Al-Quds Al-Arabi
Le
géant égyptien se met en marche
Abd-ul-Bari Atwan
7
avril 2008
L’Egypte est comme l’éléphant : lourd dans son mouvement, patient dans son endurance, mais quand
il se met en marche, il ne s’arrête plus jusqu’à ce qu’il
détruise tout ce qui est sur son passage, notamment si son
estomac était vide et ses enfants sans nourriture.
La grève et les manifestations qui ont eu
lieu hier dans les villes égyptiennes, ne sont que le début, ou
le début de la fin de ce régime. Car ce qui compte, ce n’est
plus le succès de la grève ou son échec, mais que ce géant que
représente cette base populaire, commence à se rebeller contre
la faim, l’oppression et la corruption, et il élève sa voix en
protestant.
Une trentaine d’années de fausse paix et
de promesses mensongères, et d’implication humiliante dans les
projets de guerres étatsuniennes contre les Arabes et les
Musulmans, a conduit le brave et patient peuple égyptien vers la
faim et vers la mort dans les queues d’attente pour le pain,
alors que les autres peuples progressent, s’épanouissent, et se
transforment en tigres économiques.
Le président égyptien, Anwar As-Sadate a
promis aux Egyptiens d’avoir la prospérité dans les trois ans
suivants la signature de l’accord de paix. Trente ans plus tard,
la prospérité est au rendez-vous, mais pas pour le peuple, mais
pour un petit groupe de l’entourage du palais présidentiel. Un
groupe qui a sucé le sang des pauvres et des miséreux et qui les
a transformé en des instruments pour servir sa cupidité et son
pillage des ressources du pays.
Il y a trente ans, les Egyptiens faisaient
rarement la queue pour se procurer des poulets des coopératives
d’achat. Et en 1977, dans l’intifada du pain, ils ont scandé
contre le prix du kilogramme de viande à une livre égyptienne.
Maintenant, les pauvres, et c’est la grande majorité, ne
trouvent même pas une galette de pain.
Je vivais en Egypte, où j’étais étudiant
dans l’une de ses universités, en fin des années soixante et début
des années soixante-dix et durant la guerre d’usure (entre
1968 et 1970, Ndt), avant que le pays ne vire vers l’Ouest
et ne se soumette au Fonds Monétaire International. Et je peux
affirmer que les coopératives étaient plaines de toute sorte de
nourriture, et que les enfants de l’Egypte portaient des vêtements
en laine et en coton, ainsi que des chaussures égyptiennes
d’excellente qualité, à commencer par le président de la république
jusqu’au plus petit fonctionnaire dans l’état.
Les vêtements et les produits de luxe étaient
vendus dans une petite rue nommée « Ash-Shawaribi »
qui était majoritairement fréquentée par les étrangers et peu
d’Egyptiens.
Ce qui est remarquable, c’est que le
kilogramme de viande se vendait à sa saison pour moins de 45
‘qirsh’ (un centième de livre égyptienne, Ndt), ç.à.d.
moins que la moitié du prix officiel fixé par le gouvernement,
à cause de l’abondance du produit et le soutien de l’état
aux pauvres misérables. Mais aujourd’hui, le prix a atteint 45
livres égyptiennes.
La grande et majestueuse Egypte a été
vendue au nom de la privatisation, aux Etats-Unis et Israël pour
un vil prix qu’a touché un groupe de l’entourage du président
Moubarak, ses deux fils et l’élite au pouvoir. Et depuis, ce
groupe n’a que le souci de réaliser plus de profit et
d’empocher plus de milliards. Entre eux, les gens de ce groupe
ne parlent que des langues étrangères et snobent le dialecte égyptien
aimé par trois cents millions d’Arabes, en le considérant
comme la langue du sous-développement et pour se montrer différent
de l’écrasante majorité des gens braves et endurants de
l’Egypte.
J’ai été choqué quand un jour j’ai
entendu une dame égyptienne de la classe des chats gras, que
j’ai rencontrée un peu par hasard, dire qu’elle refusait
d’utiliser la livre égyptienne car c’était en dessous de son
niveau, qu’elle préférait utiliser le dollar ou bien les
cartes de crédit occidentales, et qu’elle voyageait toujours
sur les compagnies aériennes étrangères pour qu’elle n’ait
pas affaire à la classe inférieure de son peuple.
Ceux là sont les fruits de la culture de la
paix et de l’inclinaison devant les Etats-Unis, et le fait de
rejoindre les rangs des modérés et de nanifier le rôle de
l’Egypte, d’un état pionnier à un état suiveur qui se
soumet aux dictats de Condoleezza Rice et qui n’ose pas
discuter.
Les Etats-Unis sont le plus grand producteur
et exportateur du blé dans le monde, alors pourquoi ils ne
s’empressent pas pour secourir leur allié, le président Hosni
Moubarak qui les a aidés dans toutes leurs guerres en Irak et en
Afghanistan, et peut être contre l’Iran et la Syrie dans
l’avenir, et qui est devenu son agent pour la paix et la
normalisation dans la région ?
La réponse est simple, c’est que le problème
n’est pas dans les Etats-Unis mais bien dans le régime égyptien
lui-même, qui ne sait pas comment gérer ses alliances pour les
utiliser dans l’intérêt de son peuple et de ses générations
futures. Car le seul souci de ce régime est de rester au pouvoir
quelque soit le prix, tout en augmentant les dépôts de son
entourage dans les banques étrangères.
Trente ans de mensonges et de tricheries, de
publication de statistiques falsifiées sur les taux de la
croissance économique et sur l’augmentation des réserves
nationales en devises étrangères, et de promesses de prospérité
et d’augmentation du pouvoir d’achat, pour qu’enfin le
peuple égyptien se retrouve à faire les queues pour le pain
durant plus de huit heures par jour, et que, jusqu’à
maintenant, onze personnes sont devenues les martyrs de ces
queues.
L’Egypte est maintenant sans économie,
sans politique et sans direction, comme une planche de bois
flottante sur un fleuve impétueux et qui ne sait pas où, quand
et comment elle va s’arrêter, une planche sans gouvernail et
dont le capitaine a fui ses responsabilités vers son monde privé
dans sa résidence de vacances à Charm Al-Cheikh, loin des problèmes
et ce tout ce qui dérange.
Les tragédies de l’Egypte aujourd’hui
sont nombreuses, mais la plus importante est cette élite
corrompue sans conscience parmi les professionnels des médias et
les écrivains, dont le métier est de falsifier les vérités,
d’anesthésier les citoyens avec des promesses mensongères de
prospérité et de stabilité, et de soutenir une politique qui a
conduit le pays et les gens vers la falaise.
Nous ne généralisons pas, mais nous pensons
particulièrement à ce groupe qui domine les médias étatiques
d’influence, car ceux là ont trahi leur conscience nationale et
professionnelle en cachant la corruption, et ils en font désormais
partie.
Le peuple égyptien commence à se rebeller,
à rompre le cercle de silence, et à faire entendre sa voix haut
et fort en demandant un changement radical, et il arrivera
certainement à ses objectifs. C’est comme ça que nous apprend
les expériences honorables que ce peuple a traversées pendant
huit milles ans de civilisation et d’innovation. Et dans son rébellion
de trouve le début de la fin pour cette nation de cet état
d’humiliation qu’elle subit. Car depuis que l’Egypte est
sortie du rang arabe avec les accords de Camp David et sa
situation ne cesse de dégringoler. Et il se peut que ce qui est
arrivé hier, soit le début de la sortie de l’Egypte et de tous
les Arabes de ce tunnel obscur.
Les forces de sécurité ont peut-être réussi
cette fois-ci d’écraser les manifestants et de terroriser le
peuple, en affichant sa force et en faisant descendre des dizaines
de milliers de ses membres dans les rues et les grands carrefours.
Mais la question reste ouverte concernant la prochaine étape, et
concernant les plans du gouvernement pour remédier à la crise
croissante de faim et pour satisfaire les besoins essentiels pour
environ quatre-vingt millions égyptiens.
http://www.alquds.co.uk/index.asp?fname=2008\04\04-08\06z40.htm&storytitle=ff%
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