Abdel Bari Atwan
in al-Quds al-Arabiyy, 9 octobre
2009
Des milliers de Palestiniens sur
leurs gardes vont converger, aujourd’hui, depuis les divers
territoires occupés, vers Jérusalem pour aller y défendre la Mosquée Al-Aqçâ et
pour apporter du renfort à ceux qui s’y sont enfermés pour la
garder et briser l’encerclement des forces israéliennes qui se
poursuit depuis plusieurs jours.
Les Palestiniens qui accomplissent
cette mission morale et religieuse en défiant l’arrogance de
l’occupation israélienne et son appareil répressif écrasant le
font au nom d’un milliard et demi de musulmans présents sur tous
les continents.
Ils n’ont ni missiles, ni tanks,
ni avions. Ils n’ont même pas de fusils et ils savent
parfaitement qu’ils mènent un combat inégal contre un ennemi
armé jusqu’aux dents et équipé des armes les plus sophistiquées.
Pourtant, ils n’hésitent pas une seconde à aller affronter
l’ennemi avec leurs poitrails dénudés – dénudés de tout, sauf de
leur foi, de leur détermination irréfragable à faire face à la
nécessité de défendre leurs lieux saints et à mourir en martyrs,
si nécessaire, afin de les protéger et d’en consacrer l’arabité
et l’islamité.
Ceux qui montent ainsi la garde,
dans les territoires occupés, font leur devoir ; ils se montrent
à la hauteur de leur conscience et de leurs cœurs emplis de foi,
et ils ont une connaissance en profondeur des projets
israéliens de judaïsation de leur ville, de destruction de leur
chère mosquée Al-Aqçâ et de construction du prétendu « temple »
sur les ruines de celle-ci.
Au début de ce siècle, et après
l’effondrement des négociations de Camp David, M. Ismail Cem,
ministre turc des Affaires étrangères de l’époque, arriva à
l’aéroport de Gaza, et demanda à rencontrer rapidement feu le
président palestinien Yasser Arafat. Il se disait porteur d’une
missive de la plus grande importance, qui n’aurait su attendre…
Le président palestinien réserva à
cet hôte turc le meilleur accueil ; il connaissait l’importance
de la Turquie, en raison de son histoire et
de sa position stratégique, et aussi en tant que pays musulman,
héritier du Califat, dont le peuple nourrit en lui-même une
grande colère contre le complot sioniste. Les Turcs
d’aujourd’hui sont les petits-enfants du Sultan Abdül Hamid, qui
avait chassé la délégation du mouvement sioniste d’une réunion
importante dans son palais, après que celle-ci eût tenté de le
soudoyer, ainsi que ses ministres, afin qu’ils acceptassent la
création d’un Etat juif en Palestine.
L’hôte turc demanda à rencontrer
le président palestinien à huis-clos, en la présence de son seul
interprète. Arafat accepta immédiatement, et il demanda à un de
ses ministres (Farih Abû Madyân, ministre de
la Justice), d’être cet interprète, bien que
son anglais ne fût guère meilleur que celui – déplorable – de
son patron, car il voulait que l’Histoire eût un témoin.
M. Cem dit au président Arafat
qu’il lui apportait une proposition de création de l’Etat
palestinien indépendant, accompagnée d’aides financières très
généreuses et d’une reconnaissance internationale complète, tant
celle des Etats-Unis que celle des autres grandes puissances, de
la solution de tous les problèmes en suspens, dont ceux des
réfugiés, de Jérusalem et des colonies, à la condition qu’Arafat
acceptât qu’une petite synagogue fût édifiée dans la cour de la
mosquée Al-Aqçâ, quelle qu’en soit la nationalité, quel que soit
le drapeau qui y soit levé, l’important étant que cette
synagogue soit construite et qu’elle soit dénommé « Temple de
Salomon »…
Le président palestinien disparu,
célèbre pour son esprit de répartie et sa vision pénétrante en
ce qui concerne cette question, surprit son visiteur turc par un
large sourire et son accord total avec cette proposition, et le
ministre turc fut soulagé.
Il s’élança vers le président
Arafat pour l’embrasser, mais celui-ci lui dit alors que son
accord était, néanmoins, suspendu au consentement du peuple
turc : si celui-ci acceptait la proposition, celle-ci serait
immédiatement mise en application… Sinon…
Retournez donc en Turquie, auprès
de son le peuple, dit-il en s’adressant au ministre,
consultez-le sur cette question, après quoi, j’appliquerai sa
décision sur-le-champ !...
Les paroles du président Arafat
firent sur le ministre turc l’effet de la foudre. Il pâlit, puis
il se dirigea vers la sortie, suppliant le président Arafat
d’oublier tout ce qui avait été dit à ce propos et de ne plus
jamais évoquer cette proposition. Après quoi, il se fit amener à
l’aéroport, reprit son avion et rentra à Ankara.
Benjamin Netanyahu et son
gouvernement d’extrême-droite veulent construire cette
synagogue, sur les décombres de la mosquée Al-Aqçâ, dont ils
déstabilisent les fondations en faisant creuser des tunnels dans
son sous-sol. De temps à autre, ils envoient des juifs
extrémistes en envahir la cour, dans les espoir que les
Palestiniens finissent par voir, dans ces incursions, quelque
chose d’ordinaire, d’habituel – quelque chose qu’il finiraient
par accepter comme un fait accompli, exactement de la manière
dont ils ont imposé la banalisation des colonies, les
négociations vides de sens et la paix économique.
L’agenda de Netanyahu est
extrêmement clair : a) l’expansion et la colonisation de
peuplement, qu’il a réussi à imposer tant à l’Amérique qu’à
l’Autorité Autonome Palestinienne, qui a accepté de reprendre
les négociations avec lui ; b) l’imposition de la reconnaissance
d’Israël en tant qu’Etat juif, ce en quoi il a réalisé une
percée magistrale en réussissant à amener le président Barack
Obama à l’admettre, comme l’a montré son discours devant
l’Assemblée Générale de l’Onu ; c) la judaïsation de Jérusalem
et l’édification du prétendu temple. Il a d’ores et déjà réalisé
le premier volet en étouffant la ville de Jérusalem par des
blocs de colonies et en détruisant les maisons des Palestiniens,
faisant des juifs une majorité absolue de sa population. Et le
voici qui s’atèle à la réalisation de la deuxième phase, à
savoir la construction de sa satanée synagogue et la destruction
de la mosquée Al-Aqçâ.
Il faut que, dès aujourd’hui, se
mette en branle une intense action arabe et musulmane pour venir
en renfort aux veilleurs qui s’opposent à ce projet insidieux,
et les peuples arabes doivent envoyer un clair message de
soutien au monde entier, qui reflète sa mobilisation en vue de
défendre ses lieux saints. Sinon, nous devons nous attendre à
subir la perte de la première des deux Qiblas et du troisième
des Lieux saints, exactement de la même façon dont nous avons
perdu la Palestine, la mosquée d’Abraham à
Hébron et nos deux dignités, l’arabe et l’islamique.
Nous disons aux peuples du monde
que nous en avons assez de ces régimes corrompus dont il est
désormais avéré que la plupart d’entre eux ne sont pas autre
chose que des agents à la solde d’Israël ; nous en avons assez
de leur soumission totale aux diktats israéliens et américains,
ainsi que de l’absence de toute dignité et de toute énergie chez
la plupart de leurs responsables, du haut en bas de la pyramide
des responsabilités. Eux, ils ne veulent à aucun prix connaître
le sort de feu le président Arafat ; ils n’aspirent pas au
martyre, comme lui, il y aspirait, et comme y aspiraient aussi
sept mille Palestiniens morts en martyrs depuis l’éclatement de
la première Intifada.
Le complot du silence auquel
participent ces responsables arabes est non moins criminel, pour
Jérusalem occupé, que ce que font les juifs extrémistes et
l’armée israélienne, qui les soutient, en agressant les fidèles
palestiniens musulmans et en envahissant l’esplanade des
mosquées.
Si nous ignorions la triste et
honteuse réalité du monde politique arabe actuel, nous dirions
que le spectacle de la profanation de la mosquée Al-Aqçâ mérite
de la part des autorités égyptiennes davantage que la
« publication de directives à l’intention des Affaires
étrangères et des instances concernées, les incitant à
intervenir sans délai afin d’apaiser la situation à la mosquée
al-Aqçâ, comme nous l’ont annoncé, hier, les journaux égyptiens.
Nous nous attendions à entendre et
à voir une position forte provenir du sommet syro-saoudien qui a
achevé ses travaux hier, un sommet que le ministre saoudien de
l’Information a qualifié d’historique. Mais il semble que le
Serviteur des Deux Nobles Mosquées soit trop occupé à former le
futur gouvernement libanais pour pouvoir perdre son temps avec
Jérusalem occupée…
Il n’est jusqu’au souverain
jordanien, pourtant gardien officiel du Dôme du Rocher, dont le
père s’était chargé de restaurer la célèbre coupole dorée à ses
propres frais, dont la réaction ne se soit limitée à demander à
son ministre des Affaires étrangères de convoqué le chargé
d’affaires israélien à Amman afin de lui remettre une « ferme
protestation officielle ».
Quant au président du Comité Al-Quds,
le souverain marocain Muhammad VI, nous ne l’avons pas entendu,
jusqu’à présent.
Nous ne demandons pas une
intervention militaire, car c’est là un honneur que nous ne
risquons plus de nous payer, mais nous réclamons des mesures
pratiques, telles que la fermeture des ambassades israéliennes
(dans les capitales des pays arabes et des pays musulmans) et
une intervention énergique auprès de l’allié américain, dont
nous avons fait toutes les guerres, en Afghanistan et en Irak.
Serait-ce là en faire trop, pour
Jérusalem, pour sa mosquée Al-Aqçâ et pour sa Coupole du
Rocher ?
Force nous est bien de
reconnaître, à notre corps défendant et la mort dans l’âme, que
la synagogue dont il est question sera sans doute construite
bientôt, plus tôt que nous ne pouvons l’imaginer, dans la cour
de la mosquée Al-Aqçâ ou sur ses décombres, dès lors que
perdurerait cette situation arabe qui nous fait honte.
Traduit de l’arabe par Marcel
Charbonnier