Témoignage
Yémen : Une voix dans le désert
Vanessa Beeley
Photo:
D.R.
Mardi 21 juillet 2015
Source :
https://thewallwillfall.wordpress.com/2015/07/11/yemen-une-voix-dans-le-desert/
“Le peuple yéménite
n’est pas un mauvais peuple, ce sont de
bonnes personnes. Ils veulent être
respectés, ils veulent que leur
souveraineté soit respectée. Nous ne
menons aucune guerre, une guerre a été
déclarée contre nous. Notre conflit
était interne et il aurait du être réglé
en interne”
Hanan al-Harazi, sa
mère et sa fille de 8 ans ont fui le
Yémen 10 jours après que les premières
bombes ont commencé à déchirer les
paysages de son pays bien-aimé. La fille
de Hanan avait commencé à présenter les
premiers signes du SSPT (Symptômes de
Stress Post-Traumatiques) et, pour sa
santé mentale, la famille a décidé de se
scinder en deux, laissant le mari de
Hanan au Yémen avec sa famille et ses
deux frères. Hanan nous apporte une
émouvante et puissante perception des
événements qui ont conduit à la
dévastation actuelle du Yémen aux mains
de leurs oppresseurs saoudiens et de
leurs alliés impérialistes.
Vanessa Beeley:
Quand avez-vous quitté le Yémen?
Hanan al-Harazi:
Je pense que nous étions encore au Yémen
environ 10 jours après le début des
bombardements, puis il y a eu une
attaque à la roquette sur notre
voisinage immédiat, très proche de
l’endroit où nous vivions. Après cela,
ma fille a développé une incontinence
urinaire et une peur soudaine de tout
bruit fort. Récemment, je l’ai cherché
pendant plus d’une heure pour finalement
la trouver cachée dans le placard parce
qu’elle avait entendu un avion voler
au-dessus du quartier. Il faudra des
décennies pour effacer ce traumatisme de
sa mémoire. Je ne peux même pas imaginer
ce que les autres enfants encore au
Yémen ont traversé après presque 103
jours de raids aériens continus. C’est
dévastateur.
Vanessa:
Quel âge a votre fille?
Par Reham,
8 ans.
Hanan: Elle
aura 9 ans en Août. J’ai l’habitude de
travailler dans une école donc je sais
que les enfants ne sont pas capables de
s’exprimer avec les mots comme le font
les adultes. Je lui ai donné un morceau
de papier et je lui ai dit d’écrire ses
sentiments. La première chose qu’elle a
écrite était ce qu’elle ressentait.
C’était un crève-cœur pour moi de lire
la douleur et la souffrance dans ces
mots de bébé. Quelques jours plus tard,
elle refait la même chose, tout ce
qu’elle peut dessiner ou peindre sont
des avions bombardant son pays, de
tristes images. Je sais que le soleil
représente quelque chose de vraiment
positif dans la vie d’un enfant mais
quand vous avez un enfant représentant
un soleil pleurant avec un visage
triste, il faut vraiment envoyer un
message puissant au monde.
Nous avons eu la
chance d’avoir des passeports étrangers
qui signifiaient que nous pouvions
quitter le Yémen. Personne ne délivre de
visas aux ressortissants yéménites, ce
qui signifie 23 millions de personnes
emprisonnées à l’intérieur d’un pays
bombardé sans pitié et sans distinction,
avec un mépris complet pour les vies
civiles.
Vanessa: Il
y a des rapports qui établissent que
plus de 80% de la population endure
aujourd’hui une crise humanitaire.
Est-ce un chiffre réaliste?
Hanan:
Absolument! Il se développe une crise
humanitaire catastrophique au Yémen. Ma
crainte est que si le blocus n’est pas
levé, nous allons assister à quelque
chose d’horrible à tout point de vue.
Vous parlez d’une population dont près
de 60% vivent en dessous du seuil de
pauvreté. Ils ne savent pas comment
assurer leur prochain repas et encore,
ça c’était quand leur monde était “ok”
et pas encore en état de guerre. Je dois
dire que les quelques personnes qui
avaient un emploi l’ont perdu et les
prix alimentaires ont flambé. La
Capitale a peut être de meilleures
installations que certaines régions
périphériques mais même là, l’eau est
maintenant contaminée et le coût de
l’eau en bouteille a triplé. Je ne sais
pas comment les gens font face.
La nourriture est
toujours disponible dans les marchés
mais les approvisionnements se font
rares. Lorsque ces fournitures vont
manquer, le Yémen va mourir de faim.
Nous produisons très peu de nourriture
au sein même du Yémen, la majorité des
produits alimentaires est importée alors
la circulation des marchandises est
essentielle à notre survie. Le blocus
fera en sorte que nous ne pourrons pas
survivre. Il y a eu un petit flux d’aide
par l’intermédiaire de certains groupes
d’aides et des ONG mais il n’atteint les
zones les plus durement touchées comme
Aden, laissant des pans entiers du pays
sans nourriture, sans eau ou
installations médicales. Les effets
cumulatifs seront épouvantables et la
crise humanitaire va être dévastatrice.
Vanessa: Je
suppose que l’Arabie Saoudite [comme l’a
fait Israël dans la bande de Gaza] vise
les infrastructures du Yémen afin de
détruire la capacité civile de survivre
à cet assaut.
Hanan: Oui
absolument. Si vous regardez vers un
passé récent, lors des événements de
Amran et de Lahj, ils ont ciblé les
marchés alimentaires et les marchés de
bétail. Preuve supplémentaire de la
détermination de la coalition à affamer
le peuple du Yémen. Le bétail constitue
une partie de notre production nationale
minimale donc c’est une destruction
délibérée de la capacité civile à
survivre. Le film qui va sortir montre
qu’ils ciblent des zones civiles, des
écoles ont été touchées, des stades, des
installations sportives, et ainsi de
suite. Ils ont tout bombardé. Ils disent
qu’ils ne ciblent que les centres
militaires. Peut-être qu’au début, cela
était vrai. Mais au cours des dernières
semaines, nous avons vu des
bombardements beaucoup plus aléatoires
et intenses de sites civils.
Le mouvement
Ansarullah est assez représentatif du
tissu yéménite, de la société yéménite.
Il ne porte pas de marques ou d’insignes
pour se distinguer de la population
locale, donc c’est au-delà du ridicule
de dire qu’ils frappent seulement des
cibles de Ansarullah dans une ville
comme Sanaa, qui a une population de 3
millions de personnes. Le nombre de
victimes civiles est beaucoup plus élevé
que si les frappes atteignaient
seulement les agents Ansarullah.
Vanessa: À
votre avis existe-t-il une alternative
pour résister à cette attaque du Yémen?
Y a-t-il une option de reddition, de
négociation?
Hanan:
Ecoutez, je vais parler pour moi et pour
beaucoup de gens au Yémen. La question
de la souveraineté du Yémen a toujours
été de la plus haute importance dans les
esprits yéménites et cela a conduit à la
révolution de 2011 pour se débarrasser
de notre vieux dictateur Ali Abdallah
Saleh, parce que nous savions qu’il
était en grande partie une marionnette
saoudienne. Il promouvait l’agenda de
l’Arabie Saoudite au Yémen en lui
donnant la priorité sur les intérêts du
pays. Pendant ce temps, de nombreuses
personnes ont perdu leurs moyens de
subsistance ou leur vie et la plupart
des grandes villes ont été touchées par
la révolte, ont sombré dans un
immobilisme pendant un certain temps.
Nous n’en sommes
pas arrivés jusqu’ici pour voir un autre
gouvernement fantoche saoudien en place
au Yémen. Si cela continue, nous
n’aurons plus d’identité. Le peuple
yéménite n’est pas un mauvais peuple, ce
sont de bonnes personnes. Ils veulent
être respectés, ils veulent que leur
souveraineté soit respectée. Nous ne
menons aucune guerre, une guerre a été
déclarée contre nous. Notre conflit
était interne et il aurait du être réglé
en interne.
Jamal Benomar,
l’ancien émissaire de l’ONU pour la paix
au Yémen a effectivement dit très
ouvertement que les factions
belligérantes étaient parvenues à un
accord avant que la première bombe ne
soit tombée. “Lorsque cette campagne a
commencé, une chose qui est importante
mais passée inaperçue est que les
Yéménites étaient proches d’un accord
qui pourrait instituer un partage du
pouvoir avec toutes les parties, y
compris les Houthis”, a déclaré le
diplomate marocain, M. Benomar. Ainsi,
il devient évident que nos aspirations
sont sacrifiées sur l’autel de la
cupidité et de l’ambition impérialiste.
Vanessa:
Nous constatons cela dans toute la
région, ces tentatives internes de
réconciliation et d’entente, entravées
par l’agenda impérialiste et leur
propagande sectaire. De ce que vous
dites, cela se passe aussi au Yémen?
Hanan: Je
peux l’affirmer catégoriquement, il n’y
a pas de conflit sectaire au Yémen. Ils
ont tenté de déclencher une guerre
sectaire au Yémen mais le Yémen est un
pays où nous avions des sunnites
shafi’ites et des chiites zaydites
priant dans les mêmes mosquées pendant
des centaines d’années. Nous sommes une
société connue pour ses mariages entre
ces deux cultes. En réalité, ils ont
provoqué cette guerre territoriale
lorsqu’ils ont décidé de diviser le
Yémen dans un système de six états
fédéraux. Nous sommes fatigués de les
voir nous imposer leur programme et nous
obliger à le mettre en œuvre.
J’ai vécu au Yémen pendant les 21
dernières années et je ne savais pas si
mon voisin était un sunnite shafi’ite ou
un chiite zaydite. Cela ne faisait pas
partie de notre culture, nous ne nous le
demandions jamais. Nous coexistions
pacifiquement. Ce programme de
balkanisation a été le début de
l’ensemble du problème. Leur division a
été entièrement mauvaise. Ils ont laissé
certaines zones totalement isolées.
Le mouvement Ansarullah et le mouvement
séparatiste du Sud étaient tous les deux
en faveur d’un système d’état confédéral
où le Yémen serait divisé en un Nord et
un Sud existant dans un état fédéral. La
plupart d’entre nous étaient d’accord
avec ça.
Le Président Hadi
[bien que je déteste l’appeler notre
Président] a appuyé le programme
saoudien du système à six états. Une
autre chose que beaucoup de gens ne
réalisent pas est que, quand ils ont
divisé le pays avec le système à 6 état,
ils ont délibérément isolé un état
appelé Azal. Azal incorporait un grand
nombre des bastions zaydites, Saada,
Amran, Dhamar et Sanaa. Azal a été
laissé sans ressources et sans aucun
accès à la mer. C’était de façon
flagrante de l’emprisonnement et de la
répression sur ce que nous appellerions
les «puissances traditionnels» dans
cette zone. C’était une tentative
délibérée d’affaiblir leur influence au
Yémen.
Donc, le plan de
Hadi aurait divisé le Yémen dans des
états plus petits, plus sectaires tandis
que le plan de Ansarullah était plus
comme un retour aux frontières avant
l’unité où le Sud aurait eu une plus
grande autonomie sur ses propres
affaires internes.
Vanessa: De
quelle importance est la menace
«extrémiste» au Yémen?
Hanan:
Laissez-moi vous donner un exemple. La
zone d’al-Jauf est composée de deux
populations sunnites et chiites et c’est
ainsi dans la zone de Marib et ailleurs.
Les chiites zaydites et les sunnites
shafi’ites sont deux cultes très
modérés. Le peuple yéménite n’a aucune
affiliation à la secte wahhabite
d’Arabie Saoudite. Le wahhabisme est
étranger au Yémen.
Nous voyons
certaines zones dans le Sud, comme
l’Hadramaout qui a été médiatisé ces
derniers temps, dont certaines parties
sont totalement sous le contrôle
d’Al-Qaïda. Le plus drôle est que les
bombes tombent exactement sur les
personnes qui combattent ces
extrémistes. Pas une seule bombe n’a été
larguée sur les bastions extrémistes.
Même s’ils savent que Al-Qaïda a le
total contrôle d’al-Mukalla dans
l’Hadramaout et du port maritime dans
cette zone. Cela devrait poser un grand
point d’interrogation sur leur véritable
programme dans la région.
Les bombardements
n’ont abouti qu’à une seule chose, qui
est de renforcer davantage ces groupes
extrémistes au Yémen. Je sais que dans
les zones contrôlées par Ansarullah nous
avons des comités populaires locaux en
charge de la sécurité et ils ont
travaillé sans relâche pour veiller à ce
que les éléments extrémistes soient
tenus à distance. Sur le champ de
bataille leur progression a été
immensément entravée à cause des frappes
aériennes qui servent de couverture pour
les extrémistes qui avancent.
Je ne sais pas s’il
y a des combattants étrangers à l’heure
actuelle. Je sais qu’il y a quelques
saoudiens mais je ne suis pas au courant
d’étrangers en provenance d’Afghanistan
ou de Tchétchénie par exemple. Si les
choses s’aggravent je crois que nous
allons voir beaucoup plus de ces
extrémistes entrer au Yémen via nos
frontières, oui. En ce moment, les
frontières du Nord sont sécurisées, à
l’exception de Marib où il y a de
violents combats en cours.
Vanessa:
Quel soutien recevez-vous de l’Iran?
Hanan: Je ne
crois pas que l’Iran joue un rôle actif.
Ils soutiennent le Yémen dans une
perspective médiatique uniquement. Je
crois que “le soutien” de l’Iran est un
stratagème de propagande pour justifier
de frapper le Yémen. Cette guerre a été
planifiée il y a longtemps, avant même
que Ansarullah ne se déplace vers la
capitale. Cela devient très suspect
quand vous voyez un Président au pouvoir
avec un groupe minoritaire quitter sa
forteresse dans la pointe Nord du Yémen
pour descendre vers la capitale, Sanaa,
dans le centre du pays. Les villes du
Nord tombent l’une après l’autre devant
eux et le Président ne dit rien.
Ensuite, tandis qu’ils parviennent à un
accord qui était de l’Initiative du
Partenariat pour la Paix, Hadi décide
soudainement qu’il ne veut pas que
Ansarullah ait une représentation, même
marginale, au sein du gouvernement. Cela
n’allait de toute évidence jamais être
accepté, Ansarullah est une force de
terrain qui devrait être considérée
comme faisant partie de la coalition.
Voilà d’où le conflit est originaire et
quelle est la raison pour laquelle ils
ont placé Hadi en résidence surveillée
parce qu’il suivait les instructions
saoudiennes. L’Arabie Saoudite était
contre l’inclusion de Ansarullah dans le
gouvernement du Yémen. C’est alors que
Hadi a fui vers le Sud.
Mon point de vue
personnel est que le plan a toujours été
de faire fuir Hadi vers le Sud et de
demander aux saoudiens de l’aide,
laquelle a justifié leur bombardement du
Nord du Yémen qui a toujours été le
bastion zaydite et une épine dans leur
pied. Ansarullah et l’armée ont
découvert ce plan et ont bougé très
rapidement vers le Sud et donc vous
voyez ces bombardements se répandre dans
toutes les zones, pas seulement dans le
Nord.
Comme point final à
l’analyse du rôle de l’Iran au Yémen; le
Yémen est un Etat souverain et nous
sommes libres d’avoir des liens
bilatéraux avec qui que ce soit que nous
choisissons. L’Arabie Saoudite voyait
comme un problème le fait que le Yémen
ouvrait environ douze vols par semaine
vers l’Iran pour des raisons
essentiellement bilatérales parce que le
reste du monde s’était coupé du Yémen.
Nous avons été sous l’influence de
l’Arabie Saoudite sur, au moins, les 30
dernières années. Beaucoup diront que
c’est beaucoup plus en raison de
l’implication de l’Arabie Saoudite dans
l’assassinat du président Ibrahim Al
Hamdi qui fut probablement le meilleur
Président que le Yémen ait jamais eu.
Les plus grands
problèmes du Yémen sont de nature
économique. L’Arabie Saoudite n’a jamais
rien fait d’autre pour résoudre nos
problèmes économiques que de mettre nos
dirigeants sur leur tutelle salariale
afin de détruire efficacement le pays.
Il est presque impossible pour un
yéménite d’obtenir un visa pour voyager,
même aux Emirats Arabes Unis. Comment un
pays peut prospérer quand il y a tant de
restrictions sur ses habitants? Lorsque
Ansarullah est arrivé au pouvoir, nos
options ont été examinées et les
relations bilatérales avec l’Iran ont
été naturellement soumises à une
enquête.
Vanessa: Il
y a au Yémen un très fort sentiment
d’isolement. Rien que la nuit dernière
180 civils yéménites ont encore été
massacrés à Amran et Lahj et les médias
le mentionnent à peine. Est-ce la façon
dont vous le percevez?
Hanan: Oui.
Cela remonte à des décennies et des
décennies d’isolement. Permettez-moi de
poser cette question au monde. Le
gouvernement s’est effondré au Yémen en
Septembre 2014. Pouvez-vous imaginer un
pays qui a passé des mois et des mois
sans un gouvernement en place, sans une
force de police, sans armée, avec une
population qui porte des armes et vit
dans une pauvreté écrasante mais dont le
taux de criminalité est inférieur à
celui de pays de “premier plan” comme
l’Amérique. Pourquoi ces gens se
retrouvent isolés alors qu’ils ont cet
inestimable respect de la vie humaine?
Ils sont un exemple pour le monde.
Les informations
sortent au compte-gouttes via
l’internet, la chaîne Yémen-Today et la
chaîne de Ansarullah, al-Masirah. Cela
me fait mal que les gens semblent
ignorer largement notre souffrance,
surtout quand il est relativement facile
de se renseigner de nos jours. Par
exemple, le Yémen n’a pas eu de
couverture médiatique concernant les
armes internationalement interdites qui
sont utilisées contre nous. Je sais que
là où je travaille, la région a été
gravement endommagée. Il y a une zone
appelée Faj Attan, une zone civile
densément peuplée avec des centres
commerciaux, des milliers de maisons
résidentielles, des écoles. Comment
pouvez-vous utiliser ces armes de
destruction massive dans un secteur
comme celui-ci et être exemptés
d’enquête?
Vanessa:
Recevez vous de l’aide de la part du
Sultanat d’Oman?
Hanan: Oman
semble avoir pris une position neutre,
pour laquelle je suis reconnaissante. La
chose intéressante est que, environ un
mois avant le début des bombardements,
je lisais un rapport de l’Intérieur
d’Oman déclarant qu’ils se préparaient à
une crise de réfugiés. Ils parlaient de
la possibilité de mettre en place des
camps de réfugiés sur les frontières
entre le Yémen et Oman. Ainsi, lorsque
les premières bombes ont frappé à 01H30
alors que nous étions tous endormis,
j’ai tout de suite su que tout cela
avait été pré-planifié. Peut-être parce
que Oman fait parti du Conseil de
Coopération du Golfe [CCG] ils étaient
informés que quelque chose se préparait
contre le Yémen. Je sais que beaucoup de
gens se sont envolés vers Oman pour un
traitement, en particulier pendant les
attentats suicide contre des mosquées au
Yémen.
Vanessa:
Comment est l’Internet au Yémen? De
quelle quantité d’électricité ou
d’autres sources d’énergie alternatives
disposez vous?
Hanan: Les
gens sont en difficulté, il n’y a pas
d’énergie. Pouvez-vous imaginer un pays
au 21ème siècle sans aucune énergie du
tout? Beaucoup de gens ne se rendent pas
compte qu’une grande partie de l’eau
utilisée au Yémen est pompée à partir de
réservoirs souterrains, nous avons donc
besoin de carburant ou d’électricité
pour permettre ce processus de pompage
et nous ne disposons d’aucun des deux.
De ce que j’entends, l’électricité est
disponible peut-être 40 minutes par
semaine dans la capitale, Sanaa. Il y a
d’autres zones dans le pays qui n’ont
pas d’énergie du tout. Nous avons eu ces
problèmes de “black out” même avant la
guerre mais jamais à ce point. Oui,
certains ont des générateurs mais les
prix du carburant sur le marché noir
sont écrasants.
Vanessa:
Vous mentionnez des ADM (Armes de
Destruction Massive). Je sais qu’il y a
eu des rapports sur l’utilisation de
bombes nucléaires. L’information émanant
du Yémen est sommaire. Avez-vous plus
d’informations ou de preuves de cette
affirmation?
Hanan: Je
sais que 2 des bombes qui ont été
utilisées ont produit un nuage nucléaire
de “type” champignon. Évidemment, les
effets de toute radiation ne seront
constatés qu’après un certain temps.
Mais même s’ils
n’ont pas utilisé d’armes nucléaires…
celles qu’ils utilisent n’en restent pas
moins illégales et dévastatrices. Leur
utilisation de bombes à fragmentation
est bien documentée, certaines ont
échoué à exploser et ont été
photographiées sur le terrain. Ils ont
utilisé des bombes à neutrons qui
génèrent tellement de pression. Lorsque
mon quartier a été attaqué dans les 10
premiers jours, j’ai senti la pression
terrifiante d’une explosion pourtant
relativement éloignée. J’ai ressenti
dans mes oreilles la douleur des
projections de pression durant plusieurs
semaines.
Les Yéménites
menaient une vie normale avant d’être
soudainement jetés dans une zone de
guerre, c’est déconcertant pour tout le
monde. Mon mari a fait parti d’un réseau
de distribution de nourriture pour les
pauvres pendant le Ramadan. Il venait
juste de partir livrer certains produits
à quelqu’un dans le quartier. Deux
minutes après il y eut des roquettes
directement sur cette zone et ce pauvre
homme qui ne savait même pas que son
prochain repas arrivait, a été tué.
Combien d’autres personnes doivent
mourir stupidement pour servir un
programme impérialiste?
Vanessa:
Avez-vous une conception personnelle de
ce qu’est ce programme impérialiste?
Hanan: Je ne
pense pas qu’il est lié à l’Iran en
dépit de la propagande pour dire le
contraire. Je pense que nous payons cher
le fait d’essayer de nous libérer de
l’esclavage saoudien. Nous payons de
notre liberté de nos vies.
On m’a dit qu’il y
avait du pétrole et, plus important
encore, des réserves de gaz dans al-Jawf,
qui est une zone limitrophe de l’Arabie
Saoudite et protégée par eux depuis des
années. En 2011, lorsque les personnes
sont descendues dans les rues pour
réclamer une vie meilleure, le président
Saleh a été forcé d’admettre l’existence
de ces réserves au public pour la
première fois. Donc, nous sommes
maudits, nous sommes maudits parce que
nous avons du pétrole et du gaz. Chaque
pays qui a des ressources naturelles est
maudit et devient une cible
d’intervention impérialiste.
L’Arabie Saoudite a
favorisé la corruption au Yémen depuis
des décennies. Ansarullah était résolu à
mettre fin à cette influence toxique sur
nos dirigeants et cela aurait annulé la
puissance de l’Arabie Saoudite au Yémen.
Lorsque les premières bombes ont frappé,
les cheikhs tribaux et les politiciens
“vendus” ont été aperçus fuyant vers
l’Arabie Saoudite.
Vanessa:
Seriez-vous en mesure de vous attarder
simplement sur la situation à Aden? Et
également aborder la raison pour
laquelle le Yémen est si important pour
l’Arabie Saoudite.
Hanan: Aden
est dépeint par les médias pro-agression
comme étant une bataille pour la
légitimité de Hadi. En 2011, Hadi était
le seul choix viable pour combler la
vacance du pouvoir. Six millions
d’habitants du Nord ont voté pour lui
tandis que le Sud a en fait boycotté les
élections. Ce seul fait devrait contrer
les revendications prétendant qu’il a la
légitimité dans le Sud du Yémen.
A Aden ce qui se
passe maintenant est que Hadi a regagné
le Sud, mais il doit être clair que les
gens d’Aden et de la région environnante
ne sont pas pro Hadi, ils luttent aussi
pour leur indépendance et ne soutiennent
pas l’agression Saoudienne.
Si vous regardez
une carte du Moyen-Orient, l’Arabie
Saoudite est un pays enclavé. Son seul
moyen d’accès vers le monde extérieur se
fait via le détroit de Bab-el-Mandeb
dans le Sud du Yémen et le détroit
d’Ormuz, qui est contrôlé par l’Iran. Le
Yémen n’a jamais tenté de bloquer ou
d’entraver le mouvement à travers le
détroit de Mandeb contrôlé par les
yéménites. Pour être honnête, je ne
pense même pas que le Yémen contrôle
vraiment ce domaine, il est secrètement
sous le contrôle des nations
impérialistes. L’Arabie Saoudite connait
beaucoup d’agitations internes et écrase
brutalement sa propre opposition
interne. Nous ne tenterions jamais
d’intervenir dans les affaires internes
saoudiennes mais je crois qu’ils
craignent un Yémen fort. Avec notre
nouvelle constitution affirmant
clairement que les dirigeants ne peuvent
avoir que deux mandats au pouvoir, nous
serions la seule république dans le bloc
du CCG. Pour l’ Arabie Saoudite, qui est
un régime despotique, notre évolution
pourrait menacer la stabilité de leurs
familles régnantes.
Vanessa:
Quel est le message que vous souhaitez
transmettre au monde extérieur?
Hanan: Mon
espoir en ce moment, à part un miracle
de Dieu, est qu’il y ait plus de bonnes
personnes que de mauvaises dans ce monde
et je souhaite que nous puissions aller
vers elles et leur dire, aujourd’hui,
c’est moi, demain, ça sera vous.
Nous voulons juste
survivre, nous voulons vivre. Le Yémen
n’est pas le pays que l’on vous décrit.
Nous ne sommes pas des terroristes. Nous
sommes fiers de notre culture. Nous
sommes un peuple pacifique. Le Yémen est
l’un des pays les plus beaux et
diversifiés dans le monde. Nous sommes
dépeints comme des sauvages par des
médias qui soutiennent le saccage de
notre terre.
Je dois aussi dire
que je respecte Ansarullah pour leur
sagesse et leur retenue, surtout quand
nos mosquées ont été attaquées. Des
mosquées qui peuvent avoir été
construites par des zaydites mais qui
accueillent toutes les sectes pour leur
culte. Ansarullah a publié une
déclaration demandant aux gens de ne pas
se laisser entraîner dans la
conspiration étrangère pour enflammer
les divisions sectaires. Je pense qu’ils
représentent véritablement des millions
de yéménites qui luttent pour
l’autodétermination et la reconnaissance
en tant que nation souveraine.
Capituler n’est pas
une option alors que notre propre
processus de paix interne est compromis
par une agression extérieure. L’Arabie
Saoudite n’a pas réussi à envoyer des
troupes au sol et ils tentent de nous
bombarder jusqu’à la soumission. Ils
voient que cela ne réussira pas alors
ils ont maintenant imposé ce blocus
brutal, atroce, cruel, vicieux sur le
Yémen dans l’espoir que le peuple
yéménite se retourne contre ceux qui
combattent les envahisseurs saoudiens.
Je suis fière de la solidarité que les
gens de mon peuple ont montré les uns
envers les autres. Même dans une
situation comme celle-ci où ils ont si
peu de ressources, ils prennent toujours
soin de leurs voisins. Nous sommes des
êtres humains et nous avons le droit à
une vie décente.
Le Yémen est loin
d’être parfait, mais aucun pays dans ce
monde n’est parfait. Nous ne menons pas
cette guerre, nous n’avons pas déclaré
cette guerre. Sur les 40 premiers jours
de l’offensive saoudienne, le Yémen n’a
pas tiré une seule balle vers l’Arabie
Saoudite. C’est de l’hypocrisie crasse
de l’Arabie Saoudite de nous qualifier
d’agresseurs. Cela a toujours été le
contraire, l’Arabie Saoudite a toujours
envoyé ses éléments les plus vils dans
mon pays et essayé de répandre son
idéologie wahhabite dégoûtante. Que l’on
soit zaydite ou shafi’ite nous
n’adopterons jamais cette version
déformée, tordue et affreuse de l’Islam.
Hands off
Yemen
Je voudrais même
aller encore plus loin et dire que le
Yémen a le potentiel pour être un modèle
pour une véritable démocratie dans le
Moyen-Orient. Il y a 25 millions de
personnes qui appellent le Yémen, leur
maison. Nous demandons simplement à être
laissé en Paix. Est-ce trop demander?
Traduction: Rochelle
Cohen
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Yémen
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