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Irak, la revanche de l'histoire
De l'occupation étrangère à Da’ech
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Vendredi 13 mars 2015
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# IRAK, LA REVANCHE DE L’HISTOIRE.
DE L’OCCUPATION ÉTRANGÈRE À L’ÉTAT
ISLAMIQUE
Editeur: Vendiamiaire
Auteur:
Myriam Benraad
L’État islamique, ou Da‘ech, apparaît
aujourd’hui, dans les médias et les
représentations politiques, comme
l’adversaire absolu de l’Occident, celui
qui multiplie attentats et actes de
barbarie, qui met le Moyen-Orient à feu
et à sang et qu’il faut combattre à tout
prix. À l’origine de cet état de guerre
perpétuelle et de ce chaos dans lequel
ont sombré les populations civiles, il y
a, bien entendu, l’intervention
américaine du printemps 2003, qui fit
des sunnites, accusés d’avoir soutenu le
régime de Saddam Hussein, des parias
dans le jeu politique irakien, et qui a
laissé derrière elle un champ de ruines.
Mais il y a aussi avant, et c’est tout
l’intérêt de cet ouvrage que de le
démontrer, le partage du Moyen-Orient
par les puissances coloniales
britannique et française à la suite de
la Première Guerre mondiale et du
démembrement de l’Empire ottoman : c’est
alors que furent créées ex nihilo des
frontières qui convenaient aux autorités
mandataires mais ne recouvraient aucune
réalité historique. Une fois ce constat
dressé, et les responsabilités de chacun
établies, on comprend mieux les enjeux
de l’effroyable désastre qui a frappé la
région, et dont aucune analyse, privée
de cette perspective de fond, ne
permettrait de rendre compte.
LA DESINTEGRATION DE L’ETAT BA’ATHISTE
IRAKIEN
Il y a aussi le clivage religieux sur
lequel les USA (et surtout leur
proconsul Zalmay Khalilzad, qui a défini
la politique US dans la région) ont joué
bien imprudemment.
« La question du sunnisme en Irak relève
d’un double paradoxe. D’une part, les
sunnites ont longuement incarné le
pouvoir irakien tout en étant inférieurs
en nombre par rapport aux Kurdes au nord
et aux chiites au sud du pays. D’autre
part, cet état minoritaire des sunnites
contraste avec leur statut majoritaire
dans tout le monde arabe », dit
l’éditeur. Myriam Benraad à Paris,
revient sur ce particularisme sunnite,
de la proclamation de l’Etat irakien, le
23 août 1921, à l’émergence de l’Etat
islamique en Irak et en Syrie.
« La démonstration de la jeune
spécialiste de l’Irak est riche
d’enseignements, notamment quand elle
aborde l’incapacité des Irakiens à
constituer un Etat-nation homogène et
l’absence de solidarité chez les
sunnites », commente l’éditeur. C’est à
notre sens la faiblesse du livre, dans
les pages consacrées à l’Irak ba’athiste,
dont elle mésestime considérablement la
capacité à construire l’Etat irakien.
Précisément c’est la destruction de cet
Etat, bâti par le Parti Ba’ath, « un
Gaullisme arabe » écrivait au début des
années 80 un analyste français (avant la
diabolisation de Saddam Hussein par les
occidentaux), et des structures
transversales du Parti lui-même qui a
causé la désintégration de l’Etat
irakien. Le parti-pris anti-baathiste de
l’auteur lui dissimule que bien loin
d’avoir « divisé la nation » et d’avoir
développé « un parti-pris nationaliste
et islamiste », la période du Ba’ath est
la seule où se construit un Etat en
Irak.
(LM)
L’AUTEUR:
Myriam Benraad est docteur en science
politique de l’Institut d’études
politiques de Paris, spécialiste de
l’Irak et du monde arabe. Elle est
chercheuse associée au Centre d’études
et de recherches internationales
(CERI-Sciences Po) et à l’Institut de
recherches et d’études sur le monde
arabe et musulman (IREMAM-CNRS).
# LA CRITIQUE PERTINENTE DU SITE CLIO :
Extraits :
« Spécialiste de l’Irak et docteur en
sciences politiques de l’IEP de Paris,
Myriam Benraad publie chez nos amis des
éditions Vendémiaire un ouvrage majeur
qui correspond parfaitement aux besoins
que peut avoir un large public de
comprendre ce qui se passe aujourd’hui
entre l’Irak et la Syrie avec la
constitution de cette entité politique
que l’on appelle « État islamique » et
qui se caractérise par la barbarie et la
cruauté de ses actions.
La démarche de l’auteur s’inscrit dans
une analyse historique dans la durée,
dès la naissance de l’Irak, et
accessoirement de la Syrie, sur les
décombres de l’effondrement de l’empire
ottoman, avec le partage des territoires
« sous mandat de la société des nations
», mandats confié à la Grande-Bretagne
et à la France. Au passage, la promesse
d’un Kurdistan n’est pas tenue, ce qui
intervient encore une fois dans les
paramètres explicatifs du conflit
actuel. La division de la partie arabe
de l’empire ottoman a été délibérément
conçue par les occidentaux qui ont
conçu, on pourrait dire inventé un
territoire irakien ainsi d’ailleurs
qu’une monarchie à laquelle une
indépendance formelle est consentie en
1932, autour des sunnites, sans tenir
compte du peuplement kurde au nord du
pays et chiite au sud. C’est dans cet
Irak que se développe le nationalisme
arabe à partir du parti Baas, même s’il
faut tenir compte, et c’est une
originalité dans le monde arabe, de
l’existence d’un courant communiste,
partie prenante du coup d’état des
officiers libres du 14 juillet 1958 avec
le général Kassem (…)
La coalition nationaliste qui a mis à
bas la monarchie éclate sous le poids
des dissensions internes et le parti
Baas tente un premier coup d’état auquel
participe d’ailleurs le jeune Saddam
Hussein. En février 1963, le général
Kassem est renversé par le général
Hassan Al Bakr, lui-même éclipsé par le
colonel Aref. Le parti Baas réussit le
17 juillet 1968 un nouveau coup d’état
marqué par le retour du général Bakr
avec Saddam Hussein comme second. »
« Le temps des apprentis sorciers. La
seconde guerre contre l’Irak est le
résultat de la volonté des États-Unis
d’imposer leur suprématie au
Moyen-Orient, dans ce qui a pu
apparaître comme une sorte de Wilsonisme
botté, permettant également de défendre
les intérêts pétroliers d’une bonne
partie de l’administration républicaine
de Washington avec George Bush junior
(…)
les sunnites, et Myriam Benraad a raison
de le préciser, n’ont jamais formé une
communauté homogène. Pas plus d’ailleurs
que les chiites. Les clivages ne sont
pas seulement religieux mais également
tribaux et ce sont souvent ces derniers
qui se retrouvent dans les ralliements
aux différentes insurrections, y compris
celles de l’actuel État islamique. Les
néoconservateurs et les nationalistes
américains se saisissent de
l’environnement créé par les attentats
du 11 septembre 2000 pour accréditer
leur vision du Moyen-Orient. Les
sunnites sont identifiées au régime de
Bagdad tandis que les kurde et les
chiites sont décrits comme une minorité
opprimée, celle à partir de laquelle il
sera possible de construire un Irak
démocratique. La lecture confessionnelle
de l’Irak des idéologues de la
Maison-Blanche aboutit à confier les
rênes de l’Irak à cette population et à
ses représentants. Les chiites irakiens
peuvent apparaître, en raison de leur
religiosité modérée, comme un atout pour
contester le leadership iranien sur
l’islam chiite. L’intervention militaire
des États-Unis, sans mandat de l’ONU, se
déroule en moins de trois semaines du 20
mars 2000 3 au 9 avril. Avec une vision
extrêmement schématique, les États-Unis
imposent une « débaasification » du pays
qui rappelle les schémas de la
dénazification mise en œuvre en 1945
après l’effondrement du troisième Reich.
En réalité ce qui est mis en œuvre
relève de la purge aveugle … »
« La confessionnalisation du conflit.
Les forces d’occupation sont incapables
de se substituer aux Irakiens pour
maintenir la sécurité, ce qui entraîne
un profond mécontentement, surtout que
les nouveaux dirigeants montrent très
vite les limites de leurs compétences, y
compris en matière d’extraction
pétrolière, les personnels sunnites
ayant été chassés par les nouveaux
dirigeants chiites. Les nationalistes
laïques qui avaient fui l’Irak pendant
le règne de Saddam Hussein et qui
cherchent à revenir au pays apparaissent
comme des corps étrangers qui n’ont pas
connu les souffrances des Irakiens,
tandis que le parti islamique irakien
issu de la mouvance des Frères musulmans
renforce sa représentativité chez les
sunnites d’Irak. La confessionnalisation
du conflit renforce évidemment les
différentes fractions religieuses, comme
le comité des oulémas sunnites.
Pourtant, les premiers formes de
résistance armée à l’avancée des
Américains 2003 ne viennent pas les
sunnites mais des populations du Sud
chiite, plus particulièrement de
Bassora. Très rapidement, en raison de
la dégradation de la situation, et dès
avril 2003, une forme de résistance
armée s’organise, à partir de
gigantesques manifestations dans les
quartiers sunnites de Bagdad. Il
semblerait pourtant que l’organisation
du soulèvement des débuts de
l’occupation américaine ait pu être
organisée à partir de réseaux baasistes,
à partir de Tikrit, le fief de Saddam
Hussein. L’insurrection irakienne est en
réalité une véritable nébuleuse qui
s’oppose simultanément à la présence
étrangère et à l’occupation
confessionnelle de l’Irak par des
mouvements chiites liés à l’Iran. C’est
dans ce contexte que se situent les deux
batailles de Fallouja, qui constituent
d’ailleurs aujourd’hui la référence en
matière de combat urbain dans les écoles
militaires. C’est dans cette situation
que le dirigeant d’Al Qaïda en Irak, le
djihadiste jordanien Abou Moussad Al
Zarqaoui prend la tête de la lutte
armée. De la même façon, dans les
milieux chiites paupérisés de Bagdad et
du Sud, un mouvement contestataire
conduit par le dirigeant radical Moqtada
Al Sadr conteste l’occupation
américaine. Devant le risque
d’enlisement, les troupes américaines
essaient de mettre en place de nouvelles
institutions tandis que la seconde
bataille de Fallouja, qui s’achève le 23
décembre 2004 et qui a coûté plus d’une
centaine de morts aux américains, achève
de cristalliser l’opposition des
sunnites au gouvernement central de
Bagdad.
Dans un tel chaos, les mouvements se
radicalisent encore plus, le salafisme
se diffuse très largement tandis que les
tensions entre sunnites et chiites sont
exacerbées. C’est dans ce contexte que
l’on assiste à la montée en puissance
idéologique et opérationnelle d’Al Qaïda,
qui sanctionne une évolution décisive
tant dans la composition que dans
l’orientation du soulèvement sunnite. La
nouvelle génération de combattants est
plus jeune et plus radicale et se
réclame du salafisme, avec de très
nombreux candidats étrangers, venus des
régions voisines de l’Irak mais aussi du
Maghreb, de Tchétchénie, voire d’Europe.
La question des combattants étrangers
européens partis faire le djihad n’est
en effet pas une nouveauté, même si on a
pu le découvrir en France à partir de la
Syrie. »
« La destruction à Samara le 22 février
2006 de l’un des hauts lieux du chiisme
irakien ouvre la boîte de pandore de la
guerre interconfessionnelle. Face aux
attaques conduites par des groupes
djihadistes, des milices chiites se
constituent avec le soutien du
gouvernement et se comportent comme des
escadrons de la mort. Des déplacements
de population s’intensifient, et
concernent au bas mot 2 millions de
personnes, dont 600 000 vers la Jordanie
et 600 000 vers la Syrie. Pourtant, les
divisions dans le camp sunnite ne
tardent pas à se faire jour. L’armée
islamique s’oppose à la radicalisation
d’Al Qaïda, qui rejette le principe même
de la lutte nationale. C’est dans ce
contexte que Abou Omar al-Baghdadi, issu
d’Al Qaïda, constitue l’État
islamique. »
« Peu à peu, sur fond de banditisme et
de corruption, de contrebande
pétrolière, les islamistes les plus
radicaux se renforcent tandis que les
tribus sunnites qui étaient en partie
restées à l’écart des affrontements
cherchent à monnayer leur soutien au
régime de Bagdad. Les engagements non
tenus à leur égard expliquent comment
l’État islamique qui les avait d’abord
combattues finit par les rallier. Le
scrutin de mars 2010 se traduit par le
maintien au pouvoir du premier ministre
chiite Al Maliki qui au final confisque
la victoire électorale et finit de
décrédibiliser tout espoir démocratique
(…)
C’est donc dans ce contexte que l’État
islamique a pu engranger des succès,
s’emparer de Mossoul, parvenir jusqu’aux
frontières de la Turquie, et devenir un
pôle attractif pour toutes les formes de
djihadismes. Les jeux particuliers des
différents acteurs, pays du Golfe
obsédés par l’Iran chiite, opérateurs
plus ou moins occultes des marchés
pétroliers clandestins, et gouvernement
islamiste de Turquie inquiet face aux
Kurdes à cheval sur leurs frontières,
conduisent à cette situation
actuellement bloquée dans laquelle les
pays occidentaux ne peuvent pas
véritablement envisager autre chose que
des frappes aériennes pour essayer de
maintenir un équilibre relatif, même
s’il est loin de permettre une
hypothétique transition démocratique et
un retour à la paix et à la sécurité
dans la région. »
ISBN : 978-2-36358-053-5
288 pages
EODE / 2015 03 012 /
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