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Opinion
Égypte-Algérie : le
hooliganisme médiatique
Ahmed Bensaada
![](algerie-egypte.jpg)
Photo: www.viactu.com
Montréal, le 29 octobre 2009
« Le sport, c'est aussi le
hooliganisme, des énergies considérables canalisées dans la
bêtise. »
Jean Dion
Eliminatoires de coupe du monde de football. Match
«aller».Terrain de l'équipe A. Mal accueillie, empêchée de
dormir, l'équipe B est battue par l'équipe A. Humiliation
nationale. Une jeune fille, citoyenne du pays B, se tire une
balle dans le cœur. Obsèques nationales diffusées en direct à la
télévision et suivies par le président et le gouvernement du
pays B.
Les médias s'en mêlent. L'Histoire de chacun des pays est
travestie et les travers de chacun d'eux sont mis en exergue.
Rancœurs nationales. Match « retour ». Terrain de l'équipe B.
Son hôtel incendié, son hymne national hué, maltraitée et
empêchée de dormir, l'équipe A est battue par l'équipe B.
Échauffourées. Voitures incendiés. Hôpitaux débordés. Deux
supporters de l'équipe A sont tués.
Les médias s'en délectent. L'Histoire de chacun des pays est
réécrite et l'encre utilisée est noire. Animosités nationales.
Des émigrés du pays B sont attaqués dans le pays A. Deux jours
de violence et aucune protection des autorités: chasse à
l'homme, morts, blessés. Ce n'est que la fatigue des émeutiers
du pays A qui mit fin au massacre. Rupture des relations
diplomatiques.
Une victoire chacun. Match d'appui dans un terrain neutre.
Les médias s'en donnent à cœur joie. L'Histoire de chacun des
pays est traînée dans la boue et les drapeaux en sont salis.
Haines nationales.
L'équipe B gagne le match. Exactions. Viols. Morts. Blessés.
Hôpitaux débordés. L'arbitrage est mis en cause et les joueurs
vainqueurs sont accusés de tricherie. Les médias se déchaînent.
L'huile de la fierté est jetée dans le feu sacré de la Nation.
Sensationnalisme. Propagande. Des broutilles sont montées en
épingle. On mêle le vrai et le faux, l'imaginaire et le réel. Un
vice-consul du pays B est assassiné. Les gouvernements en
profitent pour assurer leur légitimité. Guerre nationale.
La capitale du pays A est bombardée. La guerre fait rage. Les
hostilités ne durent que quatre jours, mais font 2000 morts,
4000 blessés et 100 000 déplacés. Pure invention, cette
histoire? Oh que non! Ce conflit à eu lieu entre le Honduras
(pays A) et le Salvador (pays B) et s'est déroulé durant les
mois de juin et juillet 1969. Surnommée la « guerre de Cent
Heures » mais aussi « guerre du football » (Guerra del fútbol),
elle a été la cause de la ruine des économies de ces deux pays
voisins et il a fallu attendre 11 ans pour qu'un traité de paix
puisse être signé. La haine, elle, est là pour toujours.
Bien que cette dramatique histoire soit un cas extrême de ce
que peut engendrer la rivalité footballistique, elle a
malheureusement quelques similitudes avec ce qui se passe
actuellement entre l'Égypte et l'Algérie. Tout d'abord, il
s'agit d'éliminatoires pour la qualification à la phase finale
de la coupe du monde de football et le vainqueur entre ces deux
pays sera l'heureux élu. En cas d'égalité parfaite entre les
deux équipes, un match d'appui aura lieu dans un pays neutre.
Mais l'analogie la plus remarquable est probablement celle de la
tempête médiatique féroce qui entoure cet évènement sportif.
Jamais, de mémoire d'Algérien, un bouillonnement médiatique
aussi ordurier n'a accompagné une quelconque compétition
sportive internationale. Un florilège d'insultes, d'accusations
et de méchancetés gratuites. Du fiel et du venin distillés dans
l'encre, les ondes et les pixels.
L'escalade verbale et le jeu avec les sentiments des auditeurs
par certains présentateurs égyptiens sont d'une efficacité
redoutable dans la dissémination de l'intolérance envers (tous)
les Algériens. La déformation de l'Histoire et son utilisation à
des fins belliqueuses et malveillantes n'honorent en rien ces
apôtres de l'aversion qui construisent leur notoriété sur les
cendres des feux qu'ils ont allumés. De l'autre côté, le
comportement médiatique algérien n'est pas en reste :
formulations cinglantes, réponses irréfléchies et montées au
créneau hostiles. Un journal a même publié, à la une, un
montage photo de piètre qualité montrant les deux entraîneurs
côte à côte. Cela n'aurait posé aucun problème si ce n'était les
accoutrements avec lesquels on les a représentés : l'entraîneur
algérien était en jeune premier et l'Égyptien en nouvelle
mariée! Dans un autre numéro, c'était un joueur algérien affublé
d'un costume de gladiateur qui trônait triomphalement en
première page. Il est vrai que les spectacles des combats de
gladiateurs déchaînaient la violence des spectateurs de la Rome
antique. Mais sommes-nous encore en antiquité sans le savoir?
Sur le plan informatique, les hostilités ne se sont pas fait
attendre. Des hackers égyptiens se sont pris aux sites d'un
journal et de la télévision algérienne. En guise de
représailles, les hackers algériens ont, de leur côté, attaqué
des sites égyptiens: la présidence, le ministère de la défense
et le plus grand journal égyptien.
Pourtant, les peuples algériens et égyptiens se sont toujours
estimés et admirés, surtout en matière de sport.
Je me rappelle une anecdote qui m'a prouvé à quel point les
égyptiens étaient respectueux des sportifs algériens. En
septembre 1986, juste après la coupe du monde, j'étais à Louxor,
petite bourgade à quelques 700 km au sud du Caire.
Cette localité est un des endroits les plus visités au monde car
elle renferme des vestiges inestimables de la civilisation
pharaonique. Au pied de l'entrée de la tombe de Thoutmôsis III,
dans la vallée des Rois, je fus accosté par un jeune adolescent,
vendeur de petites statuettes qu'il fabriquait probablement chez
lui, mais qu'il salissait avec la terre des alentours pour leur
donner un aspect «archéologique ». Lorsque je lui répondis en
arabe, il fut tout d'abord surpris et me demanda mon origine.
Lorsque je lui dis « algérienne », il sursauta et,
frénétiquement, ameuta tous les petits vendeurs des alentours.
En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, j'étais entouré
d'une ribambelle de petits joyeux lurons en « gallabia »
scandant « Belloumi, Belloumi, Belloumi..! » Je fus accompagné
par ce cortège aussi inattendu qu'insolite tout le long de ma
visite de la vallée des Rois, jusqu'à ce que le soleil de plomb
du midi me fasse quitter ce merveilleux endroit. Avec le même
enthousiasme, le peuple algérien a été un des premiers
supporters de l'Égypte lors des deux dernières éditions de coupe
d'Afrique des nations.
Les Abou-Trika, Zidane et Amr Zaki étaient autant Égyptiens
qu'Algériens. Des scènes de liesse accompagnaient chacune de
leur victoire et les cœurs des Fennecs vibraient pour les
Pharaons. En ce qui me concerne, chacun de mes voyages au pays
de Naguib Mahfoud me réconcilie avec le genre humain. Je suis
toujours agréablement surpris par la fraternité, la générosité
et la chaleur de l'accueil du peuple égyptien. Du fort de
Qaïtbay à Alexandrie, au Khan El-Khalili du vieux Caire, en
passant par Deir el-Bahri à Louxor ou dans les rues grouillantes
de Naama Bay à Sharm Echeikh, les portes m'ont toujours été
grandes ouvertes et mon pays admiré:« Balad el milioune chahid »
(le pays du million de martyrs). Mais où se cache donc la haine
dont parlent ces médias? Quand on pense que la Turquie et
l'Arménie cherchent à enterrer la hache de Guerre et à oublier
un génocide autour d'un match de football, on doit sérieusement
se poser des questions sur ceux qui veulent la déterrer entre
l'Algérie et l'Égypte!
Après le tirage au sort des matchs de barrage de la zone
Europe, voilà ce que titrait, il y a quelques jours, un journal
irlandais à propos de la prochaine rencontre France-Irlande: «
Ce duel représente un challenge énorme. (...) N'importe quelle
équipe qui réunit des joueurs comme Thierry Henry, Franck Ribéry
ou Karim Benzema peut poser toutes sortes de problèmes. ». Le
président de la Fédération irlandaise de football s'est, quant à
lui, prononcé sur les supporters : « Pour nos supporteurs, c'est
très excitant de pouvoir revenir à Paris, au Stade de France.
Ils viendront nombreux. Ils sont très bruyants mais très bien
élevés ». Quelle différence avec les propos incendiaires de nos
médias arabes qui sont aussi très bruyants, mais malheureusement
très mal élevés!
Bien que le hooliganisme des supporters soit abject, celui des
médias est sournois, insidieux, perfide et beaucoup plus
dangereux. Le hooliganisme médiatique légitime celui des
supporters, lui donne de la voix et génère sa violence. Il
réinterprète fallacieusement l'Histoire, transforme des ouï-dire
en vérité absolue, crée de la haine qui dépasse le cadre du
sport et la perpétue bien au-delà des évènements sportifs.
Le hooliganisme des supporters casse des équipements et
déclenche des escarmouches; celui des médias brise les esprits
et viole les mémoires. Pour tout cela, il est impératif de le
combattre avec autant de vigueur que tous les autres maux dont
souffre le football.
Quand à nous, amoureux du ballon rond, nous suivrons les pas de
Madjer et d'Abou-Trika : même si nous aimons nos pays par-dessus
tout, nous supporterons l'équipe qui aura mérité de se qualifier
à la coupe du monde.
Article publié sur
Le Quotidien d'Oran, 29 octobre 2009
Les analyses d'Ahmed Bensaada
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