Palestine
Israël n'a pas le droit d'être un État
d'apartheid, déclare le fondateur de
Boycott From Within
Ronnie
Barkan
(à gauche) participe à une action de
protestation
contre le mur d'Israël
(Anne Paq
/ ActiveStills)
Vendredi 30 mai 2014
Interview réalisé par Adri
Nieuwhof, le 28 mai 2014
Ces quelques dernières années, le
parlement israélien, la Knesset, a
discuté de mesures destinées à
criminaliser les activistes qui
expriment leur solidarité pour les
Palestiniens. Le résultat de ces
discussions a été qu'un loi a été
adoptée en 2011, autorisant les
poursuites contre les Israéliens qui
insistent sur un boycott des
marchandises ou institutions
israéliennes.
Ronnie Barkan est
précisément le genre de militant
directement visé par cette loi. Il est
l'un des membres fondateurs de
Boycott from Within (Boycott depuis
l'intérieur), un groupe israélien qui
soutient activement l'appel palestinien
aux boycott, désinvestissement et
sanctions (BDS) contre Israël.
Barkan était aux Pays-Bas (*) la semaine
dernière. Adri Nieuwhof
l'a interviewé à Utrecht.
Adri Nieuwhof. Pouvez-vous vous
présenter ?
Ronnie Barkan. Je
suis un Juif israélien, blanc, masculin,
privilégié. Les deux premières
caractéristiques sont décidées par la
nature, la dernière est du ressort de
l’État. Il est important de mentionner
que je fais partie des privilégiés.
C'est le noyau même de ce dont nous
parlons.
L’État d'Israël a été créé sur base
d'une épuration ethnique, d'une
suprématie ethnique codifiée sous forme
de lois. Ce qui a débuté en 1948 s'est
poursuivi sous le couvert de lois, afin
de priver d'autres personnes de leurs
droits.
Je suis aux Pays-Bas dans le cadre d'une
tournée européenne traitant
principalement de la campagne BDS et
visant à encourager les gens à faire des
actions. Puisque je fais partie des
privilégiés, cela signifie que je puis
dire des choses que d'autres personnes
ne peuvent pas dire. Par exemple, que
les BDS ne visent pas les Israéliens,
mais bien l’État d'Israël. Que les BDS
ne sont pas antisémites, mais opposés à
toutes les formes de racisme, y compris
le sionisme. Être privilégié signifie
que ma voix est empreinte d'une plus
grande signification et responsabilité.
Les gens devraient écouter les
Palestiniens mais, en tant que personne
privilégiée résistant aux côtés des
Palestiniens, je dois parler pour les
sans voix.
AN. Quelles sont vos principales
activités ? Boycott from Within
gagne-t-il en ampleur ?
RB. Le plus clair de
mon temps passe dans des activités BDS,
surtout avec ce petit groupe que nous
avons créé, Boycott from Within. Nous ne
disons pas aux Palestiniens ce qu'ils
doivent faire, nous les soutenons, et
nous nous joignons à eux en tant que
groupe privilégié. Le groupe permet aux
Israéliens d'exprimer leur soutien à
l'appel en faveur des BDS. Après que des
personnes comme [les universitaires]
Ilan Pappe et Tanya Reinhart ont été
attaqués personnellement pour leur
soutien aux BDS, nous avons décider de
fonctionner en tant que groupe. Ce n'est
pas une question de nombres. Il est
clair que ce que nous cherchons, c'est
un consentement et un soutien des
activités BDS.
Une autre chose que nous faisons
consiste à fournir des informations,
puisque nous sommes sur le terrain même
et que nous avons accès aux sources en
langue hébraïque, afin de soutenir les
BDS. Et il s'avère que cela fonctionne
bien.
Tertio, nous nous concentrons sur le
boycott culturel. Les lignes maîtresses
de la PACBI (Palestinian
Campaign for the Academic and Cultural
Boycott of Israel – Campagne
palestinienne pour le boycott
universitaire et culturel d'Israël) sont
claires. Les artistes israéliens seront
boycottés s'ils agissent en tant
qu'ambassadeurs d'Israël ou s'ils aident
à blanchir l'apartheid israélien. Quand
aux artistes se produisant en Israël,
nous essayons de les approcher.
Nous leur expliquons qu'il y a une
ligne, une limite clairement indiquée et
ils choisissent de quel côté de la ligne
ils se situent. Leur décision de se
produire en Israël est
politique et le fait que « la
musique est universelle » n'est pas
un argument. S'ils choisissent de se
produire sous l'apartheid, ils le
cautionnent et ils seront utilisés par
le régime. Ils peuvent choisir de rester
du bon côté de l'histoire et de ne pas
se produire.
Je suis très heureux que de tels
artistes fassent plus d'effort pour
comprendre où ils se situent.
Actuellement, en Israël, quand un
spectacle est prévu, les médias se
posent déjà la question de savoir si les
artistes vont se produire.
Le boycott culturel touche un nerf de la
société israélienne. Au contraire du
boycott des sociétés qui reste très
ouvert dans le cadre de 1967 [la
Cisjordanie occupée et Gaza]. Il
concerne davantage le refus de légitimer
l’État d'Israël dans sa forme actuelle.
Il attise le débat sur le boycott. En
Israël, il y a davantage de discussion,
il n'est pas aimé, mais les gens se
sentent obligés d'en parler. C'est
important.
Avant que les BDS ne soient rendus
publics, il était très fréquent de
présenter Israël comme la seule
démocratie du Moyen-Orient, même si ce
n'est pas une démocratie et que ce ne
l'a jamais été, et même pas à l'état
embryonnaire. IL y a quelques années,
les Israéliens et les médias dans le
monde entier se sont mis à parler
d'Israël comme d'une démocratie ratée.
Et, aujourd'hui, dix ans plus tard, [le
ministre américain des Affaires
étrangères] John Kerry fait état de
l'apartheid, quand il parle d'Israël.
C'est extrêmement important. L'apartheid
est un crime contre l'humanité et tous
les gens et tous les États sont dans
l'obligation de combattre ce crime.
AN. Avez-vous des contacts avec des
activistes BDS d'autres pays ? Avez-vous
des idées pour améliorer la campagne BDS
?
RB. La campagne BDS
est décentralisée et la
direction palestinienne en établit les
lignes maîtresses. Certaines personnes
se sont de mauvaises idées en pensant
qu'il s'agit de rompre les liens et les
communications. Mais nous voyons que
c'est le contraire, qui est vrai. Nous
continuons à bâtir des ponts, de
nouvelles voies de communication avec
chaque groupe BDS possible ou avec ses
affiliés.
Boycott from Within joue un rôle en
réfléchissant sur les activités futures
à l'échelle mondiale. Je pense que ce
qu'il faudrait, c'est un peu plus de
stratégie. Nous avons accompli beaucoup
de progrès. Cela a atteint les officiels
américains et [le Premier ministre
israélien Benjamin] Netanyahu s'est
exprimé à ce sujet lors d'une conférence
de l'AIPAC [American Israel Public
Affairs Committee – Commission
américaine sur les Affaires publiques
israéliennes].
Puisque nous sommes de taille
relativement réduite et que nous sommes
assez disparates, notre point fort est
de travailler ensemble et de définir des
stratégies. Nous devons généraliser la
discussion. Quand Scarlett Johansson est
entrée dans le royaume des BDS, il a
fallu une poignée d'activistes pour la
défier, elle et le rôle d'Oxfam. C'est
devenu l'un des problèmes les plus
sérieux. Quand cela arrive dans les
médias américains traditionnels, c'est
que nous nous y sommes bien pris. C'est
un grand pas en avant.
Je pense que nous pouvons améliorer la
campagne BDS en
partageant des expériences, des
événements qui sont organisés, et
partageant des informations.
AN. Certains groupes e-mail le font sur
certains sujets, par exemple, dans la
mobilisation contre les sociétés qui
tirent du profit de l'occupation, comme
Veolia et G4S.
RB. Les groupes e-mail
sont limités. Si quelqu'un d'Utrecht
veut être impliqué, l'information doit
être accessible. Cela ne devrait pas
dépendre du fait que nous connaissez un
ami qui a un ami qui pourrait avoir des
informations. Les groupes Facebook
peuvent agir comme une plate-forme. Le
défi consiste à impliquer sans cesse de
nouvelles personnes. Nous devons trouver
une manière qui donne la possibilité à
un nombre croissant de personnes de
participer à la campagne BDS.
AN. Vous êtes objecteur de
conscience. Êtes-vous en contact avec
d'autres objecteurs de conscience ?
Comment pouvons-nous soutenir les
objecteurs ?
RB. Quand j'étais objecteur de
conscience, je n'utilisais pas cette
terminologie. J'avais juste le sentiment
de ne pas vouloir faire partie de
l'armée. Quand j'ai été exempté de
l'armée, c'était le moment où New
Profile (Nouveau profil) a été créé
[New Profile est un groupe qui
œuvre à la démilitarisation de la
société israélienne]. La principale
chose qu'il y a lieu de faire est de
donner des informations concises plutôt
que les informations partiales ou la
propagande qui sont disponibles. Et
d'agir en tant que réseau de soutien.
Actuellement, il y a deux objecteurs de
conscience en prison, un Druze et un
Juif orthodoxe. Les objecteurs font un
travail admirable en s'opposant à tout
ce que représente la société
israélienne. Toutefois, je ne pense que
que le mouvement aille en croissant. Il
y a une poignée de dissidents et c'est
tout.
Tous ceux qui parlent de la gauche
israélienne ou du camp de la paix, soit
mentent, soit sont ignorants. Il n'y a
pas de gauche israélienne et il n'y en a
jamais eu. Rien qu'une poignée de
dissidents.
Mais ce n'est pas qu'une question de
nombres. Prendre la parole contre
l'oppression est important en soi. Quand
la loi anti-BDS a été adoptée, nous
avons publié notre déclaration à partir
de Boycott from Within. Cela
s'appelait « Nous ne resterons pas
silencieux » et nous tirions notre
inspiration des dissidents allemands de
la White Rose Society. Il est
important de s'exprimer et de ne pas
accorder une seule once de légitimité au
projet sioniste en Palestine.
AN. Quelle est votre réponse à ceux qui
prétendent que les BDS vont détruire
Israël ?
RB. Oui, c'est ce qu'on
entend. Si nous insistons sur l'égalité
des droits pour tous [l'une des
revendications de l'appel aux
BDS], cela aboutira à la
destruction d'Israël. Cela en dit
beaucoup sur cet Israël. Détruire
l'apartheid concernait l'apartheid, cela
ne parlait pas de détruire l’État
qu'était l'Afrique du Sud.
Les BDS soutiennent le combat pour
l'égalité des droits. Les BDS s'en
prennent au véritable caractère de
l’État d'Israël qui s'appuie sur la
séparation ethnique et sur la suprématie
ethnique. Chaque gouvernement israélien
est préoccupé par le maintien de la
majorité démographique. Si l'appareil de
sécurité de l’État estime que modifier
la composition démographique constitue
une menace pour la sécurité, qu'est-ce
que cela dit ? Cela dit que c'est
complètement illégitime.
Quand Netanyahu pose une conditions pour
négocier avec Abbas autour de la
reconnaissance d'Israël en tant qu’État
juif, il s'agit d'une exigence
totalement illégale. Aucun pays n'a le
droit d'être un État suprémaciste. De la
même façon que l'Afrique du Sud ne
pouvait être suprémaciste pour les
blancs, Israël ne peut l'être pour les
Juifs.
Cette pensée ethnique suprémaciste est
tellement prédominante que même les
organisations prétendument libérales,
qui prétendent parler en faveur de la
paix et des droits de l'homme, ou qui
portent les droits de l'homme dans leur
dénomination, ne reconnaîtraient ces
droits aux Palestiniens que s'ils
n'empiétaient pas sur leurs propres
droits ou privilèges.
Ils s'opposeront à l'occupation de 1967,
tout en légitimant la nature
suprémaciste de l’État d'Israël. Ces
organisations ont développé un discours
mensonger sur Israël au point d'en faire
des œuvres d'art. Elles parlent de la
forte base démocratique d'Israël, de
combattre pour la démocratie, tout en
refusant de dire un seul mot de
l'apartheid ou même des réfugiés
palestiniens. Elles protégeront les
droits des réfugiés de l'Afrique tant
qu'aucun réfugié de Palestine ne sera
autorisé à rentrer chez lui.
Publié sur
The Electronic Intifada le 28 mai
2014. Traduction : JM Flémal.
(*) Ronnie Barkan
était également de passage en Belgique
et présent à Yella Palestina.
On peut le suivre sur Twitter : @ronnie_barkan
Adri Nieuwhof est
une avocate des Droits de l'Homme,
installée en Suisse et
collaboratice de l'Electronic
Intifadah.
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