Opinion
Egypte : au fond
des choses
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Jeudi 24 novembre
2011
L’Egypte
bouge sérieusement, mais les analyses en
cours et autres observations survolent
très haut les déterminants d'une
révolution qui, pourtant, a des
caractéristiques qui offrent une lecture
en dehors de l'événementiel et des
analogies soporifiques imposées par le
très médiatique «printemps». Cette
promesse de spectacle pour journalistes,
avides de confort intellectuel, et cette
formule qui sied aux attentes du marché.
Ainsi, on rencontrera difficilement des
avis qui partent d'un minimum de
compréhension du contexte, social et
économique, dans lequel se déroule
l'insurrection. Tout est dit, écrit ou
filmé selon une grille unique qui veut
que les «Egyptiens se révoltent comme
devaient se révolter les ‘’Arabes’’»,
selon le schéma arrêté par les «experts»
et les «spécialistes» patentés et qui
est repris en chœur par quasiment
l'ensemble des médias. Les temps
seraient donc venus que les «Arabes»
s'aperçoivent qu'il leur fallait
revendiquer la «démocratie». La vérité,
celle que livre la vie réelle, n'a pas
droit de cité. Lorsque l'inénarrable
Hillary Clinton s'est précipitée sur la
place Tahrir, le 16 mars dernier, pour
s'approprier le lieu et se faire filmer.
Elle croyait sérieusement que les
insurgés pensaient comme elle,
puisqu'elle a déclaré tout émoustillée :
«Voir l'endroit où la révolution, qui a
eu tant de signification pour le monde,
a eu lieu est quelque chose
d'extraordinaire pour moi». Elle croyait
que tout s'était bien passé pour le
système qu'elle veut voir gouverner le
monde. Elle a eu tort, elle le sait
maintenant. Elle aurait pu être moins
enthousiaste, si elle avait vraiment
tenu compte de ce qui avait réellement
poussé le peuple égyptien à se rappeler
à ceux qui le gouvernent. Le fait est
que, bien avant que l'on s'intéresse à
ce qui se passe chez les «Arabes»,
l'Egypte connaît régulièrement des
troubles, ceux-ci ignorés jusque-là par
la presse «printanière». Pour ne citer
que cette grève des cinquante-cinq mille
fonctionnaires chargés de la collecte
des impôts locaux sur l'immobilier, qui
s'est déroulée en décembre 2007 ou
encore ces graves incidents qui, en mai
2008, à Mahallah, une ville
industrielle, textile, ont vu des
milliers de travailleurs prendre
possession de leurs usines pour réclamer
leurs salaires puis, dans la rue,
affronter les brigades anti-émeutes et
démonter un portrait géant de Hosni
Moubarak. Ces faits n'ont pas existé aux
yeux du monde, grâce à la diligence du
monopole international sur
l'information. Pas plus que plusieurs
autres émeutes, contre la dégradation
des conditions de vie provoquée par le
programme néolibéral, qui lamine les
revenus de 90% de la population,
essentiellement les ouvriers, les
employés, et l'armée de fonctionnaires
dont les emplois disparaissent en masse,
supprimés par des restructurations du
service public. Malgré cela, encore, on
ne retient que le nom de ce Mouvement de
la Jeunesse du 6 avril, qu'on ne voit
plus après les rassemblements populaires
du 25 janvier (date anniversaire du
massacre de policiers insurgés en 1952).
Une autre lecture simplifiée mettait sur
le podium les Frères musulmans.
Aujourd'hui, ils sont du côté du Conseil
supérieur des forces armées (CSFA).
Malgré eux la révolution suit son cours.
D'aucuns ont exhibé Mohamed El Baradai,
il restera une hypothèse des doctes
supputations des «politologues». Au fond
des choses, loin des feux de la rampe,
il y a, au moins, la symbolique
préoccupation du pain «mouda'am»,
soutenu par une subvention, qui est dix
fois moins cher que celui du marché,
soit 5 piastres contre 25 à 50 piastres,
qui exige de se lever tôt, parce que les
boulangeries qui le livrent n'ouvrent
que jusqu'à midi, au plus tard, et
l'attente moyenne dure deux heures.
Article publié sur
Les Débats
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