Ecologie
Note de décryptage : Amazonie, quelle
politique commerciale et quelles
régulations des multinationales pour
s’attaquer aux racines du problème ?
AITEC, Attac France
Pour
afficher cette note de décryptage en
plein écran et la télécharger,
vous
pouvez cliquer sur ce lien.
Jeudi 5 septembre 2019 Face à l’émotion
internationale suscitée par les feux de
forêts en Amazonie et à l’indifférence
de Jair Bolsonaro, Emmanuel Macron a
annoncé, à la veille du G7 de Biarritz,
que la France ne soutenait plus l’accord
de commerce controversé entre l’Union
Européenne et le Mercosur. Que penser de
ce revirement ? Quelle est sa portée ?
Est-ce suffisant ? Que préconiser ?
Cette note de décryptage présente 7
recommandations qui dessinent les
contours d’une politique commerciale et
d’une régulation des multinationales
permettant de s’attaquer à certaines
racines du problème soulevé par la
déforestation et les feux en Amazonie.
Notre
appréciation de l’annonce d’Emmanuel
Macron
Bolsonaro ou pas,
feux de forêts en Amazonie ou pas,
l’accord UE-Mercosur est inacceptable.
Il prolongerait le processus de
libéralisation et de déréglementation
des marchés et fonctionnerait en
stimulant pour l’agrobusiness
aujourd’hui montré du doigt ; il
approfondira en outre une globalisation
économique qui fait de l’intérêt des
multinationales (ouverture des marchés,
protection de leurs intérêts) un
objectif supérieur à la protection de la
planète, aux droits sociaux et droits
des populations. Et c’est sans même
considérer les atteintes aux libertés,
aux droits et à la démocratie et le
démantèlement des politiques de
protection de l’environnement mené par
Jair Bolsonaro (mais aussi par Mauricio
Macri en Argentine et Mario Abdo Benitez
au Paraguay). Cet accord n’aurait jamais
dû être soutenu par Emmanuel Macron et
son gouvernement.
Le rejeter purement
et simplement ne devrait même pas faire
débat en France et en Europe. C’est le
message que 340 organisations de la
société civile internationale avaient
adressé aux décideurs politiques
européens en juin 2019.
C’est donc bien tard qu’Emmanuel Macron
a retiré son soutien à l’accord
UE-Mercosur. En effet l’inaction et les
exactions à l’encontre du climat et de
la biodiversité de son homologue
brésilien Jair Bolsonaro sont connues de
tous les observateurs depuis le
lendemain de son intronisation. Dès son
installation au Palais de l’Aurore, le
président a placé l’organisme
responsable de veiller sur les
territoires indigènes (Funai) sous
l’autorité du ministère de
l’agroalimentaire, qui représente les
intérêts des grands propriétaires
terriens. Il a également organisé la
suppression de plus de 35 conseils
nationaux de participation sociale et
désarmé à la fois l’Agence de protection
de l’environnement (Ibama) et l’Institut
national de recherche spatiale (INPE)
qui contrôle la déforestation. Le tout
en réduisant les budgets de ces
organismes, y compris en matière de
prévention et lutte contre les incendies
de forêts. La réforme du code forestier
assouplit également les conditions
d’appropriation légale de terres
illégalement accaparées.
Le “Non” d’Emmanuel
Macron n’est par ailleurs pas gravé dans
le marbre : la secrétaire d’État chargée
des Affaires européennes, Amélie de
Montchalin, a indiqué que le refus
français n’était pas définitif et qu’il
pourrait être levé si l’exécutif
brésilien changeait de politique.
Comment
expliquer cette volte-face ?
La négociation de
l’accord UE-Mercosur est achevée.
L’accord politique est même conclu et
son contenu a obtenu l’onction des 28
États-membres de l’UE en juin dernier, y
compris de la France. Emmanuel Macron se
félicitait alors d’un “bon accord”,
allant “dans la bonne direction”,
notamment par l’introduction de clauses
supposées contraindre le Brésil à
respecter ses engagements climatiques et
à reforester. Présenté comme un levier
“écologie contre commerce”, l’Elysée
prétendait même que l’accord UE-Mercosur
pourrait permettre de “replanter douze
millions d’hectares” de forêt en
Amazonie, alors que Jair Bolsonaro n’a
jamais caché qu’il allait encourager la
déforestation, et affaiblir les
réglementations en la matière.
Cette volte-face
d’Emmanuel Macron est avant tout, à ce
stade, une manoeuvre tactique habile,
davantage destinée à l’opinion publique
française que prometteuse de résultats
tangibles. Elle temporise face aux très
vives critiques et aux mobilisations du
monde agricole contre les accords
Mercosur et CETA, et ce sans donner
l’impression que le président français a
opéré un choix de politique intérieure.
En “débranchant” l’accord UE-Mercosur,
de manière symbolique dans un premier
temps, l’exécutif espère aussi apaiser
les divisions grandissantes au sein de
sa majorité parlementaire à ce sujet. On
peut supposer que, pour se préserver la
possibilité d’un vote favorable sur le
CETA au Sénat en octobre ou, au pire, en
seconde lecture à l’Assemblée nationale,
l’exécutif cherche à opérer une
distinction entre le “bon CETA” d’un
côté et le “mauvais Mercosur” de
l’autre. Dès lundi 26 août, la
secrétaire d’État rattachée au ministère
de la Transition écologique, Emmanuelle
Wargon, prétendait ainsi que “la
transition écologique est compatible
avec le libre-échange”, explicitant
l’objectif de l’exécutif : sauver le
principe même de la libéralisation des
marchés.
Portée de la
décision sur l’accord UE-Mercosur
Le texte de
l’accord UE-Mercosur, finalisé sur le
plan politique et dont une première
version est publiée par la Commission
européenne, est actuellement soumis à un
“processus de révision légale” et de
traduction. Ce n’est qu’une fois ce
processus achevé, sans doute au cours du
premier semestre 2020, qu’il sera soumis
au Conseil européen pour être approuvé
par les 28 (ou 27) et que la Commission
européenne obtiendra le mandat pour le
signer. C’est alors seulement
qu’Emmanuel Macron pourra, s’il
maintient sa position, faire valoir son
opposition à l’accord UE-Mercosur. Deux
cas de figure sont possibles :
Si l’accord UE-Mercosur est présenté par
la Commission européenne comme un accord
mixte, c’est-à-dire relevant à la fois
de la compétence de l’UE et de la
compétence des États, alors l’opposition
de la France vaudra veto.
Si la Commission
parvient à le présenter comme un accord
non-mixte, c’est-à-dire relevant
exclusivement de la seule compétence de
l’UE (ou alors si la Commission dissocie
la partie “commerce” de l’accord des
parties de coopération diplomatique, par
exemple), alors l’opposition de la
France ne suffira pas : c’est un vote à
la majorité qualifiée qui se tiendra
alors au Conseil et la France seule ne
constitue pas une minorité de blocage.
Si la Commission
semble à ce jour présenter l’accord
UE-Mercosur comme un accord mixte, il
reste de nombreuses incertitudes à lever
et la France serait bien avisée, si elle
est sérieuse dans son intention :
1) d’exiger une clarification immédiate
de la Commission européenne à ce sujet,
avant même que les États du Mercosur ne
s’empressent de ratifier le texte et
fassent ainsi pression sur les pays de
l’UE ; sans attendre, l’exécutif peut
également saisir la Cour de Justice de
l’UE pour obtenir une clarification à ce
sujet.
2) de convaincre d’autres États de l’UE
afin de construire une minorité de
blocage au sein du Conseil pour
solidifier l’engagement qui vient d’être
pris ; cette minorité de blocage ne sera
pas atteinte avec les seules oppositions
déjà exprimées de la France, de
l’Irlande, de l’Autriche, de la
Slovaquie et du Luxembourg.
Portée de la
décision sur l’Amazonie et les feux en
cours
La portée de
l’annonce d’Emmanuel Macron sur
l’Amazonie et les feux de forêts en
cours est nulle.
Puisque l’accord UE-Mercosur n’est pas
en vigueur, retirer son soutien à cet
accord n’a dans les faits aucun effet
tangible sur les vecteurs et les causes
politiques, économiques et sociales de
la déforestation en Amazonie. Encore
moins sur les feux de forêts en cours.
En raison de
l’orientation politique des mesures
prises par Jair Bolsonaro, qui font de
l’Amazonie un territoire à développer
sur le plan économique plutôt qu’à
protéger, il paraît illusoire de penser
que la suspension de l’appui français à
l’accord UE-Mercosur puisse avoir valeur
pédagogique ou capacité de pression sur
le gouvernement brésilien lui-même, et
encore moins une quelconque incidence
sur les pratiques de l’agrobusiness dans
la région et celle des grands
propriétaires terriens vis-à-vis des
droits des peuples autochtones et des
paysan·ne·s sans terre qui sont
quotidiennement bafoués.
L’accord de
commerce UE-Mercosur pourrait-il
embraser davantage la forêt
brésilienne ?
L’accord
UE-Mercosur est avant tout conçu pour
ouvrir aux entreprises européennes des
marchés dans le domaine industriel
(pharmacie, automobile, textile, biens
d’équipement industriels), des services
(finances, transport notamment), et de
l’agroalimentaire bénéficiant des signes
de qualité de l’UE (boissons, chocolat
et dérivés, fromages). Il assurera
également un meilleur accès au marché
pour toutes les entreprises européennes
de ces secteurs par la reconnaissance,
dans le Mercosur, de normes
internationales et européennes de
conformité, y compris dans le domaine
sanitaire et phytosanitaire.
Il est à noter que le Brésil, neuvième
économie mondiale, continue d’être un
pays relativement fermé (droits de
douane, fiscalité, exigences
bureaucratiques) avec un taux
d’ouverture de moins de 20% du PIB, le
plus faible des pays du G20. C’est l’une
des raisons pour lesquelles la
Commission européenne a tout fait pour
finaliser ces négociations commerciales,
qui ont débuté il y a 20 ans.
Les nouveaux quotas
concédés à l’importation de viande de
boeuf des 4 pays de la zone (99000
tonnes à droits de douane réduits) sont
à la hauteur de cette ambition
européenne : l’agriculture est la
monnaie d’échange.
Ils sont significatifs du point de vue
de l’élevage européen, qui importe aux
environs de 350 000 tonnes de viande
bovine extra-communautaire par an
aujourd’hui (dont plus de 60% vient déjà
de l’Argentine et du Brésil).
Pour autant ils ne
représentent que 6% des exportations
totales brésiliennes (en 2018), et ces
quotas seront utilisés pour partie par
l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay.
En 2018, la moitié des importations
issues du Mercosur vers l’UE provenait
du Brésil, un quart de l’Argentine, 19%
de l’Uruguay et le reste du Paraguay.
En somme l’effet
d’incitation directe de l’accord
UE-Mercosur sur le secteur bovin
brésilien ne sera sûrement pas colossal.
Or c’est le bétail qui occupe la plus
grosse partie des terres déboisées en
Amazonie, à hauteur de 65 % environ. En
outre les droits de douane portant sur
l’importation de soja brésilien dans
l’UE sont d’ores-et-déjà déjà réduits au
minimum.
Le lien de causalité directe entre
l’éventuelle future application de
l’accord UE-Mercosur et la déforestation
de l’Amazonie semble donc finalement
assez faible, à condition d’application
sérieuse du moratoire sur le soja adopté
en juillet 2006 et prolongé en juin
2018, qui engage les exportateurs
brésiliens à ne pas acheter de soja
provenant de la région amazonienne.
Conclusion :
renoncer à l’accord commercial négocié
avec les 4 pays sud-américains est
indispensable pour ne plus apporter la
caution de la France et de l’UE au
système agro-industriel sud-américain, y
compris dans sa dimension illégale et
violente. Mais c’est loin d’être
suffisant pour résorber la dévastation
en cours de la forêt amazonienne, à
laquelle, de fait, l’UE contribue déjà
par ses importations de soja et de
viande de bœuf.
Portée de la
décision sur les vecteurs de
déforestation imputables à la France et
l’UE
Par son annonce qui
se limite à l’accord UE-Mercosur, qui
plus est “en l’état”, Emmanuel Macron
exclut de fait d’intervenir sur le
commerce actuel de biens, notamment
agricoles, entre le Brésil et l’UE comme
entre le Brésil et la France. Or
celui-ci se porte très bien et contribue
effectivement à la déforestation et à la
dégradation de zones forestières.
Emmanuel Macron
fait comme s’il n’existait pas déjà un
cadre et des règles - notamment celles
de l’Organisation mondiale du commerce
(OMC) - encourageant fortement
l’importation en Europe de biens
agricoles, dont le défrichement des
forêts tropicales et des savanes
arborées est une condition de la
production.
Les monocultures
d’exportation du Brésil, mais aussi en
Argentine et au Paraguay, ainsi que
l’exploitation forestière (bois, pâte à
papier) et l’industrie minière, jouent
en effet un rôle majeur dans les
processus de déforestation, de
dégradation et de pollution des terres
et des forêts.
Ainsi la culture
intensive du soja dont le Brésil est
aujourd’hui le premier exportateur
mondial (83,8 millions de tonnes, en
hausse de 23% par rapport à 2017)
contribue très fortement à la
déforestation.
L’augmentation
exponentielle de la production mondiale
du soja est tirée par l’intensification
et l’industrialisation de l’élevage. Les
fourrages frais (prairies) ou séchés
(foin, etc.) sont souvent remplacés par
une ration de « maïs ensilage / soja ».
Alors que l’herbe pâturée est une ration
complète pour un bovin, lui a été
substitué un couple maïs (énergie) -
concentré azoté (protéine) pour
intensifier les rendements, permettant à
la fois le hors-sol et la mise en
culture des prairies et pâturages. Cette
substitution encouragée par les pouvoirs
publics a contribué à la perte
d’autonomie des paysan·ne·s, les rendant
de plus en plus dépendant·e·s des firmes
de l’agrobusiness qui leur fournissent
cette alimentation. Cette
intensification a eu par ailleurs pour
conséquence directe la disparition
d’emplois paysans.
Les importations
européennes de soja ont ainsi été
multipliées par cinq depuis le début des
années 1970. Elles sont le fruit de
décisions politiques (accord de Blair
House en novembre 1992) conduisant à
préférer l’import de protéagineux au
soutien de leur production sur le sol
européen. Ces importations continuent
aujourd’hui d’augmenter, en provenance
notamment du Brésil, de l’Argentine et
des États-Unis. Satisfaite par un petit
nombre de multinationales de
l’agro-industrie, très intensive en
capital, la production de soja exerce
une pression forte sur les forêts, les
terres et l’environnement.
En 2018, la France était le troisième
pays européen importateur de soja
brésilien, le huitième au niveau
mondial : 58% des graines de soja
importées en France (soit 360 000
tonnes) et 63% des tourteaux de soja
(soit 2,93 millions de tonnes) viennent
du Brésil, majoritairement issus de
cultures OGM (93% du soja produit au
Brésil est OGM).
Outre le soja, l’UE
et la France sont de gros importateurs
de pâte à papier, d’éthanol - près de
30 % de l’éthanol produit au Brésil est
exporté vers l’UE - et de minerais de
fer. Autant de productions qui, de près
ou de loin, sont liées aux défrichements
et dégradations des forêts et des terres
au Brésil, et plus largement en Amérique
du Sud.
De nombreuses
entreprises européennes et françaises,
qu’elles soient issues de l’industrie
agroalimentaire ou de l’industrie
minière, sont donc concernées par ces
productions liées à la déforestation. La
France est d’ailleurs le quatrième
investisseur étranger au Brésil et
toutes les grandes entreprises du CAC40
sont présentes sur place, de Total à
Engie, en passant par Michelin et
L’Oréal. Comme l’écrit le Quai d’Orsay,
“le Brésil est un partenaire
incontournable de la France en Amérique
latine”.
Certaines de ces
multinationales du CAC40 contribuent
directement à produire, exporter ou
commercialiser les produits mentionnés
et à jouer un rôle majeur dans cette
déforestation importée. Plusieurs
d’entre elles ont ainsi été mises à
l’index par des ONG : Auchan, Bigard,
Carrefour, Casino, Cooperl, LDC,
Lactalis, Sodexo et Super U et onze
autres entreprises ont été en effet
invitées à demander à leurs fournisseurs
de cesser immédiatement de
s’approvisionner, directement ou
indirectement, auprès des producteurs de
soja responsables de la déforestation.
Depuis le vote en 2017 de la loi
relative au devoir de vigilance, les
entreprises sont en effet dans
l’obligation “d’identifier les risques
et de prévenir les atteintes graves
envers les droits humains et les
libertés fondamentales, la santé et la
sécurité des personnes ainsi que
l’environnement”.
Un récent rapport
montre comment des entreprises
européennes et nord-américaines
participent indirectement à la
destruction de la forêt amazonienne en
se fournissant en viande, soja, bois
exotique, cuir, sucre ou encore açaï
(baie énergisante) auprès d’entreprises
brésiliennes condamnées pour crime
environnemental. Les entreprises
françaises Guillemette & Cie,
spécialisée dans l’importation de bois,
et le Groupe Rougier, font partie des
entreprises ciblées par ce rapport. JBS,
la principale multinationale brésilienne
de l’industrie agroalimentaire qui
représente environ un quart du marché
mondial du bœuf, fait partie des
nombreuses entreprises brésiliennes
condamnées pour déforestation illégale,
faisant clairement douter de la
possibilité d’importer du boeuf
brésilien qui ne soit pas déjà concerné
par des pratiques de déforestation. La
France et plusieurs entreprises
françaises ont également été épinglées
pour l’importation de bois tropical
illégal - des Ipé, espèce d’arbres de
grande valeur utilisée pour faire des
charpentes ou de la menuiserie -
provenant de la forêt d’Amazonie. Enfin,
les banques et investisseurs français ne
sont pas en reste : la banque française
BNP-Paribas est ainsi très investie dans
les quatre géants des matières premières
que sont ADM, Bunge, Cargill et Louis
Dreyfus qui approvisionnent notamment
l’Europe en soja brésilien. BNP-Paribas
est l’une des banques qui investit le
plus dans Cargill, entreprise qui avait
été sanctionnée en avril 2018 pour
s’être fournie en soja auprès
d’exploitations pourtant placées sous
embargo après avoir détruit des zones de
biodiversité protégées.
Par son annonce se limitant à l’accord
UE-Mercosur, Emmanuel Macron a donc
exclu, de fait, toute possibilité
d’intervenir directement sur le
commerce, les entreprises et les
investissements bilatéraux France-Brésil
alors qu’une partie d’entre eux sont
indissociablement liés aux vecteurs de
déforestation de l’Amazonie.
En l’état le
président Macron s’en tient à menacer le
Brésil d’une sanction commerciale
unilatérale, sans garantie qu’elle soit
mise en œuvre et sans efficacité réelle
sur les causes de la déforestation et
des feux de forêts.
Que devrait
faire le gouvernement français pour agir
sur les causes de la déforestation ?
En matière de
politique relative au commerce et à
l’investissement, il doit :
-
Engager la “re-régulation” du
commerce international, dans
l’optique d’interdire à terme toute
importation en France de produits
agricoles et forestiers (soja,
éthanol, huile de palme, etc) dont
la production est directement liée à
la déforestation en Amazonie ou
ailleurs. Cela prendrait la forme de
l’introduction et de l’application
stricte d’un moratoire sur
l’importation desdits produits et de
l’ouverture de négociations visant
la mise en place de systèmes de
certification internationaux
opérants.
-
Engager la “re-régulation” des
investissements internationaux :
cesser de soutenir -
diplomatiquement et financièrement,
via les garanties publiques à
l’export - les investissements
étrangers des entreprises françaises
et européennes dans les secteurs qui
contribuent, directement ou
indirectement, à aggraver la
déforestation dans les bassins
forestiers qu’il faut protéger.
-
Exiger une révision fondamentale de
la logique commerciale de l’UE : la
France pourrait proposer
d’introduire un mécanisme
d’évaluation systématique de
l’impact “climat” et “biodiversité”
de chacun des accords de commerce en
cours de négociation ou déjà
finalisé, pour écarter tous ceux qui
aggravent le réchauffement
climatique et la perte de
biodiversité. Il est urgent de
renverser l’ordre des normes
internationales en faveur de celles
qui garantissent la protection de la
planète et les droits de tou·te·s
ses habitant·e·s.
-
Sortir l’agriculture de l’OMC :
relevant du bien commun et de
l’intérêt général, la production et
le commerce agricoles doivent
pouvoir être re-régulés, y compris
au niveau international, au nom de
principes et d’objectifs
(souveraineté alimentaire, aide
alimentaire publique, appui à une
agriculture diversifiée faisant
vivre la petite paysannerie et
produisant des produits de qualité,
préservation des écosystèmes,...)
qui doivent s’imposer aux règles du
commerce international consignées
dans les accords de l’OMC.
Remarques sur
les systèmes de certification
internationaux et les règles de l’OMC
La mise en place de
systèmes de certification internationaux
suppose des négociations complexes et
exige la coopération des pays
producteurs. À défaut, gouvernements et
ONG se tournent vers des mécanismes de
“due diligence” pour responsabiliser et
contrôler les acteurs “aval”
(importateurs, transformateurs et
détaillants) d’une filière, ce qui
permet de contourner les pays d’origine
des produits concernés qui refusent de
réglementer.
C’est le cas du
règlement sur les minerais des conflits,
qui s’appliquera en 2021, soit 7 ans
après le début des négociations ! La
portée de ce texte est restreinte car il
concerne quatre minerais, il
responsabilise surtout les importateurs
(tenus de s’approvisionner hors des
zones de conflit identifiées), les
transformateurs et détaillants qui sont
seulement encouragés à faire preuve de
transparence sur leur chaîne
d’approvisionnement. Ces mécanismes ne
sont adaptés à l’action urgente, même
s’ils présentent une qualité primordiale
pour les États : leur compatibilité avec
le droit international du commerce.
En attendant que la
négociation de tels dispositifs soit
possible, la France pourrait prononcer
un moratoire sur l’ensemble des
importations de produits agricoles
associés à la déforestation. Les accords
de l’OMC n’autorisent des restrictions
permanentes à l’importation qu’en cas de
risque de sécurité ou de désastre
majeur, et de façon nondiscriminatoire.
Ce moratoire
susciterait donc probablement l’alliance
des exportateurs de soja autour d’un
contentieux devant le mécanisme de
règlement des différends de l’OMC. Ce
moratoire ne pouvant être justifié au
titre des mécanismes de sauvegarde
prévus par ses accords – leur périmètre
étant extrêmement réduit - la France
pourrait défendre la nécessité de
nouvelles règles commerciales
multilatérales à même de répondre à un
risque écologique majeur.
Il convient au fond
de questionner l’ensemble du cadre de
libéralisation des marchés agricoles
défini par l’OMC, qui établit le
principe d’une ouverture inéluctable et
continue des marchés, orchestrant la
mise en concurrence de systèmes
agricoles disparates,
l’industrialisation du secteur
(développement de monocultures
d’exportation) ainsi que la disparition
de la petite paysannerie au profit de
l’agro-industrie et des multinationales
du secteur. L’ensemble de ces règles
verrouille le système commercial
international, sans aucune considération
pour ses implications non-commerciales
pourtant énormes. Dans ces conditions,
et alors que la responsabilité de
l’agro-industrie dans la crise
écologique planétaire est largement
établie, l’agriculture ne devrait-elle
pas être exclue de la compétence de
l’OMC ?
Il dispose
également de moyens d’action
non-commerciaux, par exemple :
-
Sanctuariser la forêt amazonienne
située sur le territoire de la
Guyane française et débloquer les
moyens humains et financiers pour
s’en assurer ; la France doit
immédiatement arrêter de délivrer
des permis de recherche et
d’exploitations miniers en Guyane
(de nouveaux titres ont été délivrés
pendant l’été).
-
Faire appliquer la loi sur le devoir
de vigilance et encourager la
Commission européenne à rédiger une
directive de même nature : le
gouvernement et les pouvoirs publics
devraient appuyer les efforts des
ONG exigeant des entreprises
qu’elles excluent de leurs chaînes
de valeur les fournisseurs cultivant
ou commercialisant des produits
issus des zones de déforestation. De
manière plus ambitieuse exiger des
entreprises impliquées dans la
région amazonienne la publication
d’un rapport faisant un état
détaillé de toutes les dispositions
prises pour garantir l’innocuité de
leurs activités sur les écosystèmes
locaux.
-
Réduire la dépendance de
l’agriculture française et
européenne au soja et autres
produits agricoles et forestiers
importés qui causent la
déforestation en définissant des
objectifs précis : réduction des
importations de soja,
désintensification de l’élevage,
mises en culture d’oléo-protéagineux
domestiques et baisse de la
consommation de viande. Cela
implique un soutien adapté des
pouvoirs publics et que le nouveau
“plan protéines végétales”
(post-2020) comme la future PAC
transcrivent concrètement ces
objectifs. Les 1,4 millions
d’hectares nécessaires pour mettre
en culture des légumineuses – soja,
luzerne, trèfle, féverole, lupin —
en quantité équivalente au soja
importé aujourd’hui doivent être
pris sur les cultures d’agrocarburants,
les cultures céréalières tournées
vers l’exportation et celles qu’il
faut réduire pour raison écologique.
Par ailleurs, la désintensification
de l’élevage permettrait de réduire
considérablement les besoins de
l’agriculture européenne en
oléo-protéagineux.
Document joint :
note_amazonie_web_vf.pdf
4 septembre - PDF - 1.3 Mo
Le dossier écologie
Les dernières mises à jour
|