Opinion
Syrie : Pour un
nouveau pacte social. Et vite
Manifestation de soutien à Bachar al-Assad
à Damas
Mardi 31 janvier
2012
Revue de presse :
Editorial - Afrique Asie*
(Février 2012)
Il est difficile de croire que la
contestation syrienne autour de
revendications populaires légitimes de
réformes démocratiques, de changement,
de justice et de dignité n’a pas, onze
mois après, changé de nature et
d’objectifs. Il faut faire preuve de
cécité pour ne pas voir, sur le terrain,
le glissement progressif d’une
insurrection au départ pacifique vers
une guerre civile détestable et
ravageuse, alimentée politiquement,
financièrement et médiatiquement par des
forces extérieures qui se moquent comme
d’une guigne de la démocratie et des
droits de l’homme en Syrie.
Pourquoi en est-on
arrivé là ? Pourquoi l’Occident et ses
supplétifs moyenâgeux du Golfe
veulent-ils casser ce pays, comme ils
l’ont déjà fait avec l’Irak et la Libye,
au nom de la défense des droits de
l’homme et de la démocratie ? Le plus
stupéfiant et inquiétant à la fois,
c’est que cette prétendue mission «
démocratisatrice » de l’Occident
continue à tromper du beau monde, par
naïveté ou par cynisme. Certes, sans les
erreurs fatales et les maux accumulés
depuis des décennies par le pouvoir
syrien (autoritarisme, système de
parti quasi unique, corruption,
déséquilibres régionaux entre la
campagne et les villes, manque de
confiance, voire hostilité du régime à
l’égard de ses élites et des forces
vives de la société…), cette
ingérence aurait eu du mal à prendre
corps. Des erreurs qui auraient pu être
corrigées en mettant en place à temps
des réformes politiques et économiques
audacieuses qui ont trop tardé.
Force cependant est
de constater que cette indispensable
perestroïka n’a pu être engagée –
très timidement et très lentement –
que sous la pression de la rue, il y a
près d’un an. Ainsi a-t-on vu la levée
de l’état de siège, la naturalisation
massive des apatrides kurdes, une
nouvelle loi sur les médias devant
mettre fin au monopole de l’État et du
parti, une autre sur les partis
politiques et l’adoption début mars, par
voie référendaire, d’une nouvelle
Constitution abolissant le rôle du parti
Baath, au pouvoir depuis le 8 mars 1963,
comme « dirigeant l’État et la
société » et limitant à deux le
mandat présidentiel.
L’infranchissable
barrage russe et chinois
Toutes ces mesures,
si elles sont pleinement mises en œuvre,
jetteraient les bases d’un nouveau
contrat social en Syrie qui ouvrirait la
voie à une transition vers un État de
droit.
Certes, il y a
encore au sein du pouvoir une minorité
d’éradicateurs et de nostalgiques du
tout-sécuritaire qui résiste vainement à
une telle évolution. Elle est rejointe,
objectivement, par une opposition, basée
essentiellement à l’extérieur et portée
à bout de bras par l’Occident et les
monarchies du Golfe, qui cherche le
renversement du régime par tous les
moyens, y compris par un coup d’État
militaire, tout en sachant qu’elle n’a
ni les moyens ni l’envergure et encore
moins la crédibilité pour atteindre un
tel objectif. Car jusqu’ici, et
contrairement à ce qui s’est passé en
Tunisie, en Égypte, en Libye et au
Yémen, on n’a assisté à aucune défection
au sein de l’État, du parti, de
l’administration, de l’armée et de
l’appareil sécuritaire. Plus surprenant
: l’assise sociale et populaire du
régime est importante, comme l’a montré
un récent sondage commandé par The
Doha Debates, financé par la
Qatar Foundation, elle-même financée
par l’émir du Qatar, peu suspect
actuellement de sympathie envers le
régime syrien. Selon ce sondage « la
plupart des Syriens sont en faveur du
maintien au pouvoir de Bachar al-Assad »
(Jonathan Steele, in The Guardian
britannique, 17 janvier 2012). À
cela, il convient d’ajouter
l’infranchissable barrage russe et
chinois qui protège la Syrie de tout
scénario à la libyenne.
Pour toutes ces
raisons, le dialogue doit s’instaurer
entre Syriens eux-mêmes, sans aucune
ingérence étrangère, pour déjouer ce qui
se trame contre ce pays clé du
Moyen-Orient. Car si la démocratie est
la revendication première du peuple
syrien, ce n’est pas le cas des acteurs
étrangers qui instrumentalisent cette
revendication pour changer l’orientation
de la politique étrangère de ce pays. Et
en premier lieu, l’alliance entre Damas
et Téhéran et la relation organique avec
la résistance libanaise et le front du
refus palestinien.
Le très démocrate
prince «
éclairé »
du Qatar
Quand on voit
l’Arabie Saoudite s’opposer au régime de
Damas, qu’elle avait longtemps cajolé,
pour cause de « lèse-démocratie »,
on croit rêver ! Rappelons que l’Arabie
Saoudite est une monarchie de droit
divin gouvernée, avec la protection
armée de l’Amérique, par des
gérontocrates attardés qui considèrent
le simple fait de manifester comme un
crime punissable de mort et dont les
prisons regorgent d’opposants politiques
réduits au silence car les médias
occidentaux ne les entendent pas. On
reste aussi sans voix quand, en bonne
place dans le camp des anti-Al-Assad, on
voit un autre potentat du Golfe, le très
démocrate prince « éclairé » du
Qatar, Hamad ben Khalifa al-Thani,
(l’ami du président français Sarkozy et
de son ministre des Affaires étrangères
Juppé). Celui-ci est arrivé sur le
trône en y chassant son père et ne
tolère chez lui, à part
l’impressionnante base militaire
américaine, ni partis politiques ni
Parlement, ni syndicats ! Surtout, pour
épargner à la région un nouveau syndrome
irakien, il faut rester les yeux grands
ouverts pour comprendre que les
démocraties occidentales, qui veulent en
découdre à tout prix avec le régime
syrien en fermant les yeux sur les
actions terroristes d’une frange de
l’opposition, avancent le visage masqué
derrière le discours des droits de
l’homme. Le chemin de l’enfer n’est-il
pas pavé de bonnes intentions ?
* Site du magazine
Afrique Asie :
www.afrique-asie.fr
© G. Munier/X.
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Publié le 3 février 2012 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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