permettant de
menacer le Caire, la victoire de l’armée
égyptienne lors de la guerre de 1973 a
ouvert la voie aux accords de Camp David
et aux fléaux made in
Washington-Tel-Aviv qui ont frappé
l’Egypte à commencer par son armée.
Visée par toute sorte de corruption,
l’armée égyptienne a subi sous Sadat et
Moubarak une véritable opération
d’épuration. Il suffit de se souvenir,
entre autres coups assenés à cette
armée, du vol 990 du Boeing 767
d’Egyptair qui, en octobre 1999, a été
la victime d’un complot conjoint du
Mossad et de la CIA. 33 parmi les plus
hauts gradés de l’armée égyptienne et
trois grands savants du nucléaire
égyptien ont été tués dans le suspect
écrasement de cet avion près de
Washington après une « visite » qu’ils
effectuaient aux Etats-Unis.
C’est
donc sur une armée éprouvée, martyrisée,
puis formée et équipée par les
États-Unis, une armée qui n’a pas le
droit d’avoir une présence même minime
en Sinaï et qui a mené de vastes
opérations de répression dans les villes
égyptiennes sous Sadat et Moubarak, que
la jeune révolution égyptienne comptait
pour atteindre ses objectifs.
Une armée dirigée par un Conseil
suprême qui, en parfaite entente avec
les Etats-Unis, a pris en main le
contrôle du pays à partir du moment où
Hosni Moubarak a été contraint de partir
et qui n’a manqué depuis d’affirmer son
intention de régner en maître.
Conscientes de cette intention et peu
disposées à prendre des positions assez
claires pour ne pas dire radicales,
certaines composantes de la révolution
comme le Parti de la Liberté et de la
Justice, façade politique des Frères
musulmans, ont poussé à l‘extrême leur
attitude conciliatrice envers le
Conseil, allant parfois jusqu’à décevoir
la masse de leurs propres bases comme
des autres supporters de la révolution.
Sans que le Conseil ne montre le
moindre signe de reconnaissance. Bien au
contraire. Il a réussi à saper tous les
acquis de la révolution :
Décision d'invalider la loi dite
d'exclusion politique, votée par le
Parlement, et sensée frapper
d'inéligibilité Ahmed Chafiq, le dernier
Premier ministre de Hosni Moubarak et
l’adversaire du candidat des frères,
Muhammad Mursi.
Dissolution, parce que dominé par les
islamistes, du grand acquis de la
révolution qu’est le parlement qui n’a
exercé ses fonctions que pendant trois
mois et dont la seule élection de ses
membres a duré plus de trois mois.
Déclaration constitutionnelle
complémentaire qui prive le président de
la république de toutes ses prérogatives
de président.
Le tout, avec une présence militaire
massive dans les grandes villes
égyptiennes et une détermination sans
faille à la répression de toute
tentative de contestation.
Au moment où l’Egypte s’approche à
grands pas du chaos, Hilary Clinton,
menue de toute la fidélité des
Etats-Unis aux idéaux de la liberté, de
la démocratie et des droits, et de tout
l’amour qu’ils vouent aux peuples
arabes, en Irak, en Syrie, en Lybie, en
Egypte et notamment en Palestine,
intervient hypocritement et sans
scrupule pour jeter une pierre dans les
eaux déjà troubles de l’Egypte : Elle a
parlé au nom de la révolution en
demandant au Conseil militaire de
respecter le processus démocratique.
Muette, la révolution représentée par
toutes ses constituantes y compris les
frères musulmans a offert au Conseil
militaire l’occasion d’être la seule
voix égyptienne ayant remis Mme Clinton
à sa place ! Et l’ayant sommée de
respecter la souveraineté de l’Egypte !