L’interview est réalisée par Hisham Melhem
(Al-Arabiya), dans la salle des cartes de la Maison-Blanche
Q. M. le Président, merci pour l’occasion
que vous nous offrez, nous apprécions réellement.
Barack Obama : Merci beaucoup à vous.
Q. Monsieur, vous venez de rencontrer votre
émissaire spécial au Moyen-Orient, le Sénateur Mitchell. Il
semble que sa première tâche soit de consolider le
cessez-le-feu. Mais, au delà, vous avez déclaré rechercher
activement et agressivement la paix entre Palestiniens et
Israéliens. Dites-nous un peu comment vous concevez votre rôle
personnel. Vous le savez, si le Président des Etats-Unis ne
s’implique pas, rien ne se passe, comme le démontre l’histoire
des accords de paix. Comptez-vous proposer, lancer des
propositions, des paramètres, comme l’a fait l’un de vos
prédécesseurs [allusion à Bill Clinton, ndt] ? Ou vous
contenterez-vous d’exhorter les parties à venir avec leurs
propres solutions, comme l’a fait votre prédécesseur immédiat
[Bush, ndt] ?
B.O : Je pense que le plus important pour les
Etats-Unis est de s’engager immédiatement. Et George Mitchell
est quelqu’un d’une stature exceptionnelle. Il est l’une des
rares personnes à avoir une expérience internationale de
médiation qui a abouti à un accord de paix [Irlande du Nord, ndt].
Je lui ai dit de commencer par écouter, parce que, trop souvent,
les Etats-Unis ont commencé par dicter (par le passé, sur
certaines de ces questions), alors que nous n’en connaissons pas
toujours tous les facteurs. Alors, écoutons. Il [Mitchell] va
parler aux principales parties impliquées. Puis il me fera part
de ses conversations. A partir de là, nous formulerons une
réaction précise. Au bout du compte, il nous est impossible de
dire aux Israéliens et aux Palestiniens ce qui est le mieux pour
eux. Ils devront prendre un certain nombre de décisions. Mais ce
que je crois, c’est que le moment est mûr pour que les deux
parties se rendent compte que la voie qu’elles ont choisie ne va
apporter à leurs peuples ni prospérité, ni sécurité. Il est donc
temps de retourner à la table des négociations.
Et cela va être difficile, cela va prendre du temps. Je ne
souhaite pas avoir d’idées préconçues sur beaucoup de ces
questions, et je souhaite m’assurer que nous ne soulevons pas
des espoirs qui porteraient à croire que cela va se résoudre en
quelques mois. Mais, si nous commençons à progresser avec
constance, je crois fermement que les Etats-Unis (en oeuvrant de
concert avec l’Union européenne, la Russie et les Etats arabes
de la région) sont capables de faire d’importants progrès.
Q. En substance, vous avez dit que ces
questions, tel le problème israélo-palestinien, devaient être
considérées dans une approche globale de la région. Devons-nous
nous attendre à un paradigme différent, au sens où, dans le
passé, l’une des critiques adressées aux Etats-Unis, du moins du
côté arabo-musulman, était que tout ce qui avait été testé
l’avait toujours été pour voir si cela fonctionnait du seul côté
israélien ? Aujourd’hui, nous avons un plan de paix arabe qui
concerne toute la région. Et vous-même l’avez indiqué.
Assistons-nous à un changement de doctrine ?
B.O. Ici, je pense que c’est très important.
Considérez la proposition avancée par le roi Abdallah d’Arabie
saoudite.
Q. Exact.
B.O. Je peux ne pas être d’accord avec chacun
des aspects de cette proposition, mais il a fallu beaucoup de
courage...
Q. Absolument
B.O. ... pour avancer quelque chose d’aussi
important. Je crois que, partout dans la région, il y a des
idées pour parvenir à la paix.
Je pense réellement qu’il nous est impossible de réfléchir
uniquement en termes de conflit israélo-palestinien, sans tenir
compte de ce qui se passe en Syrie, en Iran, au Liban, en
Afghanistan ou au Pakistan. Tout cela est lié. Et ce que j’ai
dit, et je crois qu’Hillary Clinton l’a exprimé lors de sa
nomination, c’est que si nous considérons la région dans son
ensemble, et si nous envoyons un message au monde arabe et
musulman qui dit que nous sommes prêts à lancer un nouveau
partenariat fondé sur le respect et les intérêts mutuels, alors
je pense que nous pouvons faire d’importants progrès.
Cela dit, Israël est un allié fort des Etats-Unis, et cela ne
s’arrêtera pas. Et je continuerai de croire que la sécurité
d’Israël est d’une importance capitale. Mais je crois aussi
qu’il y a des Israéliens qui reconnaissent qu’il est important
de parvenir à la paix. Ils seront prêts à faire des sacrifices
si le moment est approprié et s’il y a un partenaire sérieux de
l’autre côté.
Ce que nous voulons donc, c’est écouter, mettre de côté
certaines idées préconçues qui ont existé et se sont renforcées
ces dernières années. Et je crois que, si nous faisons cela,
alors il y a au moins une possibilité d’effectuer une percée.
Q. Avant d’aborder le monde arabe de façon
générale, une dernière question à propos du théâtre
palestino-israélien. De nombreux Palestiniens et Israéliens sont
frustrés par leur situation actuelle et ils sont en train de
perdre espoir. Ils ont perdu toute illusion et pensent que le
temps de la solution à deux Etats est compté, essentiellement à
cause de la colonisation dans les territoires palestiniens
occupés. Sera-t-il possible de voir un Etat palestinien (vous en
connaissez les contours) au cours de votre premier mandat ?
B.O. Je pense qu’ il est possible (je ne vais
pas fixer de calendrier) de voir naître un Etat palestinien
ayant une continuité géographique, qui permette à ses citoyens
la liberté de circuler, qui permette de commercer avec d’autres
pays, qui permettre la création d’entreprises et de commerces,
afin que les gens aient une vie meilleure.
Vous savez, je pense que quiconque a étudié cette région
reconnaît que la situation du Palestinien moyen, dans la plupart
des cas, ne s’est pas améliorée. L’important, au fond, est
qu’avec toutes ces négociations, tous ces pourparlers, est-ce
qu’un enfant des territoires palestiniens va s’en trouver
mieux ? A-t-il un avenir pour lui-même ? Et un enfant en Israël
va-t-il se sentir plus en sécurité, plus en confiance ? Et si
nous gardons le cap qui consiste à rendre la vie meilleure et à
regarder en avant, et non pas seulement tous les conflits,
toutes les tragédies du passé, alors, je pense que nous avons
une chance d’avancer réellement.
Mais cela ne sera pas facile. C’est la raison pour laquelle
George Mitchell se rend dans la région. Il est doué d’une
patience et d’une habileté extraordinaires, cela va être
nécessaire.
Q. Absolument. Considérons maintenant la
région au sens large. Vous comptez vous adresser au monde
musulman depuis une capitale musulmane dans les cent premiers
jours de votre mandat. Tout le monde se demande de quelle
capitale il s’agit (rires). Si vous aviez des précisions, ce
serait très bien. Et êtes-vous inquiet ? Parce que, franchement,
quand je vois certaines choses sur l’Amérique - dans certaines
parties du monde, je ne veux pas exagérer - il y a une
diabolisation de l’Amérique.
B.O. Absolument
Q. C’est devenu une sorte de nouvelle
religion, qui a ses propres convertis et ses propres prêtres.
B.O. Exact.
Q. Il n’y a plus que le texte religieux.
B.O. Tout à fait.
Q. Traditionnellement (depuis le 11 septembre
et à cause de l’Irak, l’aliénation est grande entre le monde
arabe et les Américains), et pendant des générations, les
Etats-Unis jouissaient d’un certain prestige, étant la seule
puissance occidentale sans héritage colonial.
B.O. C’est vrai
Q. (...) Parce que les gens sentent que vous
tenez un discours politique différent. Et je pense, à en juger
par (inaudible), Zawahiri et Ben Laden et tous ceux-là, vous
savez, comme en chœur ...
B.O. Oui, j’ai remarqué. Ils semblent
nerveux.
Q. Très nerveux, exactement. Alors, dites-moi
pourquoi ils devraient se sentir encore plus nerveux.
B.O. Eh bien, je pense que quand on considère
la rhétorique qu’ils utilisent avant même ma prise de fonction
...
Q. Je sais, je sais.
B.O. C’est ce qui me dit que leurs idées ont
fait faillite. Aucune de leurs actions n’a donné à un enfant
musulman une meilleure éducation, ou de meilleurs soins. Dans
mon discours d’investiture, j’ai parlé de cela : on sera jugé
sur ce que l’on aura construit et non sur ce que l’on aura
détruit. Tout ce qu’ils ont fait, c’est détruire des choses. Sur
le long terme, je pense que le monde musulman a pris conscience
que cette voie ne menait nulle part, sinon à davantage de mort
et de destruction.
Aujourd’hui, mon travail consiste à dire que les Etats-Unis ont
un rôle à jouer dans le bien-être du monde musulman, que le
langage que nous utilisons doit être celui du respect. J’ai des
membres de ma famille qui sont musulmans. J’ai vécu dans des
pays musulmans.
Q. Le plus grand.
B.O. Le plus grand, l’Indonésie. Je souhaite
donc transmettre le fait que, au cours de tous mes voyages de
par le monde musulman, j’en suis arrivé à comprendre que peu
importe leur foi (et l’Amérique est un pays de musulmans, juifs,
chrétiens, non-croyants), peu importe leur foi, les gens ont
tous en commun des espérances et des rêves.
Et mon travail est de faire savoir au peuple américain que le
monde musulman est empli de gens extraordinaires qui veulent
simplement vivre leur vie et voir leurs enfants mener une vie
meilleure. Mon travail auprès du monde musulman est de faire
savoir que les Américains ne sont pas vos ennemis. Nous avons
parfois commis des erreurs. Nous n’avons pas été parfaits. Mais
si vous considérez l’histoire, comme vous le dites, l’Amérique
n’est pas née en tant que puissance coloniale, et il n’y a
aucune raison de ne pas restaurer la relation de respect et de
partenariat qui régnait avec le monde musulman il y a encore 20
ou 30 ans. Je pense que cela sera une tâche extrêmement
importante.
Mais, au bout du compte, les gens me jugeront sur mes actes et
sur ceux de mon administration, et non sur mes paroles. Et je
pense que ce que vous allez voir au cours des prochaines années,
c’est que je ne vais peut-être pas être d’accord avec ce que tel
ou tel dirigeant musulman dira, ni avec ce qui sera dit sur une
chaîne de télévision arabe, mais je crois que ce que vous
verrez, c’est quelqu’un qui écoute, qui est respectueux et qui
essaie de promouvoir, non seulement les intérêts des Etats-Unis,
mais aussi ceux des gens ordinaires qui, en ce moment même,
souffrent de la pauvreté et d’un avenir bouché. Je veux
m’assurer que je m’adresse à eux aussi.
Q. Dites-moi, il nous reste peu de temps, y
a-t-il une décision prise concernant le prochain pays musulman
auquel vous allez rendre visite ?
B.O. Là, je ne vais pas vous donner de scoop.
Q. L’Afghanistan ?
B.O. Peut-être la fois d’après. Mais je veux
dire quelque chose d’important. Je veux que les gens sachent que
nous préparons une série d’initiatives. L’envoi de George
Mitchell au Moyen-Orient est l’écho d’une promesse faite au
cours de ma campagne : nous n’attendrons pas la fin de mon
administration pour nous occuper de la paix entre Palestiniens
et Israéliens. C’est dès maintenant que nous commençons. Cela
peut prendre du temps, mais nous allons le faire dès maintenant.
Nous allons respecter notre engagement : je m’adresserai au
monde musulman depuis une capitale musulmane. Nous allons
respecter nos engagements et effectuer un travail plus efficace
pour toucher le monde arabe, l’écouter et lui parler.
Vous me verrez aussi réduire les troupes en Irak, pour que les
Irakiens assument davantage de responsabilités. Et, finalement,
je pense que vous avez déjà vu une promesse tenue, Guantanamo a
été fermée. Même si nous réaffirmons clairement que nous serons
aussi déterminés qu’auparavant à lutter contre les organisations
terroristes qui tuent des civils innocents, nous allons le faire
à notre manière, en respectant l’Etat de droit qui fait que
l’Amérique est grande.
Q. Le président Bush avait parlé de « guerre
contre le terrorisme » dans un sens très large, et parfois d’une
terminologie particulière, le fascisme islamiste. En revanche,
vous avez toujours replacé cela dans un cadre différent, en
particulier contre un groupe nommé al-Qaïda et ses
collaborateurs...
B.O. Il s’agit d’un point très important. Car
la terminologie que nous utilisons, cela compte. Ce qu’il nous
faut comprendre, c’est qu’il existe des organisations
extrémistes (musulmanes ou d’autres religions, dans le passé)
qui se servent de la religion pour justifier la violence. Or il
ne faut pas se servir d’un rouleau à peinture pour dépeindre une
religion comme une conséquence de la violence qui s’exerce au
nom de cette religion.
En conséquence, je pense que vous verrez que mon administration
se montrera très claire dans la distinction entre des groupes
comme al-Qaïda, qui adoptent la violence et le terrorisme comme
seuls moyens d’action, et des gens qui peuvent être en désaccord
avec mon administration et certaines de ses actions, ou qui
peuvent avoir un point de vue particulier sur la manière dont
leur pays doit se développer. Nous pouvons avoir des désaccords
légitimes tout en ayant du respect. Je n’ai aucun respect pour
des organisations terroristes qui tuent des civils innocents, et
nous les pourchasserons. Mais envers le monde musulman en
général, nous tendrons la main de l’amitié.
Q. Puis-je terminer par une question rapide
sur l’Irak et l’Iran ?
B.O. C’est à votre équipe d’en décider.
M. Gibbs (qui est-il ? ndt) Vous avez 30
secondes (rires).
Q. Les Etats-Unis vont-ils vivre un jour avec
un Iran nucléarisé ? Et jusqu’où irez-vous pour empêcher cela ?
B.O. Vous savez, j’ai dit pendant ma campagne
qu’il était très important que nous nous assurions de
l’adéquation des moyens à notre disposition, y compris la
diplomatie, dans nos relations avec l’Iran.
Le peuple iranien est un grand peuple, la civilisation perse est
une grande civilisation. L’Iran a agi d’une façon qui n’est pas
profitable à la paix dans la région : les menaces contre
Israël ; la recherche de l’arme nucléaire qui pourrait
déclencher une course aux armements dans la région, ce qui ne
contribuerait en rien à la sécurité ; le soutien à des
organisations terroristes dans le passé. Rien de tout cela n’a
aidé.
Mais je pense réellement qu’il est important pour nous d’être
prêts à parler à l’Iran, d’exprimer très clairement où sont nos
différences, mais aussi où sont nos perspectives de progrès.
Dans les prochains mois, nous allons proposer un cadre général
et une approche. Comme je l’ai dit dans mon discours
d’intronisation, si des pays comme l’Iran sont prêts à desserrer
le poing, ils trouveront de notre part une main tendue.
Q. Laissons-nous l’Irak pour une prochaine
interview, ou bien...
M. Gibbs : Oui, laissons cela. Nous avons
dépassé, et je dois le ramener à un dîner avec son épouse.
Q. Monsieur, j’apprécie vraiment.
B.O. Merci beaucoup.
(la fin en longs remerciements réciproques)