Dans la presse algérienne
Pourquoi Marzouki
doit réussir
Abed
Charaf
Moncef
Marzouki
Mercredi 22 février
2012
Moncef Marzouki est, à première vue,
le dirigeant maghrébin le plus fragile.
Ce n’est pas un général, comme le
mauritanien Mohamled Ould Abdelaziz, ni
un ancien apparatchik reconverti,
parachuté au pouvoir par les avions de
l’Otan, comme le libyen Mustapha
Abdeljalil. Ce n’est pas non plus un
islamiste de palais, comme Abdelilah
Benkirane, et il n’a ni gaz, ni pétrole,
ni l’appui d’une puissante armée, comme
Abdelaziz Bouteflika.
Le président tunisien n’a même pas
l’appui d’une majorité de Tunisiens. Son
parti n’a pas remporté les élections à
la Constituante d’octobre 2011. Son
accès à la présidence est le résultat
d’un compromis politique dans lequel les
islamistes d’Ennadha ont joué un rôle
central, en acceptant de ne pas tout
accaparer à l’issue des premières
élections post-Benali.
Malgré ce handicap, Marzouki est le
dirigeant maghrébin le plus légitime, et
celui qui suscite la plus grande
attente. Il porte tant de symboles que
son succès éventuel aura plus d’impact
dans la région que celui de n’importe
quel autre dirigeant. Son parcours peut
d’ailleurs être déterminant pour
l’évolution des autres pays. Ceci est dû
d’abord à l’itinéraire de M. Marzouki
lui-même. C’est le premier militant des
Droits de l’Homme qui accède au pouvoir
dans le monde arabe et musulman. C’est
aussi le premier militant affichant des
idées et une pratique démocratiques à
accéder à un tel poste, à l’issue d’une
contestation d’envergure. Il est aussi
le premier à convaincre islamistes et
laïcs de cogérer un pays, dans un
partage raisonnable du pouvoir, sans
tomber dans l’excès ni dans la déraison.
C’est, enfin, le premier président arabe
depuis Chadli Bendjedid qui, confronté à
une situation délicate, met en avant la
loi et les Droits de l’Homme pour éviter
de sévir contre un homme dont l’action
peut provoquer des troubles : il a
refusé de faire expulser ou même
d’interdire des prêches de l’Egyptien
Wajdi Ghanim, malgré les appels à la
haine et le contenu, ouvertement et
inutilement agressif, du prédicateur
égyptien. Le président algérien,
Abdelaziz Bouteflika (à droite), et son
homologue tunisien, Moncef Marzouki,
arrivent au palais présidentiel à Alger.
L’apport de Marzouki à l’expérience
de démocratisation du monde arabe
comporte aussi d’autres aspects
politiques et symboliques d’envergure.
Il dirige le premier pays à se révolter,
donnant le signal de ce fameux«
printemps arabe » qui a suscité tant
d’espoirs. La mutation s’est faite dans
la douleur, mais le bilan est
relativement peu élevé, comparé à
d’autres pays comme la Libye, le Yémen
ou la Syrie.
La Tunisie est un pays où existe une
vraie classe moyenne, avec son sens du
compromis, de la négociation et des
solutions consensuelles. L’évolution s’y
fait traditionnellement de manière
progressive, sans heurts, sauf lorsque
la stagnation dure trop longtemps, comme
cela s’est passé sous Ben Ali.
La société tunisienne ne connait ni
la violence de la société algérienne, ni
le côté archaïque et tribal de la
société libyenne. Elle est disciplinée,
structurée, malgré l’élargissement du
fossé entre possédants des quartiers
aisés et ceux qui survivent dans les
quartiers populaires. C’est également
une société très ouverte sur l’étranger,
qu’il s’agisse de faire des affaires, de
moeurs ou de sens du contact. Au final,
la société tunisienne apparait comme la
mieux outillée pour éviter un dérapage
de l’expérience démocratique.
Autre avantage de la Tunisie, elle
n’a pas de pétrole ni de gaz. Le pays
n’a pas une importance stratégique
majeure. Il ne constitue pas une menace
éventuelle sur la rive sud de la
Méditerranée, et n’a pas la prétention
de jouer un rôle majeur dans les
relations internationales. Rien ne
pousse donc les pays occidentaux à s’y
intéresser de manière particulière,
sinon pour en faire le laboratoire de la
cohabitation harmonieuse entre
islamistes, démocrates laïcs et
nationalistes.
Autant d’atouts plaident en faveur du
succès de la démarche de M. Marzouki.
Mais plus que tout, le chef de l’Etat
tunisien fait face à un autre défi : il
doit réussir. Il ne peut pas se
permettre d’échouer. Il doit réussir
parce que c’est l’ultime chance pour le
monde arabe de tenter une expérience de
démocratisation pacifique, organisée, et
réellement aboutie. Marzouki doit
prouver que dans un pays musulman, il
est possible de cohabiter. De vivre
ensemble. D’avoir des idées différentes,
sans forcément se faire la guerre. Il
doit prouver que cette ère à laquelle
nous appartenons n’est pas condamnée à
rester en marge de l’histoire.
A contrario, un échec de Marzouki,
qui déboucherait sur une issue islamiste
ou autoritaire, remettrait tout en cause
dans le monde arabe. Il légitimerait, à
postériori, les régimes autoritaires qui
prétendaient faire barrage à
l’intégrisme.
Si la très modérée Tunisie n’arrive
pas à s’installer dans la modernité
démocratique, une dérive clanique ou
tribale, en Libye, apparaitrait comme
naturelle. Les dirigeants des autres
pays arabes et musulmans, quant à eux,
trouveraient dans cet échec un
formidable prétexte pour justifier leur
immobilisme et leur refus des libertés.
Abed Charaf
www.lanation.info 21/2/2012
Le dossier
Tunisie
Les dernières mises à jour
|