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Opinion
Ahmadinejad à Times Square
Ahmed Bensaada
© Photo: Ahmed Bensaada
Dimanche 15 août 2010
J’avais décidé de ne pas mettre les pieds dans le pays de
l’oncle Sam tant que Bush fils était au pouvoir. Non pas que je
trouve la politique étrangère d’Obama différente de celle de son
prédécesseur
[1],
mais disons que je préfère son discours du Caire, malgré son
évidente démagogie, à tous les dégâts provoqués par les deux
mandats du président-prédicateur qui a, bien malgré lui,
popularisé le lancer de chaussures.
Ainsi, je me suis
récemment retrouvé en train de flâner dans les rues de
Manhattan, jouant du coude dans certains endroits pour me frayer
un chemin au milieu d’une foule dense, bariolée et cosmopolite.
Comme il se doit lors d’une visite de la « Big Apple », je me
rendis, entre chien et loup, à Times Square. Situé entre la 42e
rue et Broadway, cet endroit couru par tous propose un condensé
de tout ce que les États-Unis peuvent produire comme stimuli
pour les yeux. Écrans géants, enseignes lumineuses, films
interactifs et j’en passe. De toute part, on est assailli par
une publicité tapageuse, aguichante et intrusive. Entre
l’extravagante boutique M&M’s, le surprenant écran qui
photographie la foule, l’annonce du remake du « dîner de cons »
et de celle d’une multitude de produits de consommation, il y
avait vraiment de quoi avoir le tournis. Mais c’est en levant la
tête que ma surprise fut la plus grande. Là-haut, entre une
affiche de « Levis’s » et de « Guess », juste au-dessus d’une
autre vantant les mérites du « Canada Dry », un visage accrocha
mon regard. De profil, la barbe courte et grisonnante, l’air
ténébreux, les pattes-d’oie bien marquées, le personnage trônait
au milieu de vulgaires objets, symboles d’un mercantilisme
exacerbé.
Je ne pouvais pas me tromper, il s’agissait bien du président
iranien Ahmadinejad. Mais que faisait-il en cet endroit
insolite? Servait-il de top-modèle pour une marque quelconque?
Était-ce une annonce pour une prochaine
visite officielle? La lecture du message accompagnant
l’effigie du président iranien ne laissait aucun doute : il
s’agissait d’un message politique et non commercial ou de
bienvenue. Bien au contraire, on pouvait lire, en grandes
lettres, sur fond rouge: « He’s not welcome here » (Il
n’est pas bienvenu ici). Aucune mention de son nom, ni de sa
fonction sur cette affiche géante.
© Photo: Ahmed Bensaada
De plus, le message
insinuait que les passants avaient leur rôle à jouer dans
l’opposition à la venue d’Ahmadinejad en terre étasunienne.
Information prise, il s’avère qu’il s’agissait d’une affiche
faisant partie d’une campagne, lancée en mai dernier, qui visait
à obliger les hôtels new-yorkais de refuser l’hébergement au
président iranien lors de son passage à New York pour participer
à la conférence de l'ONU sur la non-prolifération nucléaire.
Cette campagne n’est pas terminée puisqu’elle s’échine,
actuellement, à contraindre le Hilton Manhattan East à ne pas
héberger Ahmadinejad et ses collaborateurs durant son séjour en
septembre prochain en vue de sa participation à l’Assemblée
générale de l’ONU. Sachant que 365 000 personnes par jour
passent en moyenne par Times Square, cette publicité a sûrement
un impact non négligeable sur l’opinion publique. Bien en vue
sur l’affiche, l’offensive anti-Ahmadinejad est signée par un
organisme nommé UANI, « United Against Nuclear Iran » (Unis
contre le nucléaire iranien)
[2].
Une visite sur leur site Web se révéla très instructive sur les
personnalités qui tirent les ficelles de cet organisme.
UANI a été fondé en 2008
par Dennis Ross, Richard Holbrooke, Mark Wallace et James
Woolsey pour servir de lobby afin d’influencer la politique
américaine à mener contre l’Iran
[3].
Les deux premières personnes ne font plus partie d’UANI
car elles ont été nommées par l’administration Obama à des
postes clés. Tout d’abord, le 23 février 2009, Dennis Ross a
obtenu le poste de Conseiller Spécial pour le Golfe et l'Asie du
Sud-ouest (incluant l’Iran) auprès de la Secrétaire d'État
Hillary Clinton
[4].
Le 25 juin suivant, il quitta le Département d’État pour
se joindre à l’équipe de la Maison Blanche chargée de la
Sécurité Nationale en qualité d’assistant spécial du président
Obama et de directeur senior pour le Moyen-Orient, le Golfe
Persique, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Asie du Sud
[5].
Ross, qui a soutenu l’invasion de l’Irak, est un membre
influant du lobby juif américain (AIPAC). Supporter
inconditionnel de l’État hébreu, il est surnommé l’avocat
d’Israël. Concernant l’Iran, il a toujours été en faveur d’une
ligne dure. Il est, entre autres, coauteur d’un rapport préparé
avec un groupe de travail présidentiel intitulé « Strengthening
the Partnership : How to Deepen U.S.-Israel Cooperation on the
Iranian Nuclear Challenge » (Renforcer le partenariat : comment
approfondir la coopération entre les États-Unis et Israël sur le
défi nucléaire iranien). C’est probablement pour le remercier de
son appui auprès de la communauté juive américaine lors de la
campagne présidentielle de 2008 qu’Obama le nomma à ce poste
[6].
D’autre part, le 22 janvier 2009, Richard Holbrooke a été
officiellement nommé envoyé spécial pour l'Afghanistan et le
Pakistan par Barack Obama
[7].
Ambassadeur des États-Unis auprès des Nations Unies de 1999 à
2001, il est partisan de la fermeté envers l’Iran. Il a
d'ailleurs fait partie du groupe de travail présidentiel, avec
Dennis Ross, qui a rédigé le rapport cité précédemment.
En plus des deux fondateurs, un autre
membre d’UANI a été promu à un poste d’importance. Il s’agit de
Gary Samore qui, depuis janvier 2009, est assistant du président
Obama et Coordinateur de la Maison Blanche pour le contrôle des
armes de destruction massive, de leur prolifération et du
terrorisme. De 2001 à 2005, il a été directeur d’études à
l’« International Institute for Strategic Studies » (IISS).
C’est cet institut qui, en 2002, « estimait que le régime de
Bagdad n'était pas en mesure de développer rapidement l'arme
nucléaire mais que ses capacités en matière d'armement chimique
et biologique demeuraient ». Le 9 septembre 2002, Gary Samore
déclarait à CNN qu’ « il vaut mieux agir militairement contre
l'Irak tant que ses capacités sont encore éloignées de ses
objectifs que d'attendre qu'il soit doté de l'arme nucléaire »
[8].
Ce n’est pas tout. Des 17 membres du
comité consultatif d’UANI, la plupart sont des proches de Bush
junior ou du lobby juif américain. Ainsi le président d’UANI,
Mark D. Wallace a été un élément actif dans la campagne
électorale 2004 de George W. Bush. Un autre membre, Alan Solow,
est chairman de la Conférence des présidents des principales
organisations juives américaines. Il est, entre autres,
président du « Jewish Community Centers Association »,
vice-président de la « World Confederation of Jewish Community
Centers » et
directeur de la « Jewish Community Centers of Metropolitan
Chicago ». Frances Fragos Townsend a été l’assistante de George
W. Bush pour la sécurité et l’antiterrorisme et présida le
« Security council » de mai 2004 à janvier 2008.
Il serait fastidieux d’énumérer en détails
les fonctions des autres personnalités d’UANI. Il est cependant
important de noter qu’environ la moitié des membres restants ont
servi de manière directe ou indirecte dans l’administration Bush
fils.
Il est clair qu’UANI est un nid de
« faucons » anti-iraniens qui ont déjà fait leur preuve lors du
règne de George W. Bush et qui ont été les artisans de
l’invasion de l’Irak en usant d’arguments fallacieux. Le plus
inquiétant, actuellement, vient du fait que, dans le dossier
iranien, le président Obama s’est entouré des plus belliqueux
d’entre eux.
Va-t-on assister à un autre épisode de la
guerre du Golfe? L’Iran subira-t-il le même sort que l’Irak? Les
installations nucléaires iraniennes seront-elles bombardées par
Israël, comme ce fut le cas pour l’Irak, sous l’aile protectrice
des États-Unis et de l’AIPAC? J’ose croire que les bourbiers
irakien et afghan sauront les décourager.
Mais pourquoi diable ai-je levé la tête à
Times Square? N’aurais-je pas dû me contenter de l’extravagante
boutique M&M’s et du surprenant écran qui photographie la foule?
Montréal, le 12 août
2010
Références
1.
Ahmed Bensaada.
(Page consultée le 9 août 2010). Mais qui est donc Barack
Hussein Obama ?, [En Ligne].
Adresse URL:
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5114229
2.
UANI. (Page consultée le 10 août 2010).
United Against Nuclear Iran,
[En Ligne].
Adresse URL:
http://www.unitedagainstnucleariran.com/
6.
Bakchich Info. (Page consultée le 10 août 2010).
Obama voit la vie en Ross,
[En Ligne]. Adresse URL:
http://www.bakchich.info/Obama-voit-la-vie-en-Ross,08599.html
7.
U.S. Department of State
(Page consultée le 9 août 2010).
Biography
of Richard C. Holbrooke,
[En Ligne].
Adresse URL:
http://www.state.gov/r/pa/ei/biog/129337.htm
8.
IRIS. (Page consultée
le 11 août 2010). Armes irakiennes : l'embarras des
spécialistes du désarmement,
[En Ligne].
Adresse URL:
http://www.iris-france.org/Citations-2003-07-17.php3
Ahmed Bensaada est docteur en physique -
Montréal (Canada)
Article publié dans
Le quotidien d'Oran le 15 août 2010.
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