Lecture
Pepe Escobar : 2030, une ode à la
Beauté
Hervé pour le Saker Francophone
Vendredi 29 avril 2016
Une fois
n’est pas coutume, le Saker Francophone
se fend d’une critique littéraire pour
parler d’un de nos auteurs favoris, Pepe
Escobar. On est bien au delà de la
démarche commerciale et cet article n’a
d’autre ambition que de parler d’un
magnifique opuscule à faire connaître,
et de faire la promotion d’un auteur
prolifique qui nous donne un éclairage
régulier sur l’actualité. Pour aider ces
auteurs, ostracisés par les médias mainstream, il faut aussi acheter leurs
livres pour les aider à vivre de leur
travail. La lecture de livres reste le
meilleur moyen de fixer des certitudes,
surtout quand comme ici, l’ouvrage est
excellent.
Voici d’abord
la présentation de
Jean-François Goulon, l’éditeur du
livre, et retrouvez ensuite mes notes de
lecture de ce livre, que l’éditeur a eu
la gentillesse de nous envoyer.
2030, Pepe Escobar
passe le témoin à la nouvelle génération
29 février 2016
Un analyste politique nomade réalise
qu’il va bientôt être grand-père. Il
décide alors d’écrire une lettre
numérique à son futur petit-fils ; un
héritage intangible, englobant les
principales leçons qu’il a apprises de
la vie. Cette lettre ne doit être
ouverte
qu’en 2030, lorsque son petit-fils Ayan
sera un adolescent dans un monde en
plein bouleversement.
2030 est une symphonie qui ouvre sur
Bob Dylan. Le premier mouvement nous
plonge dans la Bibliothèque de Babel de
Pepe Escobar, un voyage, un pèlerinage à
travers le temps, dont les guides sont
ce que la philosophie et la littérature
comptent comme auteurs essentiels.
D’abord, un inventaire à la Prévert qui
énumère les références littéraires,
Keats, Siddhartha, Shakespeare, Blake,
Borges, Baudelaire, Rimbaud, Flaubert,
le théâtre de Molière, Dostoïevski,
Gogol, T.S. Eliot, Joyce, etc. Ensuite,
les géants
s’interpellent à travers les pages du
temps, depuis les philosophes grecs,
Platon, Socrate et les présocratiques,
jusqu’à Nietzsche, en passant par
Guattari et Deleuze. Le second mouvement nous fait vivre
(ou revivre) la fin des années soixante
et les années soixante-dix ; Mai 68, la
guerre du Vietnam, le mouvement hippie
et le bouddhisme qui va s’infiltrer dans
la cosmologie californienne, accompagnée
par les Doors, Jimmy Hendrix ou les
Byrds. Au terme d’un
adagio ma non troppo, l’auteur
nous emmène dans la traversée du miroir
jusqu’en Asie, qui deviendra, du
Proche-Orient à l’Asie de l’Est, son
terrain d’étude privilégié en tant que
grand reporter indépendant, spécialiste
des guerres de l’énergie et de la
géopolitique des grandes puissances.
Le troisième mouvement est un
parcours initiatique qui reconstruit
minutieusement les Routes de la Soie,
sur les pas d’un moine pèlerin, Hiuan-Tsang,
qui ancra le bouddhisme en Chine, au VIIe siècle.
Ainsi, l’auteur propose aux nouvelles
générations de développer leurs propres
machines de guerre,
selon Deleuze et Guattari, pour relever
les défis du monde nouveau et inconnu
qui se prépare à elles. Autant de
grenades défensives
constituées des enseignements contenus
dans des livres judicieusement choisis,
et quelques épisodes du blues et du
rock’n roll.
2030 est suivi de
Dialogues inactuels,
sept conversations avec Jorge Luis
Borges, qui nous plongent en immersion
profonde dans la pensée de ce grand
poète, quelques mois avant sa
disparition.
2030 est un petit joyau, une ode
émouvante à la Beauté et aux richesses
culturelles de l’humanité. La génération
du baby boom y retrouvera le passé
privilégié où elle a connu le meilleur
de tout… et les nouvelles générations y
trouveront les armes pour affronter un
nouvel ordre mondial encore en
gestation.
La critique du Saker
Francophone
C’est un petit livre qui contient
deux textes. Le premier est l’héritage
destiné à son petit-fils, le
condensé d’une vie de voyages, de
lectures, de réflexions. Pepe nous
dévoile son intimité, la façon dont la
vie l’a construit, comment l’actualité
et son travail de journaliste ont modelé
ce qu’il est et ce qu’il nous donne.
Comme tous les parents, la problématique
de la transmission du savoir et de la
connaissance est l’une des grandes
questions de notre temps. Nul ne peut
prédire à ce jour si le Grand soir va
venir et même s’il adviendra un jour. Il
faut donc que génération après
génération, après une vie d’accumulation
de savoir, au soir de leur vie, des
hommes le transmettent. Et le meilleur
public reste sa famille et sa filiation.
La vitesse de circulation de la
connaissance et son accumulation sont
devenues telles que la transmission
génétique et culturelle n’est plus
suffisante. D’une certaine façon, il y a
un concept de transmission par le
guidage générationnel, qui est ce que l’épigénétique
est à la transmission des gènes. Il faut
prendre le temps de transmettre sa
compréhension de la complexité à sa
descendance, afin de lui donner les
armes pour résister à toutes les
barbaries, et dieu sait que les plus
barbares des barbares se cachent parmi
nous, dissimulés qu’ils sont derrières
des mots doux. Il faut donc commencer
tôt.
Pepe nous livre sa méthode. Il se
raconte à son petit-fils sans
faux-semblant, avec ses erreurs, les
siennes et celles de sa génération. Nous
les soixante-huitards, nous avons
échoué, dit-il, à dépasser le système
hiérarchisé qui nous avait été légué.
Pire, en abattant ce pouvoir, nous avons
libéré une bête plus dangereuse encore
que celle qu’ont eue à affronter nos
parents, ne plus vouloir de la vie. Il
raconte son histoire, qui est surtout
une confrontation avec ce que l’histoire
des hommes a produit de meilleur, les
livres de la connaissance. Il en existe
beaucoup de ces livres, et sa
bibliothèque qui restera physiquement le
meilleur de son legs, n’en contient
qu’un petit sous-ensemble, Bouddha,
Montaigne, Joyce, Céline, et tellement
d’autres qu’il faudrait connaître pour
ne pas se perdre dans les chemins
sinueux de la vie.
Tellement de livres, tellement de
connaissances et si peu de temps. Le
temps est précieux, il faut donc
commencer tôt à enseigner, à transmettre
pour que les premières clés aident la
génération qui vient à ne pas se perdre,
à refuser la mise en scène du pouvoir.
Il faut obliger les tenants de ce
pouvoir à se dévoiler, à apparaître en
pleine lumière. Si vous doutez de
l’utilité de la transmission, si
certains jours, vous baissez les bras,
achetez ce petit livre, lisez-le. C’est
un bijou d’amour des siens, d’amour de
la vie.
Je ne résiste pas à vous en donner un
court extrait – page 43:
La libération des idées
se transforma en libération des
marchés et de l’économie
capitaliste, produisant une
idéologie d’évasion toute prête,
parfaite pour… des esclaves ?
Tu vas naître [son
petit fils] dans l’incessante
prolifération numérique de tout.
Borges a dit : la carte n’est pas
devenue égale au monde, elle
l’excède. Et cette carte ne
disparaîtra tout simplement pas : au
contraire, ainsi que Baudrillard l’a
deviné, c’est la réalité qui s’est
désintégrée. Pour Baudrillard,
l’absorption positive dans la
transparence de l’ordinateur est
même pire que l’isolement. Nous
sommes tous avalés par le miroir.
Seuls quelques-uns pourront
finalement le traverser. La version
XXIe siècle du
Discours de la servitude volontaire
d’Etienne de la Boétie nécessite
toujours d’être articulée.
Vous ne lirez plus les traductions de
Pepe comme avant, tout son univers
les accompagnera lorsque vous
lirez chacun de ses mots, de la Syrie au
Brésil, du Globalistan au Pipelineistan.
Le second texte est un condensé
d’entretiens de
Jorge Luis Borges, un écrivain
argentin atypique. On sent une vitalité
de l’esprit chez ce vieux monsieur
(vieux au moment de l’interview), la
vivacité de son esprit et l’immense
respect qu’il inspire à Pepe Escobar,
ainsi qu’une grande tendresse.
Connaissant peu l’œuvre de Borges, je
serais bien en mal d’en faire une
critique, mais le texte est un voyage.
Pepe questionne Borges sur les grands
thèmes de la vie, la littérature, la
mort, le bonheur, la connaissance, qui
font écho à sa propre écriture ou à ses
réflexions. On parcourt avec lui un
siècle et demi de cinéma, de mots,
d’idées. Borges n’a que peu de livres
mais ce sont LES livres, bel
éblouissement pour un aveugle !
Si vous souhaitez l’achetez, voici le
lien chez l’éditeur,
Les éditions du Cercle
2030, suivi de Dialogues
inactuels (Jorge Luis Borges)
Hervé pour le Saker Francophone
Le
dossier invitation à lire
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