Opinion
Egypte : Erdogan
défend la survie de son «modèle»
Ahmed Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Mercredi 10 juillet 2013
On l'attendait un peu le grand Frère
turc, le modèle des modèles. Il aurait
même été étonnant qu'il ne dise rien,
lui l'inventeur de " l'Islam modéré " si
cher à ceux qui voulaient se servir de
ce label pour " démocratiser " les
musulmans. Le chef de l'AKP, Rajab Tayeb
Erdogan, premier ministre de son pays,
le symbole proposé au lieu et place des
" dictatures " qui auraient fait leur
temps, a bien été obligé de défendre le
président égyptien déchu, Mohamed Morsi.
Il ne pouvait supporter l'échec du
projet dont il constitue la référence
certifiée. Il a donc condamné
l'intervention de l'armée égyptienne. Il
n'a pas parlé des dizaines de millions
d'Egyptiens qui ont poussé à cette
destitution. Ils ne l'intéressent pas et
ne figurent pas dans son champ de
vision. Il parle d' " atteinte à la
démocratie ". Et les arguments il n'en
manque pas. D'autant qu'il réduit le
schéma à sa plus simple expression, le
putsch, sans ce qui est allé avec. Alors
il peut parler de " coup d'Etat ". Ce
qui l'autorise ensuite à fustiger les
forces armées égyptiennes, sans trop
réfléchir aux mots qu'il utilise.
Déchaîné, il y va péremptoire : " Ceux
qui comptent sur leurs armes, ceux qui
comptent sur la puissance des médias ne
peuvent pas bâtir la démocratie ". En
disant cela, Erdogan a dû oublier sur
quoi a reposé et repose encore le "
printemps " qui a dévasté la Libye et
qui détruit la Syrie. Il affirme aussi
ceci : " La démocratie peut seulement se
bâtir dans les urnes ", soit encore une
amnésie sur la désignation des "
représentants légitimes " des peuples,
par des " amis " de ces peuples. Dans sa
lancée il qualifie, selon cette logique,
les autorités provisoires égyptiennes de
" pseudo nouveau gouvernement ",
laissant supposer sans vergogne que ses
CNT libyen et CNS syrien sont de vrais
gouvernements. En se réécoutant ou en se
relisant, il se mordra peut-être les
lèvres ou bien se mettra à prier pour
que personne ne lui renvoie ses propos à
la face. Peut-être, aussi, qu'il était
conscient de son discours et qu'en tant
qu'atlantiste, même de seconde zone, il
croit qu'il peut jouer du cynisme et de
l'arrogance que confère ce statut.
Cependant, il a exprimé sa peur panique
du danger qui menace l'avenir des Frères
musulmans, alors qu'il y a quelques mois
il triomphait sur la scène mondiale
quand l'AKP (Parti pour la justice et le
développement) se déclinait en autant de
clones chez les arabes et assimilés,
convaincus de l'efficacité du module. Il
s'est dit que si les Frères
s'effondraient en Egypte, la partie qui
se joue en Syrie pourrait être plus
sérieusement compromise et la déroute en
cours accélérée. Pis encore, son propre
pouvoir qui connaît une fronde massive a
de forte chance de suivre, à cause de ce
qui ressemble fort bien à un retour de
flamme. Ce qui peut expliquer qu'il
fustige la " prudence " des Etats-Unis
et de l'Europe, qu'il juge timoré à
l'égard de la crise égyptienne,
appréhendant probablement que leur
attitude serait identique si lui-même et
ses partisans venaient à vivre ce type
de syndrome. Ce qui n'est pas exclu,
puisque les Turcs ne démordent toujours
pas de voir l'AKP " dégagé ".
Article publié sur
Les Débats
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